Okabu

Jacques Brel avait un rêve : être beau et con à la fois. Comme si ces deux adjectifs étaient intimement liés et que l’un amenait presque toujours l’autre dans son sillage. À partir de ce postulat que certains trouveront fallacieux, Okabu aurait pourtant du souci à se faire. Car beau il l’est autant que l’on peut l’être. Reste à savoir si la seconde partie de la sentence du grand Brel s’applique aussi dans son cas.

La tête dans les nuages

Dans le monde aérien d’Okabu tout était féerique. Il y’avait de jolis lacs, des plantes dans tous les sens, de l’air pur et le peuple des Nuages Baleines vivait paisiblement dans le ciel. Jusqu’au jour où une dangereuse pollution a commencé à faire son apparition, gâchant les terres et rendant la vie impossible. Pour comprendre d’où vient cette menace polluante, deux frères Nuages Baleines se mettent en route pour la terre ferme. Mais sous l’effet de l’air toxique, les courageux frangins s’évanouissent et se retrouve dans le monde des Yorubu qui est lui aussi au milieu d’une attaque menée par les Dozas, une ancienne tribu Yorubu ayant fait allégeance aux machines. Les deux frères vont donc aider ce peuple tout en ne gardant à l’esprit que leur objectif premier. Mais les sorts des deux peuples pourraient être liés.

Voilà donc l’histoire d’Okabu. Une quête quasi initiatique aux relents écologiques qui vous mettra dans la peau cotonneuse des deux frères Nuages Baleines, Kumulo et Nimbe, que vous pourrez soit contrôler à vous tout seul en alternance, soit avec un ami en mode coopération. Alors qu’on pouvait s’attendre à un véritable jeu d’aventure faisant office de périple, Okabu s’oriente plus vers la réflexion (vous verrez plus tard que ce terme est à relativiser) et un enchainement d’objectifs. Pas de progression homogène donc, mais un Hub principal dans lequel vous pourrez choisir le niveau à explorer. Une fois rentré dans celui de votre choix vous devrez remplir un certain nombre d’objectifs pour ressortir du niveau et en commencer un autre. Le joueur passionné à l’habitude d’être le serviteur du premier péquin venu qui lui demanderait un service, et heureusement car Okabu ce n’est que du service, de la faveur, de l’altruisme et du bon cœur.

Les premiers niveaux sont extrêmement réjouissants, car on a le plaisir de la découverte. Découverte de ce monde sublime, magique, de sa bande-son entrainante et de ses multiples idées de gameplay. Pendant environ quatre niveaux, les développeurs balanceront leurs cartouches avec parcimonie et en prenant bien le temps de vous expliquer chaque nouveauté. Car si la jouabilité est très (trop) épurée, les petites idées de Game Design pures sont nombreuses et tirent parti de la nature « nuageuse » de nos héros. Il sera par exemple possible de plonger dans l’eau pour la stocker et pleuvoir sur des plantes ou des ennemis qui le vivront très mal ou encore d’avaler des noix pour les tirer sur les ennemis. Au fur et à mesure de votre progression, vous rencontrerez aussi des Yorubu (quatre précisément) qui grimperont sur votre dos et vous offriront des habilités spéciales. Monkfish par exemple, est un pêcheur qui vous prêtera sa ventouse qui vous permettra d’attraper et de tirer des objets, d’ouvrir des coffres et des portes et même de secouer des arbres pour en récupérer les noix qui feront office de projectiles. Autre exemple, toujours au début du jeu pour ne pas spoiler, Picolo est un fermier capable de charmer les animaux et même les habitants de son village avec sa flûte. Tous ces compagnons apporteront avec eux leur lot de trouvailles vraiment intéressantes. Mais après le bonheur de la découverte, les choses se corsent.

Tomber de haut

Car au bout de quelques niveaux, Okabu va détruire son intérêt et gâcher ses idées tout seul, comme un grand. Plusieurs éléments sont à mettre sur le compte de cet échec. Premièrement les objectifs. Bien qu’extrêmement simples, on peut objecter que le titre est avant tout destiné aux enfants. Mais on ne peut excuser l’aspect abondamment explicatif d’absolument tout ce qui se passe durant la partie. Un habitant vous demande de ramener un taureau dans son enclos ? Des inscriptions à l’écran vous indiqueront l’emplacement du taureau, l’emplacement de l’enclos et la façon de l’y amener. À partir de là, remplir sa mission se fait de façon purement mécanique et on nous enlève le plaisir de la découverte et de la recherche. Tout est dirigé, expliqué, commenté et rapidement, l’intérêt que l’on porte au jeu s’évapore. C’est d’autant plus dommage car de temps en temps, certaines missions se feront plus inventives, demandant même de combiner des capacités et des éléments du décor apportant une composante puzzle vraiment agréable. C’est d’ailleurs dans ces rares moments que le mode coopération devient intéressant, car le game design s’adapte au format et demande un vrai travail d’équipe. Le reste du temps, on s’ennuie autant seul qu’à deux, le jeu étant plutôt un hybride de solo et de co-op. Le level design n’est ni vraiment pensé pour un seul joueur, ni pour deux. C’est dommage, car cette indécision dans la construction du jeu apporte parfois une frustration inutile en solitaire et un ennui en équipe.

Autre élément de déception, le gameplay. Encore une fois on ne peut nier les bonnes idées des développeurs, mais au final, pragmatiquement, la jouabilité se résume à une combinaison de deux boutons permettant de tout faire avec en supplément la gâchette pour sprinter et faire face à des bourrasques. C’est peu et là encore, la redondance se fait sentir. Il est rageant de voir à quel point Okabu a réussi à basculer de bon jeu inventif à ratage sans intérêt à cause d’erreurs idiotes. S’il ne passionne pas dans ses objectifs et dans son gameplay, le titre devient même énervant quand il se montre très bavard pour franchement rien. Il y’a beaucoup de parlote et les dialogues n’ont pas le piquant et la double lecture qu’on aurait pu en attendre. Quand une séquence de cinq bonnes minutes est dédiée à un « diaporama » ennuyeux sur l’histoire des Yorubu, on peut se demander l’intérêt d’une telle démarche. On s’agace aussi quand le jeu remet en cause sa propre logique d’un niveau à l’autre. Il sera par exemple demandé de faire une chose de telle façon dans un niveau et par la suite d’une façon complètement différente sans raison et sans…Explications ! Ces erreurs pourraient être insignifiantes si elles ne se rajoutaient pas à la liste déjà établie plus haut.

Heureusement tout n’est pas noir dans Okabu. Car dans la phrase de Brel il y’a certes « con », nous sommes revenus sur cet aspect, mais il y a aussi « beau ». Et Okabu est beau, très beau. Ses graphismes en Cell Shading rappellent aussi bien Zelda : Wind Waker que Loco Roco, des influences loin d’être honteuses donc. Ce procédé graphique ne demandant pas de texture particulière, le titre est tout simplement aussi beau que n’importe quel autre jeu venant de plus gros studios utilisant le même principe esthétique. C’est mignon, le déplacement des Nuages Baleines est magnifique et majestueux, et l’atmosphère générale donne envie de déménager en pays Yorubu. La musique est elle aussi franchement réussie même si les boucles musicales sont très, très courtes et qu’au bout d’une dizaine de minutes on commencer à titiller le bouton mute de sa télécommande. Enfin, la durée de vie est franchement conséquente pour un jeu PSN 100% indépendant même si, à mon avis, vous aurez lâché définitivement la manette bien avant. En fin de course, ce test commençait d’ailleurs à devenir pénible à réaliser surtout que l’histoire se conclut de façon bien décevante.

Okabu est donc un beau gâchis. Alors qu’il aurait pu combiner sa magnifique esthétique à un gameplay riche et varié, il devient au final ridiculement facile et lourdement explicatif. Même pour les enfants cet abus d’instructions mettra leur cerveau en pause alors que tout le principe du jeu aurait dû reposer sur le travail de celui-ci. C’est répétitif, sans réel intérêt et même le co-op n’est pas assez bien pensé pour rendre les parties à deux sympathiques. Reste encore une fois la beauté de l’univers, les premiers niveaux de découverte et la morale écologique qui fera vibrer les bobos bien-pensants. Pour le reste, Okabu ne vaut vraiment pas le coup.

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