Abzû

S’il était possible de tomber amoureux d’un jeu, je crois qu’en ce moment, ma flamme se porterait sur Abzû. Alors forcément, ma partialité en a pris un coup. C’est peut-être l’accumulation des déceptions ces derniers temps qui ont pu avoir raison de ma personne, me poussant inexorablement dans les bras palmés de celui-ci pour une danse aquatique sans pareil, et pourtant réminiscente d’expériences similaires. Car il s’agit bel et bien d’une expérience à la fois auditive et visuelle, comme seul le jeu vidéo et le cinéma en sont encore capables de nos jours. C’est ce que je vais tenter de vous conter.



Ballet aquatique

Abzû est une invitation à la danse. Celle d’un ballet incessant qui s’y dessine entre votre avatar et la mer, celle d’un plongeur à l’allure passe-partout et non sans charisme derrière son mystérieux mutisme dont le seul vecteur d’émotion se trouve être ses deux yeux en amande. Son silence est d’or pour mieux sublimer un monde marin envoûtant entre les virevoltes de nos cascades aquatiques et la délicatesse d’une bande son sachant nous accompagner avec le virtuose d’un chef d’orchestre qui aurait compris comment y interpréter ce que ce jeu est parfois capable de nous faire ressentir.

Alors, il ne faudra pas non plus y projeter des prétentions assourdissantes. Abzû n’est pas novateur. Son interactivité est extrêmement limitée dans le spectre d’une aventure narrative qui dans la même lignée d’un Journey, préfère nous raconter une histoire sous la forme du parcours d’un individu qui servira plutôt de ligne directrice que de véritable entité dotée d’émotions ou ayant une âme propre. Notre héros ou héroïne est en vérité très neutre dans sa représentation.

De fait, il ne soumet pas son environnement à son desiderata, mais essaye de s’y intégrer au mieux. C’est ainsi qu’il pourrait être décrit le mieux. On y nage à l’envie dans différents aspects des fonds marins, qu’ils soient proches de la surface ou au plus prés des profondeurs. Abzû se pare alors de ses plus belles robes faites de poissons divers et aux couleurs variées qui participent à ce ballet évoqué plus tôt. La flore y trouve aussi sa place au milieu de formations rocheuses qui ne cacheront à personne la nature linéaire de ce jeu.



Histoires d’eau

L’histoire de cet être fragile se raconte donc au travers des restes d’une civilisation ayant fait son temps, engloutie entre les algues et la faune locale. Sans réellement s’en soucier, et tandis que des poissons en mangent d’autres, on peut s’accrocher à un dauphin et se laisser porter par ses mouvements gracieux, quand on n’essaye pas de forcer son chemin par quelques mouvements de la manette ou du clavier. C’est une balade avant tout. Il faut l’accepter pour l’apprécier. Mais quelle balade. Bien qu’inégale dans l’intensité de ses moments qu’elle peut nous procurer, ne serait-ce que pour les meilleurs, elle vaut déjà le détour.

Il s’agit donc d’une des plus belles réussites graphiques de cette année à mes yeux. Etant relativement court, il évite de justesse une certaine répétition dans la forme, heureusement sublimée par le choix d’une direction artistique épurée, aux traits d’aspect simple et tranchant avec le réalisme pour un résultat en aplats aux dégradés comme du velours coloré. Un résultat qui se confine à l’écran par des textures en apparence plates et sans relief, qui finissent pourtant par apporter une profondeur inattendue de par la superposition de leurs teintes diversifiées.

Un côté qui rappelle dans le jeu vidéo le style low-poly sans l’être réellement. Côté art, j’aurais plutôt envie de citer un petit côté fauviste dans l’âme. Abzû ne ment donc pas sur sa plastique qui s’y agite avec élégance autant que l’animation très fluide de son personnage principal. Ce dernier comme toute la vie qui s’y déplace, s’y contourne et s’y frôle de façon très naturelle. J’y ai remarqué assez peu de collisions ratées où l’on rentrerait l’un dans l’autre. Ou du moins, cela ne m’aura pas sauté aux yeux.

On sent l’attention apportée à ce qui pourrait n’être qu’un détail, mais qui au final y joue un rôle prépondérant. Cette gestion minutieuse des collisions participe à la beauté de cette danse maritime entre vous et les êtres peuplant ces eaux. Il me semble même avoir eu l’impression que certains bancs de poissons ou de mammifères marins étaient là uniquement pour m’indiquer précisément le chemin à emprunter. Notamment quand un groupe d’espadons préhistoriques est venu à mes côtés en se dirigeant ensuite vers l’endroit où je devais activer un levier.



Marée haute et marée basse

Mais si la forme est séduisante, le fond est parfois tout bêtement classique. Quand je disais qu’il n’innovait en rien, c’est parce-que cela ne semble pas être son but. L’interactivité du médium vidéo-ludique est ainsi une fois de plus trop peu exploité. Elle se résume à activer des leviers, ce qui en soit passe royalement bien cette fois-ci en raison d’une exécution très réussie de la jouabilité et du plaisir de nager au milieu de ces océans. Mais n’en espérez absolument pas plus. Ce que l’on y ressent, c’est du pur plaisir des sens. Enfin du moins, ceux que le jeu vidéo est capable de nous apporter.

Ainsi, surtout sur la fin, quand enfin se met en place le drame d’une histoire qui démarrait pourtant comme une simple baignade bucolique, tout se précipite dans un remue-ménage de mouvements et de décors absolument percutants, le tout accompagné par une partition sublime signée Austin Wintory qui vous mettra les tripes sens dessus dessous. Une musique qui dans ses premières notes m’aura par ailleurs vaguement rappelé à mon bon souvenir celle des Tomb Raider originaux. Abzû y trouve d’ailleurs son compte d’exploration et d’antiquités mystérieuses sans l’action et la violence de notre héroïne anglaise.

Il y a pourtant quelques passages sombres. Mais je n’en dirai guère plus. Il ne faudrait pas gâcher la surprise. Vous devrez simplement y voir un magnifique conte écologique et optimiste, qui tend à vouloir parler de la relation symbiotique entre un être à forme presque humaine, ou pas totalement définissable comme tel, et la vie sous-marine. Derrière le côté fantastique de cette aventure se trouve aussi celle d’une lettre d’amour écrite à la mer et sa beauté à la fois fascinante et parfois même effrayante.


Je pense qu’il serait malencontreux d’attendre d’Abzû autre chose que d’y vivre un moment purement émotionnel. L’interactivité n’est clairement pas son fort autre que dans la façon dont notre avatar y nage de la plus belle et la plus fluide des façons. Il est aussi assez court, mais d’un autre côté, sans mauvais jeu de mots, il aurait risqué de trop diluer son propos en tirant sur la longueur. Muet comme une carpe, c’est sa musique et aussi celle du flot marin qui vont accompagner des images d’une grande beauté qui le rendent magique. Si vous aimez vous laisser transporter dans une expérience audio-visuelle réussie, c’est celui qu’il vous faut en ce moment.

4 réflexions au sujet de “Abzû”

  1. Joli test. J’aime bien la comparaison avec Journey mais je ne connais pas du tout :ninja:.
    Par contre, dans un genre très très similaire, je connais très bien Endless Ocean ou Eco et je suis surpris de ne trouver aucune référence à un de ces titres… Un avis à partager en rapport avec eux des fois ^^?

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  2. Yep. Et c’était aussi plutôt instructif si on plongeait vraiment dedans ;).
    Ces 2 (ou 3 plutôt) titres ont placés la barre très haut d’ailleurs, j’me demande bien ce qu’Abzû apporte en sus ^^.

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  3. Je n’ai personnellement jamais joué à Endless Ocean. Mais ce que j’en vois sur youtube, les deux n’ont rien à voir, à part pour la thématique de l’océan. Quant à Ecco, je vais écarter d’entrée les versions en 2D pour des raisons évidentes. Il reste la version 3D sur Dreamcast par conséquent. Sauf que Ecco a un côté action plus prononcé que Abzû qui joue plus dans le contemplatif et l’expérience ressentie au niveau visuel et auditif. C’est une ballade planante avec quelques moments plus dramatiques, là où Ecco est plus un jeu vidéo classique avec des objectifs et des niveaux à terminer. Malgré un aspect contemplatif chez lui aussi.

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