Interview : Titouan Millet (MU Cartographer)

Il est très difficile de parler, encore davantage de critiquer un jeu comme MU Cartographer. Beaucoup s’y casseront la figure. Alors que notre globe-trotter Antoine est sur ce gros challenge, j’ai eu réellement envie de parler de ce développeur fou qu’est Titouan Millet, développant mais surtout expérimentant de quoi réaliser des jeux hors du commun…


Bonjour Titouan ! Deux mois après la sortie, où en est Mu Cartographer au niveau des ventes et de l’accueil du public ?

Salut William. Mu Cartographer a rencontré un petit succès sur Twitter et je n’ai eu que des retours positifs de la part des joueurs pour le moment. Quelques personnes ont vraiment partagé beaucoup d’images de leurs découvertes à travers le jeu et ça m’a fait plaisir. Je crois que les gens apprécient le projet et le trouvent intéressant. Malheureusement il n’a pas fait énormément de ventes sur sa page itch.io. Il a été inclus dans un bundle récemment donc j’imagine qu’il a pu atteindre plus de joueurs ces derniers temps. Il y a eu quelques petits articles à propos du jeu, mais pas suffisamment pour pouvoir parler de succès critique.

Mu Cartographer vient d’être Greenlighté, ce sera l’occasion de donner une nouvelle chance au projet d’être découvert.


Clairement on sent qu’il est très difficile de faire connaître son jeu quand on n’est pas un indé « populaire », mais quand le jeu est compliqué à expliquer comme Mu Cartographer… c’est pire ?

Il n’est jamais facile de faire connaître son projet. C’était peut-être une erreur de vouloir m’occuper moi-même de la communication sur Mu Cartographer. Peut-être que le jeu aurait reçu plus de visibilité si quelqu’un d’autre avait été dédié exclusivement à cette tâche. Peut-être que j’aurais du chercher à atteindre des éditeurs, bien plus tôt pendant le développement. Quand un projet commence à prendre un peu d’ampleur, ce n’est pas facile d’être tout seul dessus. Et c’est vrai que quand le jeu est difficile à expliquer, quand il s’agit de quelque chose d’un peu expérimental que les gens n’ont pas forcément l’habitude de voir, c’est une difficulté supplémentaire qu’il faut surmonter pour atteindre et convaincre les gens.



Que pensent les gens des screenshots « bizarres » de ton jeu ? 

Je suppose que l’aspect visuel des paysages de Mu Cartographer et leur variété est la première chose qui intéresse les gens. Quand ils voient ensuite des screenshots avec l’interface autour, ils comprennent qu’il ne s’agit pas uniquement d’œuvres procédurales mais bien d’une application interactive. Mais je crois que c’est seulement à partir du moment où ils jouent que les gens comprennent qu’il ne s’agit pas uniquement d’un générateur de paysage. Mais oui, ce sont les screenshots bizarres qui de base attirent l’attention. J’en ai posté sur Twitter tout au long du développement du projet, et les gens étaient vraiment curieux d’en savoir plus et de tester par eux-même. Il est évident que les jeux qui possèdent une esthétique, du contenu visuel intéressant, les « jeux à screenshots », ont un avantage quand il s’agit d’attirer l’attention.


Comment expliquerais-tu Mu Cartographer du mieux possible ?

« Apprenez à manœuvrer une machine abstraite pour sculpter et explorer des paysages colorés, découvrir des trésors, révéler des cités abandonnées et autres mystères cachés dans un monde mouvant. »


Comment t’es venue l’idée de cette exploration aidée par une interface qu’il faut apprendre à manipuler ?

Lors de la Exile Game Jam 2015, j’expérimentais avec Shader Forge dans Unity pour montrer à d’autres personnes ce qu’on pouvait faire avec en terme d’œuvres procédurales. Le résultat était une texture qui évoluait quand on modifiait des valeurs. Je l’ai ensuite utilisée pour définir le relief d’un paysage. Cette fois, ce sont des montagnes et des vallées qui se formaient alors que je modifiais des valeurs dans mon shader. J’ai découvert qu’en appliquant une translation sur les textures, on avait l’impression que le paysage se déplaçait à travers l’écran en temps réel. C’est de là que m’est venue l’idée d’un jeu d’exploration où on transformerait et déplacerait le paysage au lieu de déplacer un personnage. Comme pour la plupart de mes projets, tout est vraiment parti d’une expérimentation sur les formes, couleurs et mouvement.

L’interface est arrivée assez tard dans le développement du jeu. Au début il n’y avait que des sliders à l’écran en guise d’éléments interactifs, peut-être une vingtaine et ce n’était pas du tout intéressant. Il a fallu beaucoup de temps pour trouver un aspect interactif qui me convienne. Je voulais que tout soit cohérent et pas juste un aspect « jeu » rajouté par-dessus un générateur de paysages. Quand j’ai commencé à travailler véritablement sur la nouvelle interface et donc sur l’expérience en tant que joueur, cela a débloqué beaucoup de choses pour lesquelles j’étais encore dans le flou. Je crois que c’est le fait de travailler sur l’interface qui m’a donné concrètement l’idée des trésors et des différentes façons de les trouver. Parfois il faut se lancer sans avoir de plan et c’est au fur et à mesure des itérations et expérimentations que le plan pour la suite prend forme. Je fais souvent ça.



Parle-nous de toi. Quel est ton parcours ?

J’ai fais mes études à Supinfogame dans le Nord de la France. Je me suis formé moi-même à la programmation pour pouvoir travailler sur des projets personnels. J’ai été diplômé, puis j’ai passé deux années à travailler sur des nouveaux projets, seul ou en équipe, personnels ou dans le cadre de résidences d’artistes et autres opportunités rémunérées. J’ai aussi participé à de nombreux festivals, exposant parfois certains de mes projets. Cela m’a permis de voyager beaucoup et de rencontrer un tas de personnes intéressantes.

Je n’ai jamais réussi à en vivre cependant, alors je prévois de recommencer des études, dans une branche plus standard de l’informatique peut-être.


Tu fais partie du collectif Klondike. Tu nous en parles ?

Nous sommes une bande de dix amis qui se sont rencontrés dans le Nord de la France. On aime créer des jeux vidéo, parfois tout seuls, parfois entre nous, parfois avec d’autres personnes. On se retrouve souvent pendant les festivals. Nous avons tous des styles différents, mais je crois que nous sommes tous intéressés par l’aspect un peu expérimental ou personnel du jeu vidéo et la plupart d’entre nous aiment travailler sur des projets colorés. Voilà le site du collectif.


Itch.io est une plateforme que tu apprécie particulièrement ? Quels sont ses avantages ?

J’aime bien itch.io, c’est une plateforme très pratique pour les développeurs. On peut y upload différents types de contenu et fixer le prix que l’on veut. Il y a plein de features mises à disposition pour organiser la distribution des projets (contenu déblocable, bundles, mises à jours…), ainsi qu’un système d’analyse pour suivre l’évolution des visites/téléchargements du contenu.


Une sortie sur Steam est donc à prévoir très rapidement ?

Oui, a priori en Août ou début Septembre.


Pour la suite, vas-tu t’aider de quelqu’un pour « vendre » Mu Cartographer ?

Je pense qu’il est trop tard pour demander l’aide de quelqu’un pour vendre Mu Cartographer, le jeu est déjà sorti de toutes façons. Mais peut-être que je ferai ça pour de futurs projets.


N’as tu pas eu l’envie de créer une sorte de « galerie » en ligne où les gens pourraient y diffuser leurs découvertes ?

C’est une idée, en attendant on peut toujours jeter un oeil au hashtag #MuCartographer sur Twitter pour trouver les screenshots des joueurs.



Ces découvertes, justement, sont-elles aléatoires ou fixes dans le monde à analyser ?

Les joueurs prennent des screenshots quand ils le désirent, quand ils apprécient ce qu’ils voient à l’écran. Certains se contentent de partager les zones secrètes révélées, d’autres aiment aussi expérimenter avec le reste du paysage, explorant et manipulant l’environnement pour créer leur propre « oeuvre ». Le choix de la topographie, résultat de la manipulation des outils de la machine, permet déjà un très grand nombre de paysages différents. Mais le choix du niveau de zoom, de la rotation du paysage, des effets visuels activés, et bien sûr de la palette de couleurs utilisée, sont autant d’éléments qui permettent aux joueurs de mettre en place un paysage unique à photographier. Il n’y a pas d’aléatoire dans Mu Cartographer, les possibilités sont les mêmes pour tous les joueurs, mais elles sont tellement nombreuses que chaque utilisateur trouvera des paysages uniques.


L’expérimentation est, pour toi, au cœur des jeux possiblement les plus novateurs ?

Si on ne prend pas de risques, on retombe forcément dans des modèles plus classiques et déjà vus. L’expérimentation de la part des développeurs leur permet de créer des œuvres uniques et novatrices.

Offrir aux joueurs d’expérimenter pour apprendre eux-même les règles d’un système, ou juste pour en découvrir les possibilités, peut donner des résultats intéressants. Si le contexte le permet, cela peut en effet donner une œuvre novatrice, mais il y a de nombreuses autres façons de proposer quelque chose d’unique.


Peut-on espérer que Mu Cartographer soit le premier jeu d’une grande et originale carrière ?

Mu Cartographer est loin d’être mon premier jeu. C’est cependant le premier que j’ai essayé de vendre. Pour la suite, je ne sais pas encore si je veux vraiment continuer à essayer de vendre mes projets, peut-être que vais-je me concentrer sur des plus petites œuvres. Pour le moment j’essaye de me recentrer pour retrouver la motivation. J’ai encore beaucoup d’idées à partager et d’histoires à raconter.


Merci à Titouan pour sa disponibilité ! Pour vous emparer de ce jeu très expérimental, il vous suffit de suivre le lien.

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