"Jones on Fire" : Megan Fox en écrit le Post-Mortem

Cet article est une traduction du texte écrit sur le blog de Megan Fox (de Glass Bottom Games), dans la section « Communautaire » du site américain Gamasutra. Le propos est tellement intéressant, sur la vie et la mort de ce petit jeu sans prétention, que j’ai décidé de vous le traduire pour qu’un large panel de joueurs et développeurs puisse le découvrir. Amateurs de jeux mobiles, cet article est pour vous ! Vous pourriez bien faire un triste constat du développement sur smartphones et tablettes…
N’oubliez pas de lire notre test de Jones on Fire, pour mieux comprendre de quel jeu il est question ici. Je précise que la traduction n’est pas parfaite et que si vous êtes à l’aise en anglais, n’hésitez pas à lire l’article directement sur Gamasutra !

Note de l’auteur, Megan Fox : Je dois mentionner que Michael Nielsen était aussi avec moi sur Jones on Fire dès le début. Il a fait la musique pendant le Blaze Jam et est resté avec moi. Nathan Madsen est venu peu de temps après pour compléter les musiques et les effets sonores. Folmer est venu sur la fin pour gérer le promotionnel, les icônes, ce genre de choses. Alors quand vous voyez un « nous » dans cet article, c’est de ce « nous » dont je fais allusion.
« Je déteste écrire la fin.
La rédaction de cet article consiste à mettre fin à Jones On Fire, qui reste une déception. Il était censé être une forte rampe de lancement pour notre studio, le jeu sur lequel nous ferions notre nom. Ironiquement, il a réussi à nous dépiter. Mais n’allons pas trop vite…
J’écris cela maintenant parce que notre prochain projet, Hot Tin Roof, fonctionne fantastiquement sur Kickstarter.  Il a déjà atteint son objectif de financement et avec 68 heures restantes (quand j’écris ces lignes) Il est fort probable qu’il obtienne un Stretch Goal ou deux… Et c’est génial ! Si vous ne l’avez pas encore vu, s’il vous plait allez y jeter un oeil puisque je vais en parler tout au long de ce texte. J’attends.
(Pendant que vous y êtes, peut-être pouvez-vous voter pour nous sur Greenlight. Merci !)
… Vous avez regardé ? Excellent ! Oui, un chaton avec un Fedora, sans blague. Un MetroidVania « Noir ». Ça va être génial !
En tous les cas, il semble que ce soit maintenant le bon moment pour écrire la fin de Jones on Fire. Le kickstarter de Hot Tin Roof se termine et sa fin est un début, on ne peut pas commencer quelque chose de nouveau sans mettre fin à l’ancien projet d’abord. Oui, nous y voilà.

Acte 1 : « Pourquoi un Runner ? »

C’est le printemps dans le Colorado, nous sommes en avril 2012 et j’ai un problème. Cela fait 6 mois que je suis mis à pied après l’annulation de LEGO Universe (sur lequel j’étais Programmeur Graphique Senior) et je n’ai aucun jeu sur lequel baser mon studio indépendant nouvellement créé. Nous avons à notre actif un prototype de metroidvania trop ambitieux, un Kickstarter prometteur, mais raté pour un jeu de course nommé Gravitaz et un essai de jeu Facebook qui n’avance pas. Qui plus est, j’ai dû laisser mon artiste partenaire se rendre chez ceux qui le payent, ce qui signifie qu’à ce stade je suis, plus ou moins, juste moi : un programmeur incapable de jouer les artistes elle-même.
La panique ? Bien sûr que non, je n’ai pas paniqué. J’étais trop terrifiée pour paniquer !
Mais alors, j’ai eu une vision. « Eh bien, les plateformes mobiles semblent être un endroit idéal pour les indépendants de nos jours ». Je me suis dit cela et j’ai fait quelques recherches. « Je voudrais faire un jeu de plateformes en quelque sorte, mais ce serait trop complexe et risque et je ne pouvais pas le monétiser en Free to Play… Alors pourquoi pas un Runner ! ». J’ai décidé que « C’était comme un jeu de plateformes, mais plus rapide à faire et on pourrait probablement le réussir ! Le genre est populaire ! ».
Je ne savais pas que c’était à ce moment précis que Jones On Fire avait échoué, au moins en termes financiers. Mais ce sera pour plus tard.

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Acte 2 : « Je jure que cela ne prendra que 6 mois »

Il n’a pas fallu six mois. Il en a fallu huit. Je ne savais même pas ce que je faisais jusqu’à environ trois mois.
Le Colorado avait subi l’une de ces pires saisons en terme de feux de forêt, alors Dave Calabrese de Cerulean Games a monté une Game Jam de charité pour essayer d’aider. Nommée « Blaze Jam », ce fut pour aider matériellement ceux qui étaient touchés par les incendies. J’ai aidé à ce soutien, on s’est bien amusés et on a récupéré environ 2000 $. C’est pas mal. Pendant le processus, j’ai rencontré Marc Wilhelm, Dave Calabrese et pas mal d’autres personnes qui se sont révélées être de très bonnes personnes à connaître.
Plus important, j’ai dessiné un chat. J’ai eu trois mois pour développer une base de code pour un runner, alors j’ai pensé faire une sorte de Runner, et j’ai commencé à dessiner un pompier sur le tableau blanc. J’ai utilisé un style de « blocs » inspiré des LEGO que je voulais expérimenter et cela fonctionnait, même avec mes stupides mains. J’ai continue avec un chat dans le même style et ça fonctionnait aussi, alors j’ai fait avec. J’ai manqué de temps pour finir le jeu alors plutôt que de créer tout un tas d’animaux divers à secourir, j’ai fini par y mettre que des chats.
À la seconde ou j’ai ajouté des « Miaous » lorsque l’on sauvait des chats, j’ai su que je tenais quelque chose de spécial.
J’ai continué à m’amuser avec après la Jam. Cela tournait sur un iPhone (Unity 3D est incroyable) et j’ai su par mes testeurs que leurs enfants leur prenaient leurs smartphones et ne leur rendait pas. Jones avait des jambes, semble-t-il. J’ai terminé le jeu dans ce style, sans jamais changer réellement la base du jeu que j’avais créé en Jam et je l’ai étoffé de la seule façon que je connais : avec une écriture et des personnages excentriques.
Il convient de préciser sur ce point que ma mère était Technical Editor et Novelist. Aussi, ma grand-mère fut une grande écrivaine et  » Général Badass of the Written Word » et certains de mes premiers souvenirs sont liés à Wordperfect sur ma vieille 80186. Donc oui, je suis aussi une écrivaine, avec un étrange sens de l’humour sarcastique donc si vous ne le saviez pas, c’est ainsi que j’écris. Mais qu’importe, les pompiers…

Megan Fox
Megan Fox

Acte 3 : « Des cratères plus gros que ceux de la Lune »

Jones on Fire est sorti la même semaine que Sonic Dash, Temple Run OZ et les jeux de Outland, tous des runners et tous de grosses productions attachées à de grosses licences avec lesquelles je n’aurais jamais pu rivaliser même en un milliard d’années. Aussi ce fut la semaine de sortie de Block Fortress, un jeu mobile mixant Minecraft et du Tower Defense, ce qui obtiendra à juste titre la première place sur l’AppStore.
Inutile de le dire, Jones On Fire n’a pas eu le droit à une bonne mise en avant. Il fut mis en avant, mais ce fut lorsque Apple révisa sa trop longue liste de « Featuring » et ce fut donc très faible au final. Il était au bas de la liste et dans le dossier iPhones (ce qui veut dire que vous deviez aller tout en bas de la liste puis cliquer sur un bouton pour le voir !). Pour la plupart des joueurs sur mobiles, cela voulait dire qu’il était totalement invisible.
Mais bon, nous étions mis en avant, donc j’étais très excité et je pensais qu’on avait une chance… Excepté qu’il y avait un autre problème. Le jeu était très mal monétisé. J’ai reçu un nombre bien plus faible que prévu de joueurs qui aidaient les Free to Play, même pendant le premier jour, qui est censé être le meilleur jour de tous. Je pense avoir fait 200 $ ce jour-là, et cela est descendu à quelque chose comme 20$ le lendemain, et cela a continué à descendre. Ce qui veut dire clairement que tous mes amis sont venus, ont acheté un peu d’objets, et que les autres joueurs n’ont absolument rien acheté. Je suis bonne avec les nombres et j’ai fait une tonne de recherche, et j’ai pu prévoir comment le jeu allait évoluer… Les chiffres montraient clairement que ce fut un ratage total en terme de Free to Play, dès le premier jour.
À ce point, j’avais deux choix. Je pouvais le laisser en Free to Play, en le laissant boiter pendant des mois, en améliorant la monétisation. Mon autre choix était de retourner à une formule Premium, à 1,99 $, pour essayer de profiter de ce qui me restait de mise en avant. C’était risqué, mais ensuite j’ai pu fuir pendant le naufrage, plutôt que de couler avec.
Ce fut un long week-end et je n’ai pas beaucoup dormi. Au final, j’ai choisi la seconde option. J’ai mis le jeu à 1,99 $ tellement vite que je n’ai pas eu la chance de prévenir du changement toute la presse ayant soutenu le jeu dès le lundi, ce qui fut très confus, je le comprends. J’ai fait du mieux pour expliquer le pourquoi du comment concernant ce changement et j’ai essayé de m’assurer que personne ne soit trop bouleversé. J’imagine que quelques-uns furent un peu chamboulés… Mais que pouvais-je faire ? Je devais faire un choix alors oui, je l’ai fait.

Acte 4 : » Dans lequel le programmeur apprend à boire »

Les choses ne se sont pas améliorées à partir de là.
Ne vous méprenez pas, nous avons eu un fort succès critique. Nous étions sur Kotaku (trois fois, rien que ça), nous avons eu un test élogieux sur Touch Arcade et nous avons obtenu le très convoité 5/5 sur iFanzine. C’était fantastique. Chacun d’entre eux nous a donné des notes élevées concernant le charme du jeu, sont style et sa globalité.
Deux choses nous ont freinées. La première est que les joueurs mobiles, dans l’ensemble, ne se soucient tout simplement pas des commentaires. Les gros joueurs le font, mais il s’avère que les succès mobiles sont plutôt motivés par les masses, ce qui signifie le placement dans le Store, l’Alpha et l’Omégia, et nous n’avions pas de moyen d’attirer ces publics.
La deuxième et la plus importante des choses, et la raison pour laquelle nous n’avons jamais réussi à attirer ces publics, ce fut ce terrible choix, réalisé huits mois avant. Vous vous souvenez ? C’était ce « Fais un Runner, c’est moins risqué ! ».
Chaque commentaire nous précisait que nous étions « un autre Runner ». Nous avons été publié face à trois autres Runner, tous plus peaufinés, tous de studios énormes. Plusieurs Runners ont été plus chaque semaine avant et d’autres ont débarqué les semaines d’après. Nous étions un étrange jeu original dans un genre dominé par de gros budgets et franchises. Ce serait comme sortir un FPS indépendant et d’attendre de rivaliser avec Halo. Nous nous sommes faire rouler dessus. Nous étions si profondément dans un cratère que même la lune s’est sentie mal pour nous.
La même histoire s’est rejouée à chaque nouvelle plateforme ou nous sommes sortis. Nous nous sommes élargis à GooglePlay, Amazon et quelques petites vitrines Android. Nous avons, littéralement, sur chaque mise en avant importante. Nous étions en « Amazon Free App of the Day », nous avons été fortement mis en avant sur GooglePlay et nous avons collaboré (plusieurs fois !) avec des applications de « jeux gratuits du jour ». Le jeu a même été montré à l’E3, grâce à la programmation « Indie 100% » de Samsung.
Il est devenu évident que l’absence de vente que j’avais initialement imputée à une mauvaise mise en place sur l’AppStore s’était révélée être de ma faute, car j’avais réalisé le mauvais jeu. Nous avons fait un Runner alors que tout le monde ciblait d’en faire un avec un budget de plus de 100.000 $. Si j’avais fait quelque chose de plus original, si je n’avais pas joué la carte de la facilité, peut-être que cela aurait été meilleur… Mais pas nécessairement. Lorsque nous avons échoué lamentablement avec Jones on Fire, j’ai cru que HackeyCat (jeu de Ken Wong) souffrirait d’un sort semblable et ce ne fut pas le cas. Alors, disons que ce fut un manque de prise de risque mélangé à de la pure et bête chance.
Tout compte fait, nous avons fait plus de 200.000 installations, principalement via les promotions, ce qui nous a fait obtenir environ 7000 $. Le jeu, en termes de « cout d’un toit, du riz et des haricots pendant les mois de développement  » + les frais de trésorerie, à couté environ 20,000 $.
Clairement, ce fut un échec financier, mais pas aussi grand que celui auquel il ressemblait initialement. Ce qui fut un déchirant 700 $ sur l’AppStore dans les premiers mois est rapidement devenu 4000 $ grâce à Google Play (Ko Kim tu es incroyable, je vous remercie beaucoup pour nous avoir aidé et mis en avant). Cela a alors évolué et au fil du temps, on a obtenu environ 7000 $, et cela continue à augmenter via les ventes GooglePlay et les revenues publicitaires.
Mais ce ne fut pas un échec global. Même pas en y repensant. Ce fut un succès retentissant.

Hot Tin RoofActe 5 : « Derrière chaque nuage se cache un rayon de soleil »

Les finances ne sont pas tout. Oui, j’ai mis mes économies dans ce jeu et je n’ai pas récupéré mon argent. Oui, ça m’a gâché mon expérience sur les plateformes mobiles en général et m’a laissé amer pendant quelques mois. Cela n’a cependant pas tué mon studio de développement.
Après Jones on Fire, j’ai eu de la visibilité. J’ai eu tout un peuple de journaliste qui savait qui nous étions et a respecté le style que nous mettions dans nos jeux. J’ai également obtenu une liste de followers respectable, autour de 1100 en ce moment, et cela continue à augmenter. Plus important : tout le monde veut vraiment savoir ce que nous allons faire après, ils ont vu que Jones On Fire était assez plat, mais avait beaucoup de charme et ce fut un fort prologue pour notre studio. Des gens ont payé plus de 100,000 $ pour ce résultat et moi, j’ai payé seulement 20,000 $ principalement à la sueur de mon front.
J’ai aussi obtenu des revenus mineurs, mais bien existants. Je ne pense pas à la perte des 20,000 $, un cout irrécupérable, mais il suffit de penser aux 7000 $ que j’ai gagné. Entre cela et le reste de mes économies, j’ai eu environ 4 mois de développement et un certain budget pour créer quelque chose. Pas assez pour faire un jeu complet, mais assez pour créer quelque chose de solide. Ce fut un Kickstarter et cette fois, je savais qu’il fallait jouer la sécurité.
Alors j’ai fait quelque chose de logique. J’ai misé sur les chatons.
J’ai pris tout ce qui fonctionnait dans Jones on Fire, les personnages et le style basique, et jeté tout le reste. Alors je suis allé dans une cave et réalisé un prototype de revolver inspiré de Receiver (sans raison, juste parce que je trouvais ça cool à l’époque). De cela est venu l’aspect Detective, l’aspect « Noir ». Mélangez cela avec un peu de Jones On Fire, laissez cuire pendant un mois.
Je savais que cela demandait davantage de programmeurs artistiques, alors j’ai travaillé avec Folmer sur une évolution appropriée de notre style et j’ai envoyé des emails à d’anciens collègues pour voir s’ils pouvaient rendre ce jeu encore plus énorme. Ils en étaient, largement parce que le succès critique de Jones On Fire avait montré que c’était « pour de vrai ». C’est ainsi que démarra Hot Tin Roof : quelque chose de bizarre, quelque chose d’amusant, quelque chose d’unique.
Plus important : Hot Tin Roof est quelque chose dont nous pouvons être fiers. Je savais que je ne voulais pas rater ce qui aurait pu être mes 4 derniers mois en tant qu’indépendant à travailler sur quelque chose de sur. Je suis sorti, je ne pensais à rien quand soudain je me suis dit « Mince, je veux vraiment me donner à fond ! ». C’est ce qui s’est passé et maintenant je suis là, assis sur un Kickstarter réussi d’un montant de 21,791 $ qui grimpe encore. Hot Tin Roof : le Chat qui porte un Fedora existe, vivra jusqu’à l’année prochaine et nous nous en sortons assez sur Greenlight pour espérer sortir sur Steam aussi. Au final, il a de fortes chances pour qu’on réussisse notre lancement l’année prochaine et si nous sortons sur Steam, cela sera aussi le signe d’un revenu continu.
Et c’est ainsi que vous construisez un studio indépendant à base de caprice, de blocs et de chatons. »

Megan Fox

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