Depuis leur création en 1999 et la sortie d’un jeu éponyme sur PC et Xbox en 2003, Yager s’est surtout fait remarquer par son Spec Ops : The Line en 2012. En 2015, Yager s’est vu retiré le projet Dead Island 2. Depuis, Isaac Ashdown, Rafal Fedro et Jan David Hassel sont partis du studio pour créer l’indépendant InBetweenGames. Ils nous présentent aujourd’hui leur premier jeu commercial à venir : All Walls Must Fall.
Bonjour et merci à toute l’équipe de InBetweenGames pour cette interview. Vous avez plutôt bonne réputation dans l’industrie avec votre travail sur Spec Ops : The Line et maintenant, vous êtes un studio indépendant. Pourquoi ce choix ?
Nous avons décidé de lancer ce studio pour prendre en main notre destin. Travailler en tant que développeur AAA nous a permis d’obtenir une grande expérience professionnelle et la confiance qui va avec. Cela nous a appris à travailler avec discipline, à gérer un projet, à évaluer les risques, à gérer notre temps et d’autres choses encore. Nous avons appris à mettre en place un projet et par la même occasion quelles sont les erreur à éviter ainsi que les moyens d’éviter les problèmes.
En même temps les studios AAA sont incapables de prendre de réels risques créatifs sans l’accord de l’éditeur. Les structures complexes et les contrats à long terme ne permettant pas de s’adapter rapidement au marché et ralentissent de façon significative la prise de position créative. Alors oui, cela vous donne une certaine stabilité financière mais vous devenez alors spécialiste d’un domaine très particulier. Vous devenez responsable de l’éclairage, du feuillage, animateur de la cape d’un super héros, le gars responsable de la destruction des vitres, etc. Plus vous vous investissez en temps dans quelques chose, plus vous vous spécialisez et moins vous semblez capable de travailler sur une grande variété de tâches en dehors de votre spécialité. Personnellement j’adore m’occuper de plusieurs challenges. Je veux créer et placer des assets, dessiner des concept arts, créer du VFX, concevoir et illuminer des niveaux, créer et animer des personnages, créer du Post-Process FX, concevoir des interfaces et des assets. Je suis meilleur dans certains de ces champs de compétences mais au final cela vous demande de sortir de votre spécialité.
Co-fonder un studio de développement indépendant ma permis d’obtenir une liberté créative et de m’améliorer dans plusieurs disciplines. Cela me garde motivé, loin des burnouts et de l’ennui, cela me garde inspiré.
Votre travail sur Dead Island 2 fut si douloureux pour que vous fassiez ce choix d’indépendance ?
Combien reste-t-il de membres du YAGER original dans InBetween Games ? Qu’est-ce qui a changé ?
David : Et bien nous ne somme que trois personnes venant de YAGER au sein de InBetweenGames. Le reste de l’équipe de YAGER est toujours occupé à travailler sur la Beta Fermée de Dreadnought actuellement ou est sur d’autres défis. Nous avons nous trois travaillé ensemble au sein d’une même équipe auparavant avec son lot de stress et de pression en dehors, ce qui nous donne un avantage face à des équipes totalement nouvelles. Nous nous connaissons tous et savons comment réagir quand les choses cessent d’être amusantes. Nous avons aussi accompli plusieurs objectifs ensemble, auparavant et sommes habitués à toujours tenter de nous améliorer au niveau professionnel.
En même temps, se lancer en tant qu’équipe indépendante à seulement trois personnages est un de nos challenges. Il n’y a personne d’autre que nous qui prendra soin de quoi que ce soit et au final, il faut être très flexible et ajuster les besoins de tout le monde en fonction de ce qui doit être fait..
Vous avez créé un jeu à la Ludum Dare 33…
Isaac : Nous l’avons créé tous les trois, entre fondateurs de InBetweenGames, en plus de deux autres amis : Daniel Nordlande et Bairbre Bent. Mais d’autres personnes de YAGER y ont participé auparavant, comme l’équipe Maschinen-Mensch qui a créé Planet Corp. au Ludum Dare 29.
Créer un jeu Ludum Dare, après l’annulation de Dead Island 2, c’est un plan de comm’ ou juste du fun ?
Isaac : Après que Dead Island 2 soit annulé et après avoir réalisé que tout le travail effectué ne serait jamais montré au public, nous avions une grande envie de créer quelque chose et de le rendre disponible. Le week-end de Ludum Dare fut un timing parfait puisqu’il arriva peu de temps après, nous avons donc réuni l’équipe et y sommes allés, pour la joie de créer. Mais au fond de nous, nous pensions bien que ce pouvait être le début d’un nouveau studio et nous avons tellement passé de bons moments et les gens ont semblé aimer le jeu que nous avions conçu que cela à servi à faire de l’ouverture d’InBetweenGames un prochain objectif évident.
Ce jeu Ludum Dare se nomme The Mammoth : A Cave Painting. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Rafal : Nous avons créé The Mammoth lors de notre participation au Ludum Dare, une Game Jam international. Pour ceux qui ne connaîtraient pas : vous y créez votre jeu vidéo en un temps très limité. Pour les équipes, c’est en 72 heures.
Ludum Dare #33 fut notre test final concernant notre rêve de fonder un studio de développement indépendant. Nous cherchions à trouver si l’alchimie fonctionnait entre nous et comment nous étions capables de travailler en équipe en un temps très limité. Le thème de cette Game Jam fut « Vous êtes un monstre ».
Pendant les premières heures de brainstorming, nous sommes passés par plusieurs idées et évidemment, nous avons éliminé celles qui risquaient d’être utilisées par les autres équipe qui créaient elles aussi un jeu. J’ai retrouvé un ancien dessin représentant un groupe d’hommes des cavernes chassant le mammouth et ça a été le déclic. Cela a tout de suite imposé le style visuel du projet : les peintures rupestres. Les autres idées sont venues naturellement pendant qu’on travaillait sur le jeu : une courte histoire racontant le lien entre une mère et son enfant, l’impuissance face au deuil étant une grande partie de la narration et de la question de fond : qui est réellement le monstre ? Est-ce l’humain ? Est-ce le gigantesque et dangereux animal ? Ou peut-être est-ce que les deux se battent seulement pour survivre ?
Nous voulions voir à quel point nous pouvions proposer une expérience émotionnelle en utilisant des méthodes simples. Nous voulions amener des sentiments aux joueurs, les faire s’amuser, s’énerver mais aussi être attristés. En considérant le nombre de retours positifs que nous continuons à avoir, je me risquerais à dire que nous avons réussi notre mission.
Au final, le plus grand impact qui a pesé sur l’aspect triste de The Mammoth venait de l’information comme quoi Dead Island était annulé. Nous l’avons appris juste avant le Ludum Dare.
Votre nouveau jeu se nomme All Walls Must Fall. Quel est son scénario ? Peut-on s’attendre à quelque chose de très engagé, politiquement ?
David : Le jeu se déroule à Berlin en 2098, où la Guerre Froide ne s’est jamais terminée. Cela parce que quelqu’un a inventé le voyage à travers le temps et dans le futur alternatif de notre jeu, les super puissances ont utilisé cette technologie pour corriger leurs pires erreurs. La balance du pouvoir est ainsi maintenue de façon infinie. Mais une nuit de 2089, une attaque nucléaire vient chambouler cet équilibre et menace de rendre cette Guerre Froide « chaude » au point de réduire le monde en cendres. Les joueurs contrôleront des agents secrets du temps envoyés la nuit avant l’attaque pour trouver qui a fait cela et comment le stopper.
Donc oui, nous avons définitivement l’envie de proposer des sujets politiques et nous voulons que les joueurs s’y engagent. Nous voulons remettre en questions les idées préconçues et amener à la discussion et au dialogue. Il appartiendra au final aux joueurs de se forger leurs propres opinions mais si nous pensons que les jeux sont un art, ils ont aussi cette fonction de faciliter et stimuler ce processus.
Vous rendez-vous compte de l’impact qu’a eu Spec Ops : The Line auprès des joueurs et de l’industrie ?
David : Cela fait longtemps maintenant que nous avons travaillé sur Spec Ops : The Line. Ce fut environ cinq années totalement dédiées à l’aventure du Capitaine Martin Walker qui ne semblaient jamais vouloir se terminer et qui se sont finies en même temps qu’elle. Je pense que vous pouvez ressentir cela quand vous jouez au jeu et dans un sens c’est ce qui rend le scénario, le gameplay et l’histoire totalement cohérents entre-eux, alignés vers un même objectif. Nous espérions faire quelque chose « qui compte » en créant (le jeu, NDLR) mais la réalité des réactions à long terme est quelque chose auquel personne ne s’attend j’imagine. Aussi, voir quelques idées du jeu dans d’autres titres sortis depuis par d’autres studios et équipes de développement que nous admirons fut une belle sensation.
Nous sommes très fiers d’avoir eu ce privilège de contribuer un peu à ce qui est apparemment un jeu important. En même temps, les ventes furent médiocres et certaines personnes n’ont pas vraiment aimé ce que nous avons réalisé. Les réactions sincères que nous recevons encore aujourd’hui ont pris de l’importance et ont contribué à nous motiver à continuer pendant toutes ces années où les choses ne se sont pas déroulées comme nous l’espérions.
Retrouvera-t-on ce genre d’écriture dans All Walls Must Fall ?
David : J’espère que nous allons pouvoir marier le scénario, le gameplay et la narration de la même façon. Nous avons déja essayé de le faire lorsque nous n’avions que trois jours de Ludum Dare avec The Mammoth : A Cave Painting et je pense que c’est le chemin à prendre. Evidemment dans un petit jeu indépendant la « production value » n’est pas la même que dans un développement de jeu AAA. Mais je pense que les sentiments et les expériences que vous pouvez proposer aux joueurs sont tout aussi intéressants, voir plus encore.
Devenir une petite équipe signifie que nous pouvons prendre des risques que les grosses équipes ne peuvent pas prendre. Nous pouvons faite des choses qui ne semblent pas évidentes en apparence. Ce genre de choses motivées par le soin que l’on apporte aux jeux que l’on crée et par les joueurs qui, nous l’espérons, les expérimenterons. Pour moi il est question de faire ressentir quelque chose au joueur et de leur donner de la place pour remplir le vide par eux-mêmes.
Pourquoi avoir choisir Berlin en 2089, en pleine Guerre Froide ?
Isaac : Berlin est une ville très intéressante avec une histoire assez unique qui n’a pas été très utilisée dans les jeux. Mais situer le jeu pendant la « vraie » Guerre Froide du 20ème siècle ne permettait pas de mettre en place l’idée d’un thriller tech-noir. Une réalité alternative, un futur de science-fiction où la Guerre Froide ne se serait jamais stoppée, nous permet d’avoir une grande marge de manœuvre lorsqu’il s’agit de créer un monde imaginaire. Tout en proposant un jeu très terre à terre et réaliste. Quant à la date exacte, c’est tout simplement 100 ans après la « réelle » chute du mur, en 1989.
Quelles seront les originalités de gameplay ?
Isaac : Nous reprenons un genre de gameplay largement éprouvé, la tactique isométrique à base de tuiles et nous le remixons en y ajoutant des pouvoirs de manipulation du temps. Tout ce que cela implique d’originalité en terme de réflexion est sans doute l’aspect le plus original du gameplay, mais nous esperons que les couches « classiques » de mécaniques plus traditionnelles permettront au jeu d’être intuitif pour les joueurs.
Dans votre communiqué, vous parlez d’actions « en rythme avec la musique » ?
Isaac : Toutes les actions que vous pouvez effectuer avec vos agents dans le jeu, tirer, bouger, ouvrir des portes, sont en rythme avec la musique. Quand le jeu se met en pause, la musique se met en pause. Si vous demandez à votre agent de recharger, cela prendre 4 notes : le jeu quitte la pause pour quatre notes de musiques, recharge, puis se remet en pause. Toutes vos actions et les autres personnages sont soumis au même fonctionnement et quand ils se jouent tous ensemble, cela crée une experience visuelle et audio très « synesthésique ».
Les nuits de Berlin étant au coeur du jeu, on peut s’attendre à faire beaucoup de rencontres ?
Rafal : Nous avons quelques lignes d’écrites pour les principaux PNJ mais aussi, nous voudrions avoir un certain facteur de hasard. Peut-être qu’un PNJ qui vous appréciait lors de votre précédente partie vous détestera cette fois-ci ? En dehors des actions du joueur influançant l’approche des PNJ, nous aimerions utiliser des profils psychologiques réels et des types de personnalités pour chacun.
Nous sommes assez épuisés de voir tant de stéréotypes dans les personnages de jeux vidéo et voudrions proposer une ville de Berlin avec toute la diversité qu’elle peut offrir. Créer une réaliste et engageante expérience pour vous.
Finalement quelles sont les principales inspirations du jeu ?
David : Les premières inspirations sont réellement la ville de Berlin elle-même. C’est quelques chose que toute l’équipe partage même si nous venons d’endroits et de milieux différents. Ce qui est approprié puisque la ville est un riche mirroir de différentes influences et cela a un role assez unique dans l’Histoire et la politique du 20ème siècle. Nous pensons que cela offre l’opportunité de refléter quelques problèmes actuels à partir d’une perspective unique que les joueurs n’ont peut-être pas encore experimenté auparavant et cela les ouvrira à de nouvelles questions mais aussi de nouvelles réponses.
En même temps nous sommes très inspirés par les jeux des années 90 sur PC tels que Syndicate, XCom, Fallout et Planescape : Torment pour n’en citer que quelques uns. Les jeux proposaient tellement avec si peu de moyens en comparaison, ils ont un poids plus important dans l’industrie que les jeux AAA modernes. Je pense qu’ils ont mis l’accent sur des choses très différentes que ce qui est proposé aujourd’hui. C’est quelque chose que nous voulons suivre et voir où cela nous mène. Les derniers mais pas des moindres, le Cyberpunk et le Tech-Noir sont les univers qui nous englobent tous dans l’équipe. Les histoires telles que celle de Blade Runner « encapsulent » l’esprit d’une ville et extrapolent des choses que l’on peut prédire aujourd’hui pour l’avenir et les rendre plus claires d’une certaine manière. C’est aussi quelque chose que nous espérons réussir à faire.
Le jeu sortira cette année… En Early Access ?
Isaac : Notre jeu possède une campagne structurée comme un Rogue Like, avec des niveaux générés aléatoirement pour s’assurer que chaque partie soit différente. L’Early Access est une bonne chose pour la rejouabilité, les joueurs pourront et voudront jouer au jeu d’une façon que nous, développeurs, n’avons pas anticipée. Et c’est ce retour des joueurs qui aide réellement à créer une expérience de qualité et équilibrée.