Interview – Michael Brough

Avec une trentaine de jeux rien que sur son site, Michael Brough est clairement l’un des développeurs indépendants les plus prolifiques de ces dernières années. L’homme aux multiples casquettes vient d’être nominé à deux reprises en finale de l’IGF 2013 avec VESPER.5 pour le prix Nuovo, et Helix pour la mention honorable dans la catégorie Excellence In Design. A peine un mois après la sortie de Corrypt, le concepteur de Glitch Tank a accepté de nous parler de son parcours avec sincérité, sans jamais tomber dans le conte de fée, ni la tragédie grecque.

Bonsoir Michael. Tout d’abord, quel est ton parcours? Comment es-tu devenu le développeur polyvalent de Vertex Dispenser, Glitch Tank ou plus récemment O et Corrypt?

C’est une question très difficile car tous les aspects de ma vie ont construit la personne que je suis et ont influencé ce que je fais. J’ai étudié les mathématiques pendant plusieurs années, ce qui a clairement formé la manière dont je pense. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours essayé de faire des jeux, tout d’abord quand j’étais enfant en élaborant des variations pour des jeux de plateau et en apprenant seul le BASIC . Récemment, j’ai travaillé très dur pour faire beaucoup de jeux dans l’optique d’améliorer mes compétences en conception.

Quelles sont tes références? Tes influences? A quoi joues-tu?

Les jeux auxquels je me souviens avoir beaucoup joué en grandissant étaient Captain Comic, Commander Keen, Duke Nukem 3D, Starcraft. J’avais aussi un CD avec 201 jeux shareware qui étaient inlassablement fascinant à explorer – beaucoup de ces jeux étaient cassés ou mal documentés, mais en creusant j’ai parfois pu trouver de vraies perles. Je ne pouvais jamais savoir ce que ça allait donner avant de l’avoir essayé. J’ai envie de recréer ce sentiment de creuser dans des mondes mystérieux et essayer de comprendre comme ils fonctionnent. En ce moment j’essaie de comprendre Starseed Pilgrim, qui donne vraiment ce même sentiment.

Ton dernier né, un puzzle-game nommé Corrypt, est sorti sur Ipad récemment. Parle-nous un peu de ce jeu.

Il y a beaucoup plus dans ce jeu que ce qui est évident à la surface. C’est une évolution d’idées de certains jeux de jam que j’ai développé au début de l’année dernière, Game Title et Lost Levels, autour de la connexion d’espaces de manières inattendues. Il n’est pas bon d’en dire beaucoup plus à ce sujet.

On retrouve dans beaucoup de tes jeux, comme Exuberant Struggle ou Zaga-33, un même style graphique très retro et pixel art. Qu’est-ce que tu affectionnes dans ce genre ? Adoptes-tu ce style simplement par nostalgie ?

Ce n’est absolument pas par nostalgie. La principale raison pour laquelle j’ai adopté ce style c’est qu’il me permet de travailler très vite, et de me concentrer sur le game design plutôt que sur l’aspect graphique. Ça m’attire vraiment bien que j’apprécie les choses qui ont l’air un peu étranges et abstraites. J’utilisais un style 3D Vector pour mes anciens jeux comme Vertex Dispenser et Idiolect, mais ça me prenait beaucoup trop de temps à faire. Je pense que je m’améliore dans style avec la pratique, donc maintenant j’y reste fidèle un moment pour voir jusqu’où je peux aller, mais j’aime la variété donc je vais faire d’autres choses aussi.

Tu sembles avoir une inclination particulière pour les jeux de stratégie. Vertex Dispenser et Glitch Tank ont notamment brillé par la profondeur de leur dimension tactique. Qu’est ce qui t’intéresse dans ce type d’expérience ?

Je veux encourager les gens (et moi-même) à penser davantage, à utiliser leur cerveau de manières différentes. Les jeux de stratégie permettent de faire ça de manière efficace, tu dois comprendre comment marchent les systèmes et comment les utiliser à ton avantage, et c’est une compétition de le comprendre mieux que tes adversaires. J’essaie de faire des jeux auxquels je peux également prendre plaisir à jouer, donc ça ne me convient pas s’ils sont tous semblables; les jeux de stratégies sont idéaux pour continuer de proposer de nouvelles situations de jeu auxquelles répondre.

Après la sortie de Vertex Dispenser sur Steam, tu sembles avoir boudé la plateforme. Est-ce par choix ou uniquement par manque d’opportunité ?

Ça a pu être une erreur. J’ai fait des petits jeux très ciblés, et il semblait qu’ils seraient plus difficiles à vendre sur PC. Mais il s’avère qu’ils sont difficiles à vendre partout! J’ai été très chanceux d’avoir
un jeu sur Steam, et je suis reconnaissant d’avoir eu cette occasion. C’est une bien meilleure plateforme pour vendre des jeux que l’iOS App Store.

Tu as beaucoup développé pour l’iPad récemment. Qu’est ce qui t’intéresse dans ce support ? Les fonctionnalités de la tablette ? La politique de diffusion d’Apple?

C’est idéal pour les jeux multi-joueurs parce que c’est transportable, adapté aux rassemblements sociaux, mais suffisamment grand pour accueillir les mains de deux personnes (ou même plus si vous faîtes des choses simples comme des One Button Games à la Centrifeud). C’est la principale raison pour laquelle je suis passé sur ce support, parce que j’ai commencé ces jeux pour deux joueurs et certains d’entre eux semblaient plus adaptés à l’iPad. Maintenant je suis vraiment intéressé par l’exploration des possibilités qu’offre l’écran tactile, avec des jeux comme O qui n’aurait pas pu marcher via d’autre contrôleur.

En 2009 tu as ouvert ton blog, mightyvision.blogspot.fr. Tu y développes une pensée critique sur ton propre travail. Tu sembles parfois traverser des moments difficiles de remise en question. Qu’est-ce qui te pousse à continuer? D’où tiens-tu cette persévérance ?

La plupart du temps développer des jeux est très satisfaisant, et ma motivation vient du plaisir tiré de ce que je fais, de ce en quoi je crois, je créé quelque chose qui en vaut la peine. L’une des choses géniale avec les jeux vidéo c’est qu’ils présentent de nombreux aspects différents – la conception, le code, les graphismes, le son, le marketing – donc quand je suis frustré sur l’un de ces aspects je peux passer sur un autre pour un moment. Sur mon blog, je me plains parfois des parties difficiles, mais la plupart du temps j’écris quand je suis malheureux et je créé quand je suis heureux, donc ça donne une vision unilatérale. Ça reste parfois difficile, mais mes amis et ma famille me soutiennent.

Tes publications présentent aussi un regard particulier sur le milieu dans lequel tu évolues. Que penses-tu de l’état du monde indé contemporain?

Je pense que la variété des choses intéressantes créées est formidable, mais c’est très dur d’en vivre. Il n’y a que très peu de jeux qui y parviennent, et la plupart des indés ne se font vraiment pas beaucoup d’argent. Les jeux les plus faciles à vendre sont les plus familiers, j’aimerai que ça soit plus facile de se faire de l’argent avec des expériences nouvelles et peu communes.

Quel conseil donnerais-tu à un jeune développeur indépendant pour progresser et persévérer?

Faîtes des game jams. Faîtes pleins de choses différentes. Trouver votre propre voie, ne suivez pas juste ce que les autres pensent que vous devriez faire. Soyez prêts à passer plusieurs années à construire votre réputation avant d’atteindre quoi que ce soit. Créez des choses surprenantes. Ayez un plan de secours.

Que prépares-tu pour l’avenir? As-tu un projet en cours de développement?

J’ai travaillé sur un jeu d’action nommé Helix pendant les 6 derniers mois (mais pas à temps plein, j’ai fait d’autres jeux entre-temps). Voici une vidéo du jeu que j’ai faite il y a quelques temps. Je suis tout le temps en train de faire de petites expérimentations, de tester des idées. La plupart d’entre elles échouent, mais occasionnellement l’une d’entre elle grandit tout à coup en un jeu complet, donc je ne sais jamais vraiment ce que je ferai l prochaine fois.

Merci beaucoup Michael Brough. Bonne chance pour l’IGF.

Merci !

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