Reportage au ScreenShake 2016

Depuis 4 ans, le Screenshake (anciennement Free To Play) prêche la bonne parole indé au cœur de la ville d’Anvers. Petit frère flamand de l’A Maze, le festival belge s’évertue à regrouper talks, expo, performances et concerts. Le gros du festival se tenait au Het Bos, agréable lieu fourre tout, où s’enchaînent concerts punks, projections de films expérimentaux et rassemblements en tout genre.

Entre deux bières bio, le festivalier pouvait explorer sainement l’immeuble coquettement aménagé, en quête de jeux étranges et fascinants.

Line Wobbler : des aliens au plafond

À mon arrivée, dans le hall d’entrée du Het Bos, une rangée de curieux fixait, le nez en l’air, la source d’un capharnaüm de bips punitifs et gras, captant toutes les attentions. Pour s’immiscer vers l’objet, il fallait grimper au premier étage, traverser la première pièce d’expo et atterrir sur une large passerelle, un joystick accroché à la rambarde.

La fine ligne de LEDS pendue dans le vide révélait Line Wobbler, jeu alien pour humain curieux. Dungeon crawler 1D, l’œuvre de Robin Baumgarten transforme toute explication des mécaniques en spoiler honteux, tout comme Mirrormoon ou Starseed Pilgrim avant lui.

Qu’importe! Il y a déjà tant à dire sur la flexibilité et l’intelligence de l’installation. Collé sur le comptoir d’un bar, au plafond d’une chambre, avec un ou deux joystick… Line Wobbler épouse les formes, s’adapte, se métamorphose. Jeu d’action trépidant au design léché, ce long trait lumineux reste très difficile à appréhender en vidéo. Pour être apprécié, il doit être joué…

Des marmots, un couteau

Sorti de la salle Line Wobbler, le festivalier tombait nez à nez avec la collection de jeux indés exposés. La sélection portait un objectif bien défini : offrir au néophyte comme au spécialiste, un panel de jeux indépendants varié, de l’expérience narrative Her Story au action puzzle halluciné Soft Body.

Les samedi et dimanche après-midi, les familles investissaient l’espace, laissant les marmots découvrir The Witness et autorisant leurs parents à se saisir de Firewatch. Malgré sa devanture punky, le Screenshake se veut familial, accessible. Le but étant de sortir le jeu indé de sa niche d’experts, sans toucher aux œuvres mais plutôt en posant les œuvres sur un piédestal.

Inconvénient, ce piédestal donnait mal aux pieds. Victime d’une installation portée sur l’esthétique, elle en oubliait les spécificités des différentes attitudes ludiques. Il fallait constamment jouer debout. Pour un Downwell, qui s’était vu doté d’une pédale comme contrôleur, rien de gênant. Mais pour l’aventure Firewatch, nous aurions préféré un fauteuil…

Défaut mineur vu le chouette rendu de l’installation. Circulaires, ces formes en bois (conçues par les frères Devillé) dessinaient un parcours en spirale, nous poussant à scruter chaque jeu, accroché sur l’installation.

Au bar, on croisait parfois le cruellement drôle Knife To Meet You, dévoilé à l’improviste par Joon, organisateur du festival et maître souterrain du jeu vidéo alternatif. Fabriqué en 2015 à la Zoo Machine, la bestiole se joue à trois, avec un seul doigt. Chaque joueur doit presser son bouton tout en évitant un un couteau de cuisine bien aiguisé… Une version gentillette et contrôlée de la roulette russe en somme.

Hallucinations collectives

Durant quelques heures, le samedi, un trio de jeux musicaux s’invitait dans la salle de concert. Sur la scène, calé dans un large canapé, j’arpente Thumper et Panoramical, devant un public hypnotisé.

L’écran géant se prêtait parfaitement à ces deux expériences irréelles. Avaler la route dans Thumper provoquait frisson et excitation. Les monstres psychédéliques que semblait dessiner la route n’effrayaient plus, perdant le joueur dans des zones déconseillées par la brigade des stups.

Mais la palme de l’hallucination collective doit être offerte à Panoramical. Simulateur illuminé de vjing, l’œuvre de Fernando Ramallo et David Kanaga scotchait toute la salle. Maître du contrôleur midi, nous pouvions moduler image et son, strier le ciel de tiges blanches, creuser un canyon bleuté… Entreprise synesthésique jusqu’au boutiste, Panoramical impressionne par sa large palette de possibilités.

Espace Klondike : silence on joue

Au deuxième étage, isolé, secret, trônait le Voidspace du collectif français Klondike. Coupé en deux, l’espace divisait son territoire entre atelier mystérieux et salle intimiste aux couleurs feutrées.

À droite, une simple machine en carton nous invitait à entrer un mot pour visualiser les secrets de notre esprit. La Zinemachine régurgitait notre mot tapé au clavier, sous forme de BD à plier soi-même.

De l’autre côté, un silence religieux régnait dans une pièce rougeoyante et douce. Aux creux des rideaux se tenaient différents jeux et installations du collectif. Au fond, le Ghost Pond de Titouan Millet, fable esthétique en forme d’aquarium numérique.

À gauche, Orchid To Dusk de Pol Clarissou. Conte expérimental et écologique, le jeu met en scène un cosmonaute condamné à errer sur une planète désertique, jusqu’à sa mort. Son dernier souffle fait naître un oasis, égayant quelque peu le décor ensablé. Infini, l’œuvre retient le passage de chaque joueur et les corps de nos prédécesseurs peuvent être aperçus au coin d’une dune, au sommet d’un rocher…

La Zinemachine régurgitait notre mot tapé au clavier, sous forme de BD à plier soi même.

Auteurs, utopies et dinosaures

Mais au delà des jeux, des expériences interactives, contemplatives, des installations chiadées, le point central du Screenshake reste les talks. Situé à quelque mètres du Het Bos, le Felixarchief recevait les speakers pour deux après-midis non stop de speakers haut en couleurs.

Parmi ces intervenants, j’en retiendrais quatre : Nathalie Lawhead venue présenter ses jeux, Lana Polanski et sa sélection de jeux indé ’90s, Marie Foulston et sa défense du joueur comme auteur, enfin, Paolo Pedercini (alias Molleindustria) pour son discours parodiant les travers politiques de Sim City.

Nathalie Lawhead utilise internet comme thème pour propulser ses jeux vers de nouveaux horizons. Esthétique E.C/DC comics, S.F années 50, tout cela plongé dans un rétro présent où se côtoient dinosaures et mèmes internet. Je ne parle absolument pas de sa conférence ? Normal, j’étais bien trop subjugué par le maelström parano-dément d’Anatomically Incorrect Dinosaurs pour suivre quoique que ce soit !

À contre courant du discours dominant, Lana Polanski -blogueuse et écrivaine- s’est attelée à déterrer les game designers secrets des années 80/90. Elle nous parlera de Theresa Duncan, Mel Croucher et Osamo Sato, tous fondateurs de jeux antérieurs aux productions de ce qu’elle appelle les indie darlings, nos rock stars de l’indé post 2008.

Apte d’une théorie un peu étouffée depuis les ’60s, Marie Foulston, curatrice du V&A et du Wild Rumpus paraphrasait Roland Barthes. L’anglaise défendait la naissance du joueur sur les cendres de l’Auteur. Elle évoquait Minecraft et son armée de joueurs créateurs, passant par la case mod, insistait sur la force de l’interprétation, “l’active design”, en s’amourachant de l’expression d’un “magnifique chaos”.

Caustique et militant, le cerveau et corps de Molleindustria nous servit un beau talk, détruisant la supposée neutralité politique de Sim City. Paolo Pedercini nous fit part d’une expérience tentée au sein du city builder. En préparant une belle cité bourgeonnant d’espaces verts, il provoqua le mécontentement de la population. Agacé, il repartit de zéro en fondant une forteresse verticale, reléguant pauvres en contrebas et riches en hauteur, offrant aux premiers une situation peu enviable. À part le grommellement d’une portion de la population, il ne vit poindre aucun renversement majeur de sa majestueuse agglomération. De quoi rappeler les 3000 dollars de Will Wright donné à McCain pour sa campagne…

III concerts : chiprock et absurde belgitude

"Chop Suey" de Theresa Duncan
« Chop Suey » de Theresa Duncan

Les nuits de vendredi et samedi étaient consacrées aux concerts. Samedi fut explosif, avec en ouverture un David Kanaga bordélique, suivi par une ribambelle de groupes chiptune. Et au milieu de cette masculinité musicale, Kania Tieffer, revenue d’entre les morts.

Musicienne belge electroclash, Kania Tieffer, disparue de scène depuis une poignée d’années, réapparaissait pour une unique date. Entrelaçant ses riffs de guitare sales et déglingués entre des paroles franco-anglaises absurdes et minimalistes chargés de saillies electro-noise, Kania servit un set extraterrestre face à parterre hélas clairsemé.

Je terminerai cet article par l’intervention généreuse de Please Lose Battle. Formation basse, batterie, nes, vjing, PLB participe de cette tendance chiptune qui tend à mélanger instruments existants et anciennes consoles. Le trio déchaîne ses influences et bouscule les cases. Chamboulant rock, pop, hardcore, metal et Megaman 2, le déracinement des styles emporte les compositions dans le feu d’une chasse éruptive de sons. Comprenez, c’est un bordel sacré et maîtrisé, secondé par un panel de visuels expérimentant une narration déstructurée.

3 réflexions au sujet de “Reportage au ScreenShake 2016”

  1. Premier festival francophone dont j’entends parler où l’on trouve Panoramical ! 😀 Et c’est pas le seul gros point positif, on dirait.
    Ça donne furieusement envie de se rendre à la prochaine édition.^^

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  2. C’est pas vraiment francophone, tout est en anglais (talks etc) et le festival se déroule dans la partie flamande de la Belgique.

    Oui effectivement c’est un chouette festival! 🙂

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