Undertale

Si je vous dis Undertale, ça vous parle ? Normalement si vous n’avez pas passé ces deux derniers mois dans un goulag en Sibérie vous devriez savoir qu’il s’agit d’un J-RPG indépendant s’inspirant de la fabuleuse trilogie des Mother de Shigesato Itoi (acteur, essayiste et parolier de son état ce qui en dit long sur la qualité de la narration) disponible tout d’abord sur la vénérable FAMICOM de Nintendo, qu’un humour loufoque et un ton décalé inédits avaient propulsé dans le cœur des amateurs de RPG à la sauce nippone de l’époque. La trilogie est sortie sur Super NES et enfin sur Game Boy Advance et Wii U plus récemment. (Enfin, pour ceux qui sont passé outre les critiques lamentables des journaleux du début des années 90’ pour les deux premiers). Et bien l’on dit d’Undertale qu’il en serait le digne successeur, certain osant même l’appeler Mother 4 !

Mother-like

Impossible de parler d’Undertale sans parler de Mother ou plutôt Earthbound qui parlera sans doute plus à nos lecteur (ou pas ?) étant donné que c’est le nom Occidental du jeu. Il s’agit à la base d’un J-RPG contemporain ce qui pour l’époque était assez rare pour être souligné. Une écriture bien ficelée et un humour absurde en devint la bannière qui se voulait en décalage complet par rapport aux standard du J-RPG d’alors. D’abord graphiquement car bien plus simpliste que les productions habituelles de cette décennie mais aussi par un scenario qui pour une fois ne nous envoyait pas l’épée a la main, sauver une princesse. On y incarnait Ninten qui avait pour mission de sauver le monde d’une invasion extraterrestre et qui, chemin faisant se liait d’amitié avec des personnages qui aillaient l’aider dans sa croisade, dont le bestiaire fut aussi improbable qu’hilarant : hippies, zombies-gangster, fantômes et j’en passe, Undertale reprend les même codes et les améliore.

Undertale reprend également certaines mécaniques d’Earthbound comme par exemple un inventaire limité en nombre d’objets ainsi qu’un menu permettant de parler ou inspecter un PNJ, ou parfois même un objet, ainsi que le combat en vue subjective avec un menu permettant de choisir des action contextuelles. Mais si on veut vraiment y trouver une ressemblance c’est avant tout au niveau de l’ambiance du jeu et du ton surréaliste de la narration qui cherchera avant tout à vous faire rire et à vous surprendre.

À l’ancienne

Toby Fox, son créateur est avant tout musicien, et cela se ressent bien. La bande son est d’une efficacité redoutable et se fait le vaisseau fidèle et fluide d’une narration appliquée qui n’a de cesse d’appuyer les situations dans lesquels vous serez pleinement impliqué. C’est un jeu à jouer les yeux fermés pour ainsi dire, tant le contraste est élevé entre la qualité sonore et la pauvreté graphique qui se veut assumée et au final bien secondaire. Undertale n’est pas un jeu fait pour vous flatter la rétine et si la qualité graphique fait partie de vos impératifs, passez votre chemin, Vous n’y jouerez que pour l’histoire et l’humour et s’arrêter à l’esthétisme vous privera de l’essence de ce titre de manière cruelle, la richesse et la complexité des personnages vous passeront au-dessus de la tête et vous crierez « remboursez » avant d’avoir fait cent mètres.

Il est tout de même impressionnant de voir le nombre de bonnes idées que ce jeu présente et ce qui me choque le plus c’est de ne les avoir vu nulle part avant. Un exemple : le jeu cache des fichiers spéciaux sur votre disque dur lors de votre progression et sauvegarde automatiquement vos choix et vos actions afin de vous y confronter lorsque vous recommencerez le jeu. Inutile alors d’effacer vos sauvegardes pour espérer repartir à zéro, le jeu se souvient de tout ! Vous croiserez un personnage que vous avez rencontré dans vos parties précédente et il vous parlera de vos décisions passés et en débats même avec vous, incroyable… mais vrai. Et des surprises comme ça Undertale en regorge, je ne vous parlerais pas du scenario, hors de question de spoiler votre expérience de jeu et il ne s’agit pas d’un jeu qui se raconte, il doit être vécu, plusieurs fois même afin d’en profiter pleinement.

Toujours étonnant !

Les combats dans le jeu sont des sortes de QTE propres à chaque adversaire ou presque. Lorsque votre ennemi tentera de vous toucher, un mini jeu débutera sensiblement similaire a un shoot’em up apparaîtra. Vous devrez jongler entre les paternes de votre adversaire, un savant mélange d’adresse et de roleplay car en plein combat vous pourrez décider de parler ou tenter des actions contextuelles qui dépendent de vos décisions durant la narration mais aussi de l’adversaire. Pas moyen de s’ennuyer ou d’être blasé, c’est la surprise à chaque fois, le tout supporté par une difficulté bien dosée. Et cerise sur le gâteau, vous pouvez finir le jeu sans tuer qui que ce soit.

Les personnages sont véritablement agréable à côtoyer. Ils sont bien entendu tous excentriques et hauts en couleurs, mais impossible d’être impassibles face à un flot constant de gags puérils et de blagues stupides qui jalonneront des moments plus sérieux, riches en émotions et immersifs. Une histoire presque épileptique animée par un caléidoscope de personnalités fortes et bien tranchées, toujours intéressantes, qui prendront un malin plaisir à briser le quatrième mur et jouer avec les codes conventionnels des jeux de rôle. Essayez par exemple de vendre vos objets a un vendeur et il vous enverra bouler en vous disant un truc du genre : « hey je vends des glaces moi, je n’achète pas ton bordel, je ne suis pas antiquaire. »

Ce qui m’a le plus marqué c’est que pour une fois, je ne jouais pas au jeu, mais avec le jeu. J’ai pris un malin plaisir à découvrir une construction narrative presque sans limites qui vous laisse autant de liberté qu’il est possible dans vos dialogues et vos actions, et je ne parle pas d’un point de vue géographique. Non, la liberté c’est de pouvoir dire à un personnage qu’on ne le comprend pas, lui faire croire qu’on est trop bête pour participer à son petit jeu et qu’à ma grande surprise le personnage me dise « OK, bon, ben je m’en vais ! » et il vous laisse passer là ou normalement vous deviez affronter une épreuve. Vous l’avez pris pour un con, et ça marche !

On y rejoue, encore et encore…

Evidemment vous vous doutez qu’une qualité d’écriture pareille vous permettra enfin de faire des choix ayant de réelles conséquences et franchement c’est de plus en plus rare dans le monde du jeu de rôle vidéo-ludique malheureusement. Il vous faudra donc vivre l’aventure plusieurs fois afin de découvrir les différentes fins et bien évidement, ce que l’on considère comme la « vraie » fin l’est uniquement parce qu’elle vous expliquera en détails certains évènements incompréhensibles autrement.

Un rythme de croisière confortable, ni trop, ni trop peu, comptez huit heures en moyennes pour terminer un run. Mais la re-jouabilité excellente de ce titre vous procurera facilement une quarantaine d’heure pour tout découvrir, sans user pour autant d’artifices comme des quêtes « fedex » bidon ou des collecte d’objets. Non, ici tout est dans les mécaniques de gameplay et l’histoire. Je salue donc l’artiste et l’œuvre, puis vous encourage vivement si vous êtes rôliste (ou pas d’ailleurs) à vous lancer dans cette aventure d’apparence un peu chiche mais qui en vaut franchement le détour. Un ovni dans le paysage actuel du jeu de rôle qui saura vous séduire par son ton unique et sa musique à tomber.

1 réflexion au sujet de « Undertale »

  1. Effectivement, l’écriture du jeu est ce qui en fait un titre particulièrement remarquable. Je serais moins sévère sur l’esthétique du jeu, ou en tout cas moins arbitraire : c’est assez étonnant de lire à propos de ce jeu qu’il souffre d’une « pauvreté graphique », alors que son créateur semble avoir donné autant d’attention aux visuels qu’à l’écriture des dialogues, la conception de l’univers, ou la composition de la bande originale. À mon avis, le rédacteur de cette critique confond sobriété et pauvreté.
    Le jeu fourmille de détails graphiques qui contribuent à le rendre tout aussi intéressant à explorer visuellement qu’intellectuellement. Chaque pnj, chaque monstre a sa personnalité graphique, et on ne peut pas s’empêcher de remarquer l’inventivité du créateur pour concevoir une foule de personnages uniques, qu’on aura plaisir à découvrir en passant, ou à retrouver (et reconnaître !) plus tard dans le jeu. De la même manière, les backgrounds et objets de décors sont très variés et réalisés avec précision, et cachent un grand nombre de clins d’oeil, de petites surprises ou secrets qui alimentent le plaisir visuel.
    D’autre part, le jeu comporte différentes graphies, et jongle entre elles pour obtenir différentes expériences de gameplay et de narration (l’exemple le plus frappant est la rupture entre scènes de « combat » en palette quasiment bichrome et vue subjective, et le reste du jeu, en vue rpg avec une palette très large). Pour aller plus loin, il se nourrit de nombreuses traditions graphiques vidéoludiques (il y a quasiment une petite histoire des graphismes rpg à travers les sprites d’Undertale) qu’il fait coexister, et qui donne au jeu une pâte hétéroclite, sans cesse renouvelée, et même étrange, dérangeante (du moins pour quelqu’un qui s’intéresse de près aux graphismes pixelart).
    Il y aurait aussi des choses à dire sur les animations, qui si elles restent limitées par la taille des sprites, colportent énormément d’intentions, ajoutent encore aux pnj une personnalité, et participent pour beaucoup à l’humour du jeu et à ses qualités de mise en scène.
    Que le rédacteur de ce test n’aie pas apprécié l’esthétique du jeu est une chose, qu’il puisse décrire le jeu comme pauvre visuellement en est une autre, qui me dérange puisque cela me semble infondé. Sans utiliser de qualificatif de « beauté » qui après tout n’avancerait pas vraiment l’argumentaire, les sprites du jeu sont tous globalement réalisés avec soin et qualité, et les quelque maladresses qu’on pourrait relever ne constituent absolument pas un repoussoir. Parmi elles, le sprite du personnage principal, par exemple, m’a semblé très maladroit dès les premières secondes de jeu, il n’est en tout cas absolument pas séduisant.
    C’est assez intéressant, puisqu’il s’agit de la constante visuelle du jeu. Mon premier réflexe a été de me demander comment un designer pouvait se permettre de « rater » à ce point l’avatar du joueur sur lequel il est censé se projeter jusqu’à la fin du jeu. Or la philosophie générale du jeu et ses mécaniques de gameplay poussent à focaliser son attention sur les pnj, et pour caricaturer un peu, à prendre en compte les émotions des personnages dans sa prise de décision, à chercher à les comprendre (artificiellement) pour leur plaire ou participer à leur bien être (ou pas). Très vite, mon attention sur l’avatar s’est complètement dissipée, au point de ne plus le voir et de ne le considérer que comme l’interface entre le joueur et son environnement. Je me demande sincèrement si la réalisation graphique du sprite n’est pas un choix délibéré du créateur pour opérer le changement de paradigme assez explicite du jeu : mettre de côté ses motivations individuelles pour aller vers l’autre, communiquer et questionner les rapports de violence entre individus.
    (désolé pour ce pavé, et merci pour cette chronique qui souligne justement la qualité et l’originalité de ce titre)

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