Interview – Axel Shokk (Trip)

Il y a des jeux si délirants qu’on en vient à se demander « qui a pu créer un truc pareil? ». Trip est de ceux-là. Axel Shokk, le savant fou à l’origine de ce monstre vidéoludique nous parle de sa folie et de son ascension…

Bonjour Axel, pour commencer, parlez-nous un peu de vous, votre parcours. Comment êtes- vous devenu l’artiste hétéroclite qui a conçu des expériences comme THAT, TRIP ou prochainement Kat Attack?

Je suis un artiste depuis ma plus tendre enfance, je ne saurais dire si l’art m’a rendu fou au fil du temps ou maintenu fonctionnel. Quoi qu’il en soit, je prête ma folie à mon travail et ça fait des merveilles!

Vous avez un style bien marqué, tant figuratif qu’abstrait. Vos oeuvres ne ressemblent à aucune autre. Comment définiriez-vous votre identité artistique? Quelles sont vos influences?

Je fais un réel effort pour ne pas dessiner comme tout le monde, c’est beaucoup plus difficile qu’il n’y parait. Au-delà de ça, mon style artistique est comme une éponge, et je m’expose quotidiennement à plusieurs œuvres d’art. Il est difficile de déterminer exactement quelle est ma référence majeure, mais beaucoup de personnes m’ont dit que mes illustrations pourraient ressembler à celles de Hewlett s’il travaillait pour Gainax .

Vos premiers travaux sont essentiellement graphiques et en deux dimensions. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux expériences interactives telles que THAT ou TRIP? Qu’apportent-elles selon vous?

J’aime expérimenter différents médiums, quand j’ai commencé à expérimenter l’éditeur de niveau de Quake, j’ai commencé à m’intéresser au level design, je pense que mon usage intensif des Legos durant mon enfance en est responsable. Quand j’ai commencé mes premières maps (ctf_vikings, cyberpunk, and mario_kart pour tf2) c’était surtout pour le fun , mais une fois que j’ai appris à utiliser les outils je me suis dit que je pourrais utiliser le level design comme un médium artistique, c’est là que j’ai décidé de créer THAT. Vous devez savoir que je n’ai aucune connaissance en programmation, ce qui m’a forcé à me poser la question: «Comment puis-je créer un jeu sans une seule ligne de code? » en utilisant un moteur pré- existant est la première réponse évidente, mais qui impose de créer un jeu extrêmement limité. Ce qui s’est avéré mieux que je ne l’espérais, ça m’a forcé à être très créatif et à improviser.

Vous définissez TRIP comme une expérience interactive. Ni tout à fait un jeu, ni dans les canons artistiques contemporains… n’est-ce pas trop difficile de communiquer autour d’une oeuvre inclassable, hors genre?

C’est très dur d’en parler à quelqu’un qui n’a pas joué à Myst ou à LSD: Dream Emulator. Je suppose que je pourrais évaluer la qualité de mon travail à la difficulté que j’ai à l’expliquer!

TRIP a beaucoup fait parler de lui tant dans les médias traitant de l’art numérique que dans ceux traitant du jeu vidéo. Comment percevez-vous la réception de ces médias spécialisés?

Mon intention était de créer un jeu controversé sans offenser personne, en posant des questions telles que « est-ce qu’un jeu reste un jeu s’il n’y a pas de gameplay? » les journalistes me font dire que j’ai atteint mon objectif. La seule manière pour un médium d’évoluer, c’est d’interroger ses éléments fondamentaux.

Cet été vous avez justement participé au Lunarcade festival, spécialisé dans les jeux hors normes. Comment s’est déroulée cette participation? Quelle était votre place dans cette sélection 2012?

L’excellente équipe de Lunarcade m’a envoyé un mail me demandant si j’autorisais TRIP à participer à leur installation, j’étais plus qu’honoré. C’est une honte que je n’aie pas pu aller à Sydney pour voir ça. Cette participation aux côtés de certains des plus grands artistes de ma génération est vraiment fucking cool .

Vous travaillez actuellement sur un nouveau projet, Kat Attack, une action visual novel. C’est un genre plutôt répandu en Asie. Parlez-nous un peu de ce projet? Pourquoi s’attaquer à un tel genre?

Je voulais faire une pause dans la conception de jeux traditionnelle et me concentrer davantage sur la narration. Kat Attack tourne autour de Kat, une jeune fille qui devient une pirate de l’espace et surfe sur une guitare, combattant des mercenaires, des truands et des chasseurs de primes. L’histoire est évidemment beaucoup plus profonde que ça, mais c’est essentiellement ce qu’elle fait, c’est une bagarreuse. Kat est en fait le personnage d’un univers que j’ai commencé à créer il y a quelques années, il y a eu deux autres projets que j’ai tenté de lancer mais qui étaient trop ambitieux, quoi qu’il en soit il y a beaucoup de légendes, de personnages et de contenu que j’ai créé pour ces projets qui traînaient dans un coin. J’ai finalement décidé de donner vie à cet univers d’une manière réaliste, je me suis donc penché sur les visual novels et ai réalisé leur potentiel. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup de visual novels occidentales alors je vais devoir m’attaquer à un terrain inexploré, mais bon, c’est quelque chose auquel je vais devoir m’habituer!

L’expérience interactive et l’action visual novel sont deux genres flirtant avec les limites du jeu vidéo sans en être tout à fait. Pourquoi ce choix récurrent des limites du jeu vidéo?

Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’hémisphère droit de mon cerveau, très largement dominant, ne peut pas intégrer la programmation. C’est quelque chose que j’aimerais apprendre un jour quand j’aurai plus de temps et de ressources. Poser ces limites me pousse à improviser et à trouver des solutions de contournement pour les problèmes qui ne peuvent être résolus que par la programmation.

Envisagez-vous, à l’avenir, de produire un système de jeu? En somme, la création d’un jeu vidéo pur et simple vous a-t-elle déjà effleuré l’esprit?

Absolument, l’une des grandes raisons pour lesquelles je crée ces jeux, c’est de pouvoir mettre suffisamment d’argent de côté pour embaucher des programmeurs et créer un véritable jeu vidéo. J’ai beaucoup de projets en attente jusqu’à ce que cela arrive.

Vous avez pu financer le développement de TRIP grâce au modèle Kickstarter. Vous avez annoncé sur votre blog que Kat Attack serait également financé par ce biais. Pourquoi choisir le financement collaboratif que propose Kickstarter?

C’est une évidence, tenter de pomper un éditeur signifie laisser toute votre puissance créative à leur merci, fuck that . Devenir indie est la meilleure décision que j’aie jamais prise, Kickstarter est un moyen de sauter les intermédiaires et d’interagir directement avec votre public.

Vous avez beaucoup évolué depuis vos premiers travaux réalisés sous le nom de Xenon. Votre persévérance et volonté sont remarquables. Quels conseils donneriez-vous à un artiste qui débuterait dans le milieu?

Quand je mourrai, je voudrais laisser quelque chose derrière moi qui ait du sens et un but pour les générations futures, je pense que beaucoup d’artistes partagent ça. Si j’échoue dans cette mission alors toute ma vie n’aura eu aucun sens. Je suis passé par beaucoup d’épreuves pour arriver là où j’en suis maintenant. J’ai connu de nombreux artistes qui m’ont dit que je m’y prenais mal ou beaucoup de gens ordinaires qui disaient que ma carrière n’était pas un vrai travail. Si vous choisissez de devenir un artiste, vous devez cesser d’écouter le monde extérieur et vous écouter vous-même. Rappelez-vous pourquoi vous êtes tombé amoureux de l’art en premier lieu et ne perdez jamais cela de vue.

Merci beaucoup Axel et félicitations pour vos oeuvres hors du commun. Nous attendons Kat Attack avec impatience!

Avant de conclure, je tiens à mentionner que les chiffres de ventes à l’étranger pour TRIP sont dominés par les Français, donc Merci Beaucoup !  Merci d’être un public qui me soutient tant, vous êtes les meilleurs mwah mwah !

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