Interview : La MediaJam c’est quoi, exactement ?

Vous connaissez évidemment MediaPart, non ? Créé par François Bonnet, Gérard Desportes, Laurent Mauduit et Edwy PlenelMediaPart s’associe avec La Belle pour créer… une Game Jam entre développeurs et journalistes. C’est étonnant, curieux et nous avons voulu en savoir davantage en posant des questions à un organisateur que nous connaissons déjà pour les Hits Playtime, Laurent Checola, mais aussi à un participant. C’est Pierre Corbinais, du génial site Oujevipo, qui se prête à l’exercice. Bon, sérieusement, c’est quoi la MediaJam ?


Bonjour Laurent. Explique-nous un peu ce que c’est, clairement, la MediaJam ?

La campagne présidentielle et les marronniers habituels approchant – comparateurs de programmes, analyses de petites phrases et autres…  – nous nous sommes demandés : comment apporter un traitement journalistique nouveau ? L’idée de faire collaborer des journalistes et des développeurs s’est aussitôt imposée, tant le medium jeu vidéo semblait aller de soi. Nous avons alors pensé les règles d’une game jam, qui permettrait d’avoir en très peu de temps – 48 heures – les meilleurs jeux possibles, mais qui pourrait aussi montrer en direct le processus de création.

Comment en vient-on à travailler avec Mediapart ? On imagine mal Monsieur Plenel débarquer dans une Game Jam de jeux vidéo pour dire « je veux la même chez moi ! ».

Il faut croire que la proposition répondait à une réelle envie des parties prenantes. Les journalistes voient dans cette jam une nouvelle manière de traiter la matière journalistique : on sort de la logique de l’article, pour penser des choses plus systémiques. C’est un exercice intellectuel très stimulant. Pour les développeurs, il y a à mon avis de nombreuses raisons de participer : faire des jeux sur des thèmes qui ne sont pas forcément abordés, travailler en binôme avec des journalistes ou prendre du recul par rapport à leur propre pratique.

Deux écoles, les Gobelins et Estienne, sont aussi au rendez-vous. Le but était de marquer le coup et d’obtenir des jeux « de qualité » ?

Les huit équipes qui participent à la Mediajam sont composées de jeunes développeurs rompus aux game jams. Il est important que cette émulation se transmette aux jeunes créateurs, c’est pourquoi nous avons associé des étudiants d’écoles prestigieuses à chaque équipe.

L’originalité de cette Game Jam c’est que les deux jours entiers seront filmés et diffusés sur Mediapart et jeuxvideo.com. Vous voulez créer des vocations ?

La jam a en effet pour but de montrer un nouveau visage du jeu vidéo et s’adresse à un public curieux, qui ne connaît pas forcément bien le jeu vidéo, mais qui pourrait adhérer à la démarche. La partie « live » a été pensée en ce sens. Il ne s’agit pas d’avoir un live stream permanent. Les lives vidéo ponctuent la jam et permettent aux équipes d’apporter une réflexion sur ce qu’ils sont entrain de créer. Nous espérons donc que ces nouvelles perspectives susciteront des vocations !

Est-ce que les journalistes de Mediapart seront conviés à participer à la création ? Certains ont déjà dit oui ?

Chaque équipe inclut un journaliste de la rédaction de Mediapart. Nous avons malheureusement dû nous limiter à huit équipes, mais nous avons reçu bien plus de demandes de la part des journalistes. Avoir de tels spécialistes, c’est une ressource inestimable pour les développeurs. Durant la jam, les journalistes participeront aussi à la description du processus créatif sur les réseaux sociaux.

La Belle, un nouveau label (comme son nom l’indique) promouvant les jeux à enjeux, vous rejoint dans l’aventure. Tu fais partie de ce label, peux-tu nous en parler ?

Avec La Belle, nous voulons pousser le médium, d’abord en créant des jeux vidéo utilisant des thèmes et des mécaniques inédits. Eugenics, notre premier jeu en cours de développement questionne les techniques contemporaines de manipulation du génome humain. Mais pousser le médium, c’est également être actif au niveau des processus créatifs. C’est pourquoi coorganiser une game jam a pour nous tout autant de sens que de produire un jeu.

Le jeu vidéo profite de plus en plus de sa popularité pour se transformer, se rendre plus utile, plus intelligent, plus porteur d’un message ou d’une idée… Tu as pour ambition de participer à cette mouvance ?

En tout cas, nous voulons participer au débat. Dans Eugenics par exemple, nous n’utilisons pas le jeu comme un manifeste interactif pour dire : les manipulations génétiques, c’est mal. Une telle approche nous semble contre-productive. Mais bien entendu, de nombreux procédés permettent de suggérer plutôt qu’imposer une idée : la narration diffuse, l’ironie inspirée de films comme le Docteur Folamour, la direction artistique qui brouille les frontières de l’apparence entre l’être humain et la poupée, etc.

N’as-tu pas peur, finalement, de voir des participants éviter de se lâcher et d’obtenir des jeux, porteurs d’un esprit « MediaPart », plutôt engagés, qui n’amusent cependant pas ?

Nous ne pouvons bien entendu pas imaginer à l’avance ce qui sortira de la jam. Tout est question d’équilibre. En tout cas, dans notre dispositif, nous ne jouons pas sur la confrontation des points de vues ou des idées. Nous avons au contraire souhaité que les développeurs et les journalistes apprennent les uns des autres et trouvent dans le jeu vidéo une langue commune.

Quant à la notion de fun dans un jeu, c’est un sujet en soi, que nous aborderons peut-être une prochaine fois ! (ndlr : avec plaisir)

Nous allons suivre avec beaucoup d’intérêt cette Game Jam. Merci à toi et bravo à toute les équipes derrière ce projet, pour son originalité et tout ce qu’il peut amener d’interessant à discuter autour du jeu vidéo.

Merci à vous !


Bonjour Pierre. Peux-tu te présenter pour commencer ?

Je suis Pierre Corbinais (Pierrec) je défriche depuis plus de six ans des jeux vidéo expérimentaux sur oujevipo.fr et depuis plus récemment des contrôleurs alternatifs et installations/performances ludiques sur shakethatbutton.com. Je suis l’auteur de divers petits jeux, notamment des newsgames (jeux traitant de sujets d’actualité) tels que One of Them pour Libération, SMSLeaks avec Casus Ludi ou le Ferryboat de Marsactu pour le site d’actualité régionale Marsactu.

Quel est ton rôle au sein de la MediaJam ?

Mon rôle au sein de la jam est encore assez flou, mais je sais d’ores et déjà ce que je ne vais PAS faire, à savoir la programmation (c’est Brice qui s’en charge) et les graphismes (Delphine et Quentin s’en chargent). Je m’attellerai donc probablement à du game design, de l’écriture et de la recherche journalistique avec Géraldine.

Comment est venue l’aventure à toi ?

C’est Brice le chef de projet qui m’a contacté pour faire équipe avec lui. Nous avions déjà travaillé ensemble sur quelques projets (Through the curtain, @d @eternam, One of them…) et nous savons déjà que le courant passe bien entre nous.

Qu’est-ce qui t’a motivé à participer à cette MediaJam ?

Je suis un grand convaincu de l’efficacité et du potentiel des newsgames, c’était d’ailleurs mon sujet de mémoire en école de journaliste, et je regrette que les grands médias français ne s’y intéressent pas davantage. Que Mediapart s’y mette peut en encourager d’autres, et c’est donc une initiative que je tiens à soutenir. Par ailleurs, c’est toujours un plaisir de travailler avec Brice et Delphine.

On te sait très joueur de « petits » jeux, expérimentant beaucoup de choses. Les Jam n’ont pas beaucoup de secrets pour toi. Pourtant, penses-tu être surpris par les résultats de celle-ci ?

Cette MediaJam tente pas mal de choses nouvelles, comme associer à chaque équipe un journaliste de Mediapart (pas forcément familier avec le jeu vidéo) et un étudiant des Gobelins ou d’Estienne. Cela va obliger un peu les équipes de dev de sortir de leur zone de confort, de s’ouvrir à de nouvelles compétences. Le monde du jeu vidéo a souvent tendance à être un peu fermé sur lui-même, ajouter de nouveaux profils dans la création ne peut mener qu’à de bonnes surprises.


La MediaJam se déroulera du 7 au 9 octobre 2016.

Laisser un commentaire