Aragami

L’Aragami est une créature bien étrange. Créature des ombres par définition, l’Aragami y vit et y est le plus à son aise, craignant la lumière de tout son être. C’est néanmoins à la lumière que l’on peut au mieux apprécier ses couleurs flamboyantes et son ombrage divin, à l’image de la déesse Amaterasu. On ne peut l’observer à son plus beau que quelques secondes à la fois, le temps de traverser une ruelle bien éclairée, assombrissant le tout sur son passage, mais le jeu en vaut la chandelle.


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La Grande Vague de Cadavres Empilés dans l’Ombre

L’Aragami est une créature inquiétante. Invoqué via un rituel suite à des besoins de vengeance,  l’apercevoir revient bien souvent à signer son arrêt de mort. Un esprit vengeur est bien évidemment de très prêt lié à la mort, et on n’invoque pas une telle créature pour des broutilles. Il reste rare que la route de l’Aragami soit parsemée de cadavres ; certains préfèrent la voie du Yūrei (du japonais 幽霊, « fantôme »), se faufilant dans les ombres  pour ne tuer que l’objet même de la vengeance ayant provoquée son apparition, faisant douter de son existence même par sa légendaire discrétion. D’autres préfèrent la voie de l’Oni (du japonais 鬼, créature du folklore japonais que l’on traduit généralement par « démon », « ogre » ou encore « diable »), assassinant quiconque se met en travers de leur chemin jusqu’à avoir atteint l’objet de la vengeance. Ces derniers ne laissent pas pour autant de traces, les talents de l’Aragami lui permettant de faire disparaître les cadavres dans les ténèbres. On aurait même entendu des légendes d’Aragami suivant les deux voies à la fois, attirant les pauvres mortels dans les ombres pour se débarrasser d’eux sans que personne ne le remarque ou suspecte.

L’Aragami n’en est pas pour autant une créature solitaire. Certains travaillent en duo : des Aragami invoqués chacun depuis un bout du monde peuvent ainsi s’associer pour mener à bien la vengeance les ayant rassemblés. Travaillant de concert, cette association peut alors donner lieu à deux fantômes s’entraidant pour passer inaperçu, deux démons s’entraidant pour mener à bien leur massacre, ou encore deux démons en compétition pour le titre du meilleur assassin. Les possibilités sont nombreuses, et tout Aragami peut choisir la voie qui lui convient le mieux, tant qu’elle aboutit à la vengeance tant désirée. Si l’Aragami préfère généralement être discret et tuer tout le monde ou personne sans jamais se faire remarquer, il n’est pas non plus invraisemblable de voir un Aragami être bourrin. En effet, celui-ci dispose de tout un éventail de pouvoirs qui, couplés au temps de réaction particulièrement long des êtres humains, le rend surpuissant et peut, avec un minimum de discrétion certes et toujours un retour dans l’ombre, éliminer ses ennemis sans aucune subtilité. Pour pousser le vice et le sadisme plus loin, certains Aragami se téléportent même juste en face d’humains pour les prendre par surprise et les poignarder alors qu’ils se rendent compte de sa présence. S’il s’ennuie, l’Aragami peut même recommencer à zéro et refaire la même chose d’une autre façon, histoire de prouver qu’il est le meilleur ou – tout simplement – de s’amuser à tester toutes les possibilités, seul ou à plusieurs. L’Aragami est même une créature particulièrement sociable, appartenant à plusieurs cercles d’amis plutôt proches, partageant les mêmes passions et un même amour pour les tas de cadavres.


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Araga mi-Tenchu, mi-Dishonored, mi-Assassin’s Creed

L’Aragami étant une créature projetée hors de son temps, propre à un Japon féodal, elle appartient à un cercle d’amis un peu old-school. Ce groupe se rassemble irrégulièrement après des années sans contact, constatant la disparition – autant physique que métaphorique – de certains membres à chaque fois. Composé de membres tels que Rikimaru, Aragame, Garrett, Sam, Goh, Snake ou Agent 47, ce cercle d’amis est relativement proche, partageant astuces et techniques pour que chacun puisse accomplir ses propres missions en empilant le plus de cadavres possible de la façon la plus discrète possible. Pour la plupart rescapés d’une époque où le CAP affrontait une station à la puissance incroyable, voire pour certains d’une époque encore plus folle supportée par un moteur à émotions, l’Aragami se place en pur héritier de ses époques qu’il n’a pourtant pas connu. Du coup, il fait un peu vieux jeu. Comme ses aînés, il est là pour s’amuser avant tout, quitte à ce que tout le reste devienne secondaire. Dès lors, il suit un chemin entièrement pré-tracé et prévisible. Il ne fait pas dans la dentelle non plus, l’Aragami, et ça se voit aux imprécisions et approximations ressortant de ses innombrables meurtres, parfois perpétrés dans l’urgence ou – pire encore – la lumière. La plupart ont aussi un autre point commun un peu étrange : par un certain miracle, seuls les plus stupides des gardes ayant vu le jour ont été engagés pour bloquer leur route. Ou bien, est-ce un choix personnel de seulement accepter des missions leur permettant d’affronter des ennemis sourds, aveugles et muets ? Même s’ils vont parfois au-delà de leur condition et réussissent à voir, entendre ou alerter leurs collègues, ce n’est pas dû à leur intelligence, qui elle est complètement inexistante tandis qu’ils suivent des chemins prédéfinis. Non, c’est plutôt un coup du hasard, une fausse alerte qui aurait été donnée pour renvoyer l’impression de travailler plutôt que de dormir sur le job, qui de temps en temps se révèle être justifiée par la présence d’une réelle menace, l’Aragami. Mais heureusement (pour eux), il n’est une menace que dans l’ombre, et ils manient la lumière : se débarrasser d’un Aragami n’est alors qu’une affaire de secondes, un coup suffisant, si tant est qu’ils pensent à attaquer lorsqu’ils se rendent compte de la présence de cet intrus. Comme quoi elle est bien artificielle, leur intelligence. Mais bon, l’Aragami ne peut pas trop se moquer : après tout, la lumière n’est pas sa seule faiblesse, puisque l’eau est deux fois plus mortelle pour lui et la toucher le tue instantanément).


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L’Aragami est tellement sociable que, triste de voir ses anciens amis disparaître les uns après les autres, il a rejoint un nouveau groupe d’amis. Plus moderne et plus en forme, l’Aragami essaie tant bien que mal de s’intégrer dans ce groupe aux coutumes étranges, quitte à forcer en essayant de ressembler le plus possible aux membres les plus populaires tels que Corvo, Ezio ou encore un collègue ninja caractérisée par une marque. L’Aragami est probablement le plus grand fan au monde de Corvo, ayant repris le fameux « blink » à sa sauce et l’utilisant à tout va pour voyager à travers les ombres. Il reprend aussi le style de son confrère ninja et de l’assassin Ezio, n’hésitant pas à passer plusieurs minutes à préparer et effectuer un assassinat histoire que celui-ci soit le plus cool et stylé possible, comme ces jeunots répètent à tout va.

L’Aragami part parfois si loin dans ces délires qu’il se retrouve à privilégier le spectacle à la discrétion, allant jusqu’à créer des dragons d’ombre géants ou des mines se transformant en portails vers une autre dimension pour avaler les pauvres énergumènes stationnés sur la route qu’il veut emprunter. Il partage aussi une autre particularité propre à ce cher Ezio, probablement héritée d’aînés partagés avec l’Aragami, une certaine imprécision et un manque de fluidité de ses mouvements qui rendent le spectaculaire parfois absurde, particulièrement lorsqu’il se joue des lois de la physique et ignore les phénomènes de collision. Après tout, c’est pas un être surnaturel (re)venant d’un autre monde pour rien !


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Aragamignon mais stupide

L’Aragami n’a peur de rien et est prêt à tout donner pour vaincre les utilisateurs de lumière et de la magie qui va avec. Par contre, s’il y a bien quelque chose qu’il déteste, c’est les têtes pensantes de Kaiho, l’organisation/secte/empire/machin retenant prisonnière la princesse ayant invoqué l’Aragami. Evidemment, il est obligé de les détester par déformation professionnelle, après tout il n’existe que pour se venger d’eux. Mais plus particulièrement, il les déteste parce que ceux-ci ne suivent pas les règles du jeu. Trois fois au cours de son aventure d’une nuit, il se retrouvera à affronter une de ces têtes pensantes, de ces « boss » ayant tout le pouvoir et auxquels il est lié par un rituel d’invocation. Trois fois, il les détestera pour leur manque de respect pour les règles du jeu et surtout leur manque flagrant de fair-play. Trois fois, il finira frustré quand – forcé d’en abandonner son talent pour la discrétion et l’infiltration – il devra affronter en duel des êtres omnipotents et surpuissants, avec des super-pouvoirs qui font très gimmick.

L’Aragami aussi a plein de super-pouvoirs, avec évidemment le Blink de Corvo, le fameux dragon noir aux yeux blancs des ténèbres et le portail vers un autre monde, mais aussi un corbeau magique qui voit tout et l’affiche la tête haute, des kunaï, une invisibilité limitée, une sorte de sable des ténèbres aveuglant et autres joyeusetés créées depuis les ombres. Dommage que rien de cela ne marche sur les chefs, après tout ils sont surpuissants. Heureusement, ils ne sont pas énormément plus intelligents que leurs subordonnés, oubliant même de prévenir ceux-ci de la présence de l’Aragami – qu’ils détectent pourtant instinctivement – et les laissant allant se faire charcuter les uns après les autres. Après tout, il faut bien que l’Aragami laisse aller sa frustration et sa colère quelque part, n’étant pas particulièrement fan de duels, même si ceux-ci sont presque aussi stylés que ses assassinats si on a une musique pétante en tête et un certain goût pour le fait de refaire trente fois la même chose à la suite.


Pour ceux qui ont un peu de mal avec les métaphores peu subtiles (qu’est-ce que vous faites encore à lire ça ?), je vous fais le bilan d’Aragami en clair, sans aucun habillage ni rien : super fun ; bon hommage à un genre de jeu qui n’existe plus vraiment (Tenchu…) ; bon hommage à un genre de bugs et de manque de finition qui était jusque là surtout perpétrée par Assassin’s Creed (bugs à foison, animations et collision à la ramasse,  L’EAU EST UN ENDROIT MORTEL IL NE FAUT PAS TOMBER DANS L’EAU L’EAU EST DANGEREUSE POUR LA SANTE…) ; level design sympathique et bien pensé pour accommoder tous les styles de jeu (mais jouer discret n’apporte « que » de la gratification personnelle et un challenge plus relevé par rapport à un style de jeu complètement bourrin) ; level design assez répétitif (et le jeu globalement) ; merveilleux cel-shading et sublime direction artistique ; intelligence artificielle digne des pires IA de l’histoire du jeu vidéo ; histoire sympathique à suivre avec tout le folklore japonais qui accompagne (mais très très très très classique et prévisible) et de jolies cinématiques ; trois combats de boss horribles, frustrants, mal pensés, mal fichus, pas du tout fun, en contradiction totale avec toutes les mécaniques de jeu tout en essayant de les intégrer (et ratant) ; un des combats de boss est moins pire que les autres et a une idée sympa (mais mal exécutée et surtout dure beaucoup trop longtemps pour être fun) ; le meilleur aspect de Dishonored (Blink) repris (mais un peu imprécis et aléatoire niveau maniabilité) ; la campagne principale en co-op ; la co-op seulement online et relativement buggée pour rejoindre ; l’ambiance super chouette ; le sound design sympathique qui fait bien le travail (et étonnamment, la musique des boss est géniale).

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