Et si Disney Infinity n’avait jamais été un bon jeu ?

Après trois jeux, une quinzaine de packs Aventures et environ 120 figurines disponibles sur trois ans, Disney arrête les frais et stoppe toute future itération de la franchise Disney Infinity. Les pétitions existent pour la sauver de la disparition la plus totale des rayons, mais les fans ne sont pas bien nombreux. Néanmoins, certains voient cet échec comme la fin de l’ère des « jeux-jouets ». Comme si Disney Infinity en était un bon représentant. Si l’essoufflement du genre est évidemment à prédire, peut-être même est-il déjà en marche, il semblait intéressant de revenir sur ce pourquoi Disney Infinity ne mérite en aucun cas de laisser couler une larme sur son cadavre ayant toujours un peu manqué de vivacité d’esprit. Retour sur un échec évident.



9971-disney-infinity-2La poule aux œufs d’or était pourrie de l’intérieur

Proposer aux fans du monde de Disney de quoi vivre des aventures multi-univers à l’aide de figurines, réelles, à poser sur une plateforme de jeu connectée à leur console : voilà l’idée « de génie », surtout reprise du succès de la franchise Skylanders d’Activision. Cette fois il fallait acheter le jeu de base et ses accessoires, des figurines annexes puis des packs Aventure proposant un nouveau mode Histoire en lien avec un univers en particulier. Ces aventures étaient uniquement dédiées à des personnages précis, sans possibilité par exemple de jouer Donald Duck dans le monde de Pirates des Caraïbes. Pour cela, il fallait passer par une autre section : la Toy Box, un bac à sable où tous les personnages et mondes pouvaient se mélanger et se proposaient à la libre construction auprès du public. Mais tout était déjà complètement nauséabond dès la sortie de Disney Infinity 1.0.

Le jeu fut confié à Avalanche Software, à ne pas confondre avec Avalanche Studios (les concepteurs de la série des Just Cause, entre autres). Avalanche Software, c’est une société de Salt Lake City qui dès 1995 s’est spécialisée dans le portage ou l’adaptation de hits connus tels que Ultimate Mortal Kombat 3 ou NFL Blitz 2000. Prince of Persia 3D sur Dreamcast ? C’est aussi eux. Ils sont ensuite responsables, en tant que développeurs principaux, de quelques adaptations des Razmokets de Nickelodeon avant de se voir attribuer la série des Tak & the Power of Juju : trois jeux qui comptaient beaucoup pour la chaîne télévisée américaine pour enfants, permettant de lancer une nouvelle franchise cross-media. Trois jeux sont sortis, tous les trois très moyens.

Dragon Ball Z : Sagas ? Ceux qui s’en rappellent savent que c’est un des pires jeux Dragon Ball Z jamais conçu. Merci Avalanche Software. Vient ensuite le rachat par Disney, leur permettant de créer jeu de plateforme sur jeu de plateforme, toujours en lien à une licence de la firme. Chicken Little, Bienvenue chez les Robinson, Hannah Montana, Volt… Seul le monde libre de Toy Story 3 et les courses de Cars 2 parviennent à se faire remarquer dans le lot et comme par hasard, ce seront deux types de gameplay inclus dans Disney Infinity et ses suites. Deux cache-misères qui ont fait oublier un CV déplorable de développeurs adeptes des jeux de commande et beaucoup trop souvent identiques les uns des autres.

Disney-Infinity-2.0-Star-Lord-CharacterMais pourquoi diable Disney a choisi Avalanche Software pour s’occuper de son plus grand défi, de ce qui allait être sa poule aux œufs d’or par excellence ? Le choix a tout simplement été fait par dépit. Dans les années 2000, Disney Interactive Studios possédait quelques studios annexes s’occupant du développement de jeux vidéo :

  • Fall Line Studios, fondé en 2006, devait s’occuper des jeux Nintendo DS et Nintendo Wii en quatrième vitesse lors du succès soudain de ces deux plateformes. Il en ressortira « Le Monde de Narnia : Le Prince Caspian » sur la console tactile, quelconque au possible, ainsi que Hannah Montana : Music Jam, toujours sur Nintendo DS. Dernier fait d’armes en 2009 : Ultimate Band sur Nintendo Wii et Nintendo DS, qui tenta sans succès ni talent de glaner un peu de public auprès des jeux du type Guitar Hero et Rock Band. En 2009 toujours et parce que le studio était aussi basé à Salt Lake City, Disney le fusionna avec Avalanche Software.
  • Wideload Games fut fondé en 2003 à Chicago. Le studio est surtout connu pour Stubbs the Zombie, un jeu foutraque et humoristique imaginé par Alex Seropian, ayant travaillé sur Halo. Le studio fut acheté par Disney bien plus tard, en 2009. Rien n’en sortira de conséquent avant sa fermeture, en mars 2014.
  • Gamestar, société chinoise rachetée par Disney en avril 2008, dont on ne sait pas grand-chose. On imagine sans mal que c’est une société s’occupant des jeux mobiles, par ailleurs loin d’être les pires productions de la firme.
  • Junction Point, la société de Warren Spector ayant été rachetée en juillet 2007 par Disney, a développé l’excellent Epic Mickey et sa déjà moins intéressante suite, Epic Mickey 2. Disney ferme le studio en janvier 2013.
  • Black Rock Studio fut créé en 1998 sous le nom de Pixel Planet, se transforma en Climax Brighton après le rachat de Climax en 1999, puis en Climax Racing en 2004. Pendant tout ce temps, ces développeurs anglais ont conçu la première série des MotoGP, Rally Fusion, la série des ATV et l’adaptation du film Braquage à l’Italienne (celui avec Mark Wahlberg). Ils se sont ensuite retrouvés sur PURE et Splint/Second Velocity chez Disney, dès leur rachat par la firme de Mickey en 2006, alors nommée Buena Vista Games. Renommé Black Rock Studio à cette occasion, le studio se verra fermer ses portes par son dernier acheteur en juillet 2011.
  • Propaganda Games fut fondé à Vancouver, en 2005, par Buena Vista Games (le nom de Disney Interactive Studios à l’époque). Ils développèrent la version 2008 de Turok, puis le sympathique mais simpliste Tron : Evolution. Alors au travail sur un jeu tiré de la franchise Pirates des Caraïbes, le studio est fermé par Disney en janvier 2011.

Le constat est effarant. Disney achète des studios, pas forcément pour leur talent par ailleurs, puis les coule dès le premier échec. Toutes les annexes de Disney Interactive Studios sont alors fermées, il ne reste plus qu’un certain Avalanche Software s’en sortant encore bien en multipliant les grosses franchises avec des jeux sans vraie saveur. Evidemment, c’est à eux que revient le gros bébé. Et tant pis pour la qualité !


Disney-Infinity-annonce-ces-plans-pour-2016-1L’aventure c’est pas l’aventure

Détaillons désormais tout ce qui fait de Disney Infinity une franchise qui dès le début, était vouée à l’échec. A commencer par le mélange des mondes.

Trois aventures scénarisées étaient proposées dans Disney Infinity 1.0 : Les Indestructibles, Pirates des Caraïbes et Monstres Academy. Ces trois aventures étaient orientées respectivement Action, Aventure et Bac à Sable avec plus ou moins de différences d’objectifs pour toutes les missions du jeu. Car plutôt que de laisser le joueur libre de gambader dans un monde libre ou de proposer des niveaux fixes, comme le faisaient si bien les anciens jeux de plateformes, Disney a eu la « riche » idée de proposer un melting-pot complètement paresseux où un monde libre et vide serait mis en avant par des missions. Chaque mission colle au scénario mais répète les mêmes actions à produire : monter une tour, battre des ennemis, aller d’un point A à un point B et quelquefois, le jeu utilisait des gadgets que l’on pouvait retrouver dans la Toy Box, le bac à sable vendu comme créatif qui était lui aussi offert avec le jeu.

Au final, on a surtout eu le droit à des niveaux aux didacticiels permanents, clairement orientés vers les plus jeunes, où une voix-off insupportable n’a eu de cesse que de répéter la même chose, toujours, tout le temps. Inlassablement. Jamais le joueur n’est libre de ses actes, jamais l’enfant ne peut essayer de trouver une solution par lui-même. Tout est guidé à outrance et est plus que frustrant.

Après ces trois aventures sont sortis d’autres mondes, plus ou moins réussis par rapport aux originaux mais posant tous le même souci, celui qui suivra principalement toutes les aventures des trois jeux Disney Infinity : ils font tous semblant d’avoir été construits avec la Toy Box inclus avec le jeu, sans qu’il soit possible de réaliser un tiers de ce qui est proposé dans ces aventures une fois que l’on a la main sur cette fameuse Toy Box.

Dans Disney Infinity 2.0, une seule aventure sera livrée au lancement : celle des super-héros Marvel. On aura le droit à New York, surfant sur le film Avengers, proposant 80% de missions se contentant d’un simple « rend-toi à un point spécifique de la carte et détruit les golems de glace qui ont envahi la ville ». Après quatre heures de jeu, on a comme une sensation d’avoir perdu son temps…

Comme l’année passée, Disney a fait appel à des sociétés annexes pour aider à la création de packs Aventure et par conséquent, certains moments de jeu sortent du lot quand on remet la main à la poche pour acheter un pack à 35 €. L’aventure Spider-Man est par exemple plus inventive et colorée, l’aventure Gardiens de la Galaxie s’amuse avec les codes de la plateforme… mais rien n’y fait. Malgré tout le talent des développeurs annexes, le moteur de base créé par Avalanche est plus qu’impossible à maitriser. C’est une purge à laquelle on pose quelques rustines pour essayer de colmater les fuites d’intérêt et de fun. Cela fonctionne un temps, mais même dans les packs les plus amusants (comme celui de la Trilogie Originale Star Wars de Disney Infinity 3.0) il suffit d’une ou deux missions ou de l’apparition de véhicules « jouets » à la physique pétée pour retomber dans les soupirs et se prendre la tête dans les mains.


1432649023-totr-ahsoka-1432672206Publicité mensongère

Au niveau de la communication, c’est la honte la plus totale : les screenshots ne sont pas seulement modifiés sous Photoshop (c’est habituel et avec le temps tout le monde s’y est fait), ils sont aussi et surtout totalement mensongers. Ainsi ils vous montrent des courses folles en tapis volant avec plusieurs personnages de la saga, ayant des expressions réalistes au niveau du visage : c’est un dessin, rien d’autre. En jeu ce n’est pas ça, c’est même bien plus triste.

Pour commencer : le multijoueur ne fonctionne pas vraiment, il est très dur de s’y connecter. Ainsi, pour jouer à plusieurs en ligne, on repassera. En coopération, toutes les versions (même et surtout sur PC) se mettent à ralentir dès qu’un personnage entre en scène. Mais surtout, les limites de la Toy Box, ce monde « où votre seule limite est votre imagination » comme le répète mille fois le narrateur, font que la comparaison entre les promesses et la réalité vient à comparer un voyage à l’île Maurice et à Lille, chez Maurice. C’est navrant.

Une Toy Box pas du tout internationale

La Toy Box est de toute façon la plus grande honte de la franchise. Tout se base sur ce concept « minecraftien » de la construction illimitée et du partage à grande échelle mais au final, il n’en est absolument rien. En plus d’avoir été choisie comme base pour un moteur défaillant, cette Toy box qu’on appellera « outil de non-construction » est impossible à utiliser efficacement sans avoir beaucoup de temps devant soi, beaucoup de patience et être de préférence Ingénieur ou Architecte. L’outil est lent, mal conçu, absolument pas efficace et le partage des niveaux est un calvaire sans nom. Pire : si vous n’êtes pas américain ou anglais, vous pouvez dire adieu à la popularité ! En effet si vous créez votre Toy Box, aussi belle soit-elle (imaginons alors un beau labyrinthe avec Donald pourchassant Tic & Tac, vous auriez alors perdu trois mois de votre vie et fait des concessions sur le rythme et le fun de votre niveau tant les possibilités de création sont moindres) mais que celle-ci a le malheur de ne pas être entièrement expliquée et introduite en anglais, alors vous ne serez jamais sélectionné.

Pour les « sélections », la validation de Disney évitant de voir plein de zizis de toutes formes apparaître dans des niveaux du jeu, il faut alors suivre un cahier des charges précis : pas plus de X objets sinon le niveau rame, éviter de trop mélanger les franchises et surtout, pas de niveaux trop simples. N’est proposé alors que trois types de niveaux par mois :

  • Les niveaux originaux, où de vrais ingénieurs n’ont eu que ça à faire de créer un monde dans Disney Infinity pour les quelques joueurs qui auront le courage de le télécharger via un menu pas du tout pratique à utiliser et qui plante bien trop souvent.
  • Les niveaux en lien avec le « thème du mois » présenté par deux jeunes gens américains, parlant américains, absolument pas doublés et qui sélectionneront du coup uniquement des niveaux… américains.
  • Les niveaux des développeurs, Avalanche Software, qui là aussi n’ont que ça à faire de créer des mondes pour quelques joueurs. De toute façon, ils sont payés par Disney, autant qu’ils s’occupent entre deux packs Aventure moisis.

Aladdin-jasmine-disney-infinity-2-edition-screenshot-1Revenons sur Avalanche

Ce qui est amusant avec ce studio, c’est qu’ils redoublent d’efforts pour décevoir. Alors qu’ils se sont alliés à d’autres développeurs pour améliorer leurs aventures, ils n’ont pas oublié de nous rappeler entre temps à quel point ils étaient mauvais créateurs. Pour Disney Infinity 3.0, Ninja Theory a conçu le gameplay des combats au Sabre Laser des mondes Star Wars. On a aussi vu le pack Trilogie Originale nous intéresser et nous amuser en combats spatiaux et véhicules de combat, grâce à Studio Gobo (déjà responsables de la seule bonne aventure du premier jeu, Pirates des Caraïbes). Malgré cela, Avalanche s’est occupé de l’Aventure « Le Réveil de la Force » … et s’est complètement planté.

Pensez-y : le travail était mâché et malgré un moteur terrible de nullité, un principe de missions pas du tout intéressant, deux studios de développement ont été payés par Disney pour concevoir le gameplay des combats et des véhicules. Et malgré cela, Avalanche débarque avec ses doigts gras et ses chaussures trouées pour faire n’importe quoi. Et l’on parle ici d’un studio de développement qui a décidé de faire de la planète « jungle » du dernier film Star Wars un SkatePark sur l’eau avec figures nazes et véhicules bugés en prime ! De vrais rois de la déconne.


Disney_INFINITY_-_Phineas_FlynnEn vrac : des (non) choix marketings amusants

Pendant Disney Infinity 1.0, la principale critique était l’absence de mélange des mondes. Pour Disney Infinity 2.0, on pouvait déverrouiller quelques-uns des héros en trouvant les jetons associés dans les différents niveaux « Aventure ». Il fallait donc terminer l’Aventure et la fouiller de fond en comble pour avoir le droit de jouer avec certains personnages à l’intérieur. Trop motivant.

Disney Infinity 3.0 permettait là aussi de trouver des jetons pour rejouer aux aventure Star Wars avec d’autres personnages Star Wars qui n’étaient pas liés à la trame de l’aventure (Poe Dameron dans l’Empire Contre-Attaque par exemple) mais bien sûr, tous les autres personnages n’étaient pas compatibles. Alors que ce que veulent les enfants, c’est clairement de pouvoir jouer Donald dans un X-Wing en train d’affronter des Tie-Fighter sur Hoth ! Et pas dans une Toy Box naze où rien n’est amusant.

On peut citer aussi la sortie de packs de personnages Aladdin, L’Etrange Noël de Mr.Jack, La Reine des Neiges, Zootopie et autres licences à succès qui n’auront jamais eu le droit à leur aventure. Les enfants demandent à l’acheter et finalement ne font rien d’autre que de sauter dans une Toy Box vide ou de se lancer avec dans les modes de jeu annexes complètement nazes tels qu’un Tower Defense, un jeu de vagues d’ennemis complètement soporifique et trop difficile (sur 2.0) ou un jeu de course trop court et buggé ainsi qu’un rogue-like ultra-guidé qui n’amusera personne (sur 3.0).

Conclusion morbide

Plus que jamais, Disney Infinity c’était surtout des statuettes que l’on achetait pour décorer le salon plutôt que pour jouer avec.  Cela n’a jamais été un bon jeu et on ira même jusqu’à se demander si les dirigeants de Disney se sont un jour posé la question d’un marketing intelligent et de ce que voulaient réellement les gens concernant cette franchise.

Sa mort n’est donc pas due à un faible intérêt pour les Toy Games de la part du public, ni même d’une pure décision personnelle de la part d’un studio qui n’a pas sorti un bon jeu Disney depuis des lustres désormais. Cet arrêt définitif d’une licence qui avait pourtant tout pour elle au départ n’est que la sanction logique d’une succession de ratés, de mauvaises décisions, d’absence de décisions et surtout, d’un passé peu glorieux où la firme s’est dit que fermer des boites au premier échec n’allait pas leur retomber sur le coin du bec de canard ou qu’ils n’allaient pas se faire tirer les oreilles de Mickey dans un futur proche.

La sanction est tombée, elle est irrévocable et devant un Skylanders proposant une réelle aventure passionnante et Lego Dimensions qui mélange avec intelligence les différentes franchises proposées (en éclipsant toutes les dérives mercantiles évidentes de ces deux produits, c’est un tout autre débat) il ne fait nul doute que Disney Infinity est le maillon faible. Au revoir.

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