This War of Mine

Bercés que nous sommes sous le flot incessant des balles numériques de guerres toutes autant artificielles, un studio indépendant de corps et d’esprit a soudainement décidé de dire stop. Ainsi commença l’aventure de This War of Mine, la guerre qui fut mienne. Ce jeu n’est pas joyeusement idiot comme on pourrait l’être dans une espèce d’appel du devoir au patriotisme béant. Traditionnellement dans une guerre, il y a deux côtés. Ce qui y sépare les gentils des méchants, c’est ce que l’histoire en retiendra. Et elle ne retient qu’une chose, c’est la victoire. Pourtant, il existe un troisième côté relégué très souvent au rang anecdotique de dommage collatéral, de donnée statistique morbide ou de figurant d’un conflit qui les dépasse. Ce sont les civils. C’est leur histoire qu’on va essayer de nous raconter.

3 petits cochons dans une maison de paille

Pavle, Bruno et Katia ne sont que quelques noms lancés dans cette bataille quotidienne pour la vie. Ils sont choisis par le jeu au hasard parmi d’autres anonymes qui devront jouer le rôle que vous leur donnerez. Qu’ils aient été ancien footballeur de talent, cuisinier renommé, journaliste en devenir ou scientifique de génie, tout cela importe peu désormais. Les voilà condamnés à survivre en grattant de-ci et de-là le peu qu’ils trouveront pour se sustenter ou se soigner. Leurs journées se ressemblent et s’assemblent dans leur démarche répétitive. On fouille, on construit à l’aide d’un établi du nouveau mobilier.

Un poêle pour commencer et se faire des petits plats un peu moins frugaux. Un ou plusieurs lits ensuite, selon les ressources disponibles. Il sera toujours plus agréable de dormir sur ces matelas de fortune plutôt qu’à même le sol, dur et froid. La journée passe assez vite. Juste le temps de manger un bout, de faire un peu de bricole et finalement de se préparer pour la nuit.

La nuit est cruciale. Elle n’est pas évidente non plus. Enverrez-vous quelqu’un fouiller les bâtiments alentours ? Qui pourra dormir pendant ce temps-là ? Peut-être faudra-t-il en désigner un ou une pour tenir la garde de votre refuge. Ces choix vous appartiennent. Car si vous pouvez investir d’autres demeures afin de trouver de précieuses ressources, votre maison pourra également être sujette à l’assaut de gredins affamés, fatigués et sans aucun doute tout aussi effrayés que vous.

Durant ces parties nocturnes, il faudra faire très attention. Si bon nombre des individus rencontrés ne seront pas forcément des adversaires sanguinaires, à l’image de ce prêtre désabusé que vous le voliez alors qu’ils ont déjà si peu, quelque fois ils seront brigands, soldats gardant un point de contrôle ou de simples personnes désespérées tentant de préserver le peu qu’elles possèdent. Ces phases-là sont bien plus excitantes que celles de la journée. Littéralement plongé dans l’obscurité, vous devrez avancer à tâtons. Quelques indices visuels vous serviront à repérer les mouvements dans d’autres pièces (humains ou rats ?) sans pour autant voir avec exactitude. Votre charognard de l’ombre ne verra en effet que ce qui se trouvera dans son champ de vision. D’où la nécessité d’être prudent et de bien évaluer les risques. Fouiller peut vous faire faire beaucoup du bruit. Et se manger une balle de revolver peut dès lors très vite arriver.

Voler ou ne pas voler. Blesser ou ne pas blesser. Tuer ou ne pas tuer. Chaque décision implique des conséquences qui ne seront pas forcément immédiates. Les individus que l’on manipule ne sont pas de simples marionnettes. Ce sont des êtres qui pensent et qui ressentent. Franchir certaines limites morales avec un personnage peut l’amener à cogiter sur ses actes. Trucider un vieux couple pour un peu de nourriture pourra pousser aux remords puis au suicide le meurtrier ainsi créé par les actes que vous lui aurez imposé.

Parfois, la fatigue de leur âme ne les fait même plus répondre à nos commandes. Ils se laissent mourir. L’espoir est mince, et ne peut être entretenu que par un peu de réconfort pour le corps et l’esprit. Trouver de la nourriture satisfera les estomacs. Un peu de tabac ou d’alcool apaiseront les humeurs. Aider de jeunes enfants à soigner et sauver leur mère remplira les cœurs d’optimisme pour un avenir meilleur.

Looter n’est pas tuer

This War of Mine fonctionne par le biais de mécaniques de jeu très classiques. La survie n’est pas ici en soi très réaliste et volontairement exagérée. Vous devez récolter diverses ressources de bois, métaux, nourriture, etc, qui vous serviront ensuite à créer des outils comme une pelle ou un pied de biche, des plats un peu plus sophistiqués et nourrissants, du mobilier pour la vie quotidienne, ou encore des armes, même à feu. Bien que ces dernières soient assez rares.

L’interface est simple. Il n’y a pas d’hésitation à avoir et on comprend très vite ce qu’il faut faire. Les menus comme les protagonistes à votre disposition sont manipulables du bout d’un clic. La jouabilité est naturelle et c’est instinctivement que l’on s’engouffre dans cette expérience peu commune sans forcément avoir besoin de milles explications sur comment ce petit monde fonctionne. Des icônes claires, des menus simplifiés. Tout semble être fait pour offrir une fluidité continue dans les actions du joueurs. C’est un système de jeu qui se veut très intuitif. Et c’est réussi.

La vue adoptée est en deux dimensions de côté, fonctionnant sur un scrolling horizontal, avec un zeste de verticalité vu que l’on évolue dans des maisons et des immeubles en tout genre. La représentation se fait dans un graphisme très sombre, en clair-obscur avec une stylisation qui use et abuse d’un effet crayonné. Avec les murs des pièces et des maisons que l’on explore, avec les différents personnages que l’on croise qui ne parlent que par le biais de phylactères, on a parfois l’impression d’être dans une bande dessinée qui prend vie. Les dits murs servant de cases.

Nos héros qui n’en sont pas vraiment se différencient quant à eux par des aptitudes spécifiques. Par exemple, Pavle, ancien footballeur professionnel, peut courir plus vite. Cela le mettra donc souvent en position de fouineur la nuit tombée. Sa vitesse lui permet en effet de s’échapper très rapidement, ce qui s’avère être un atout dans certaines situations délicates.

Il faut dire qu’ils sont fragiles. Ils peuvent se blesser légèrement ou tomber malade. Ils peuvent aussi attraper un virus contagieux ou se prendre une balle. Leur condition peut très vite passer de gérable à critique. Et c’est sans oublier le moral. Tous ne tiendront pas le coup si vous les contraigniez à tuer/dérober/molester d’autres êtres humains. Ce ne sont pas des soldats (prétendument) sans remords et sentiments. Tuer quelqu’un est un acte important qui touche un point de moralité essentiel chez eux, et très certainement chez le joueur qui ne se sera pas trop distancié du jeu. C’est le but de This War of Mine qui a trouvé l’inspiration, si je puis dire, dans les témoignages de victimes de la guerre venant renforcer l’ambiance plutôt réaliste de l’ensemble.

Si on ne peut s’empêcher d’y trouver une forme d’exagération dans la forme, la sincérité demeure prédominante. Chaque fois que le joueur prend une décision, il va se retrouver confronté à des conséquences inhabituelles. En général, dans un jeu de guerre, on tire sur des vagues d’ennemis sans se poser trop de questions. Ce ne sont après tout que des jeux de tir aux pigeons numériques améliorés qui sont intéressants non pas pour le propos qui se cacherait derrière cette tuerie de masse, mais plutôt dans le côté jouissif d’un pur amusement où nos réflexes seraient mis à dure épreuve.

Seul(e/s) face à notre conscience

Ce n’est pas le cas ici. This War of Mine ne verse pas dans un manichéisme naïf, et évite de prendre parti. Le seul juge de ce qui s’y passe reste le joueur et le comportement des personnages qu’il dirige. Ces derniers par leurs réactions deviennent alors un miroir pas forcément toujours très flatteur de nos décisions. Un tir d’arme à feu est toujours lourd de conséquences et ne se résume pas à un point de plus dans un tableau des scores. C’est d’ailleurs sur cet aspect qu’il réussit sa prise sur le joueur qui se sera laissé happé malgré l’atmosphère étouffante.

Il n’est finalement qu’un jeu de survie en milieu hostile se basant sur une gestion minutieuse de nos ressources. Ce qui le met à part d’emblée se trouve dans la façon qu’il a d’articuler un tissu narratif autour de ses mécaniques de jeu sommes toutes déjà vues. Maîtrisées bien que parfois répétitives, ces dernières permettent la construction d’une histoire qui devient très vite personnelle, intime même. Par leurs réactions, leurs conditions physiques ou spirituelles, nos survivants nous racontent quelque chose d’important.

La mort de chacun d’entre eux amène une forme de fin peu satisfaisante, bien évidemment. Cette fin nous conduit à un résumé de nos journées passées ensemble sous la forme d’un journal rempli de photographies. L’occasion d’un bilan froid et sans avis sur ce que l’on a fait. Voire se côtoyer une journée où une bonne action a été faite suivie d’une autre où un meurtre a été commis nous ramène très vite à cette réalité que rien n’est vraiment noir ou blanc. Le mot de la fin est laissé au joueur qui est alors le seul juge de ses choix.

Heureusement, si vous arrivez à tenir un peu plus d’une quarantaine de jours, une fin tout aussi sèche mais plus positive vous est offerte, toujours sous la forme d’un compte rendu. Après les morts, la maladie, la famine, les déceptions, les agressions, une fin peut-être optimiste est permise. Y arriver est une autre paire de manches, la difficulté étant réelle. Il faudra donc apprendre à perdre quelques fois avant d’en voir le bout.

Conclusion

This War of Mine est une surprise totale. Il n’éblouit pas par son originalité vidéo-ludique étant donné qu’il reste un jeu de survie au fonctionnement assez simple. Il se démarque véritablement par son propos très anti-guerre, son plaidoyer ouvertement en faveur des grandes victimes des conflits armés, les civils. Et ce en l’articulant de façon subtil dans ce fameux gameplay pourtant si classique. On pourra regretter une re-jouabilité quasiment nulle, une seconde partie semblant inutile le jeu terminé une première fois par manque d’un réel renouveau. L’ambiance incroyablement pesante risquerait aussi d’en faire fuir quelques uns. L’expérience en vaut pourtant le détour, car ce n’est pas souvent qu’un jeu ose aborder le sujet grave de la guerre et de ses conséquences avec autant de sens et de profondeur sans pour autant verser dans la propagande facile. Il n’y a pas de parti pris. L’interprétation de ce dont vous serez témoin, vos choix, tout cela vous appartient à vous, et à vous seul.

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