Lucius

Shiver Games nous propose un jeu pas banal, fortement (complètement) inspiré de la saga cinématographique The Omen (La Malédiction), centrée sur Damien, le fils de Diable. Ici il s’agit d’incarner Lucius, né le 6 juin 1966, et qui malgré ses 6 ans s’y entend particulièrement à dessouder discrètement toutes les pauvres âmes qui croisent sa route… Le jeu est-il à la hauteur de son modèle ?

The Devil inside

Lucius, c’est une belle promesse. Transposer La Malédiction en jeu vidéo, faire incarner au joueur un enfant démoniaque dans une ambiance malsaine purement diabolique, mais à échelle humaine. Voilà qui est plutôt original. Le cadre est d’ailleurs attrayant : le jeu se déroule dans le manoir Dante, propriété de la famille, dans lequel vaquent bon nombre de domestiques ou d’invités, qui sont autant d’âmes qui raviront Satan. Le jeu n’est pas très joli (en particulier les personnages), mais les lieux sont suffisamment bien modélisés pour donner envie de les explorer. Le manoir est vaste, et sa découverte, l’appropriation de ses couloirs, de ses chambres, des différentes particularités de ses pièces fait partie intégrante du jeu.

Et puis, surtout, il y a les meurtres. Glauques, sanglants et même gores (comme par exemple ce jardinier qui plonge la tête dans une tondeuse à gazon), objectifs de chacune de 18 missions du jeu, ils sont le véritable cœur de Lucius, et imposent une ambiance froide et macabre du plus bel effet. Rarement on a senti dans un jeu vidéo une atmosphère aussi malsaine, très bien représentée par le visage poupon et inexpressif de Lucius, lorsqu’il regarde impassible ses victimes agoniser. Les deux premières missions du jeu sont alors réellement jouissives, tant elles promettent une expérience différente et osée. Puis viennent les missions suivantes…

Dissonances en série

Malheureusement, les choses se gâtent par la suite. Et pas qu’un peu. Par où commencer… Le game design, tout d’abord. La base reste intéressante : chaque mission propose de tuer un nouveau membre du manoir, et il va donc falloir se rendre à ses côtés et trouver un moyen de le faire passer de vie à trépas. Enfin… non, justement. Il ne s’agira pas de trouver un moyen d’assassiner notre victime, il s’agira de trouver LE moyen prévu par le jeu pour ce faire. Car si le manoir est un lieu ouvert, si on y trouve de multiples objets, si l’on dispose de pouvoirs spéciaux (on y reviendra), si les idées ne nous manquerons pas, il ne faudra pas espérer laisser libre cours à son imagination, mais chercher ce que le jeu attend de nous. C’est… frustrant, tout d’abord. Puis, carrément énervant lorsqu’on aborde la chose sous l’angle du gameplay.

Il n’y a qu’une façon de tuer. OK. Pour la découvrir, on nous donne quelques indices… vagues, très vagues. On se retrouve à explorer le manoir sans trop savoir quoi chercher, par moments. Parfois, il faut déposer un objet à un certain endroit, et c’est encore pire. Il s’agit alors de prendre l’objet en main, et de se rendre à l’endroit où le déposer, qui sera indiqué par une flèche à l’écran seulement si l’on se trouve assez près. C’est idiot pour plusieurs raisons : la première, c’est qu’il arrive d’avoir compris ce qu’il fallait faire (déposer l’objet A à l’endroit B), mais de ne pas réussir à le faire parce que l’endroit accueillant l’objet est un petit peu trop vaste et qu’on peine à trouver le spot exact, qui n’a par ailleurs pas de raison de se trouver là plutôt qu’un mètre à côté. Mais c’est en plus aberrant du point de vue de la cohérence : puisqu’il faut avoir l’objet en main, on se retrouve avec un Lucius qui se balade avec dans sa main du poison, ou une pierre, ou une bouteille, et ces objets vont à chaque fois causer un accident. Autrement dit, alors que le but est de se faire discret, on se balade à ces moments avec un panneau « je fais des trucs louches » à la main…

La liberté de déplacement dans le manoir contraste grandement avec l’absence totale de liberté dans la résolution des missions. Si encore le jeu avançait une raison au fait que les meurtres doivent se dérouler d’une manière et non d’une autre (une requête de Satan, par exemple)… mais non. Le game design est tout simplement mauvais. Et ce n’est pas fini…

Les pouvoirs du Malin

Au fil des missions, le Diable récompense son fils en lui octroyant des pouvoirs surnaturels. Une excellente idée, ces pouvoirs enrichissant le gameplay tout en rendant le personnage plus jouissif à contrôler : pouvoir de télékinésie, manipulation des esprits faibles, pouvoir d’oubli, incinération… Voilà qui est plutôt prometteur. Oui mais encore une fois : il n’y a qu’une seule façon de parvenir à ses fins. Autrement dit, l’utilisation de ces pouvoirs, qui paraissent pourtant adaptés à un usage fondé sur le choix, s’avère complètement scriptée, réduisant grandement leur intérêt ludique. Pire, leur utilisation est tout bonnement aberrante. Utiliser un pouvoir nécessite en effet d’appuyer sur une touche qui passe Lucius dans le mode de ce pouvoir. La touche ne déclenche pas le pouvoir, elle se contente de changer de mode. Dans ce mode, Lucius pourra alors déclencher le pouvoir… et seulement cela. Il ne lui sera plus possible, par exemple, d’ouvrir une porte. D’ouvrir une porte ! Sachant que c’est l’action la plus fréquente du jeu, c’est tout de même pénible de devoir switcher d’un mode à l’autre, d’autant qu’il n’y a pas moyen d’assigner la molette au défilement de ces modes. Non, c’est une touche par mode, forcément. Le gameplay devient alors excessivement lourd… surtout dans les moments où pour éviter de se faire repérer, on souhaite disparaître dans une pièce après avoir brisé une ampoule à l’aide de la télékinésie… et qu’on se retrouve bloqué parce qu’on n’est pas revenu en mode normal et qu’on ne comprend pas pourquoi on ne peut plus ouvrir la porte…

Conclusion

Lucius était une belle promesse, et on ne peut s’empêcher de penser que le jeu aurait pu être réussi. Malheureusement, ce n’est pas le cas, loin s’en faut. Si les idées sont là, tout le reste est à la ramasse. Le game design et le gameplay sont à côté de la plaque, et le jeu n’est finalement qu’une épreuve de pénibilité, qui a au moins la décence de n’être pas trop long (selon le temps que l’on passe à errer à la recherche de ce que l’on est supposé trouver, il faut compter entre 6 et 8 heures). Et encore, seuls les plus motivés et les plus sensibles à l’ambiance (malgré tout réussie) iront jusqu’au bout…

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