Les jeux de l’A MAZE Festival 2017

Pris une nouvelle fois dans l’énorme friche industrielle de l’Urban Spree, A MAZE Festival fêtait sa sixième édition berlinoise. La capitale allemande chantait une nouvelle fois une ode au jeu indépendant. Après la merveilleuse baffe de 2016, j’avoue avoir été un poil déçu par cette seconde visite. Raisons personnelles, sans doute, mais aussi causes objectives. 


La météo menaçait, aucun des jeux n’étaient donc exposés à l’extérieur et la piscine ne fut pas non plus exploitée. En dehors de cette fâcheuse entrave, A MAZE conserve une excellente programmation, une exposition Thumper où nous pouvions tester les différentes étapes du jeu, des workshops toujours originaux et des talks hauts en couleur.

Tout particulièrement la sélection de jeux, orchestrée par Thorsten S. Wiedemann et son équipe, flamboyait par son excellence. Le milieu regorge encore de joyaux, de bêtes uniques et de bizarreries repoussant les limites du médium.


L’alternative

En tête : mes chouchoux, alias les jeux et installations à controleurs alternatifs, ces monstres étranges, invendables et indéfinissables.

_ Flippaper : Celui ci, je le course depuis 2015 ! Découvert au Stunfest, le Flippaper de Jérémie Cortial et Roman Milelitch poursuit sa course folle à travers le monde. Énorme borne extraterrestre, cette machine invite le joueur à dessiner sa propre carte de flipper. On pose sa feuille sur l’écran, on dessine à grands coups de feutres, on scan et la partie peut démarrer. Esprit DIY, âme rétro, le museau filant droit vers le futur, le Flippaper vrombit à travers l’univers jeu vidéo, l’art pop décoincé et le graphisme BD.

Autre objet, autre expérience, Close The Leaks de Henning Steinbock & Samuel Chapman, conçu pendant la Nordic Game Jam. Heureuse aventure coopérative, Close The Leaks convie chacun des quatre joueurs à prendre un tuyaux pour accompagner le parcours d’un vaisseau spatial. Boucher l’air permet de conserver l’oxygène à l’intérieur de la carcasse, relâcher permet de propulser l’engin. Les joueurs doivent coordoner leurs actions et communiquer pour progresser.


Coop

Close The Leaks participe de cette tendance -bien appuyée par cette sélection de jeux- d’inverser le bellicisme du multi normatif. Au lieu d’organiser des bastons entre joueurs, ces œuvres nous poussaient à coopérer.

Fru est une grande découverte puisqu’il est le seul jeu à utiliser correctement le Kinect. Oui, vous ne rêvez pas, l’invention de Microsoft présente bel et bien un intérêt ! Un joueur agrippe la manette et maneuvre son petit personnage en pleine nuit à travers un temple précolombien, Inca ou Maya ou autre, ça n’a aucune importance. La clé se trouve auprès du second joueur, se contorsionant dans tous les sens, face à l’écran pour que son corps reproduit dans le jeu puisse faire apparaître/disparaitre plateformes, ponts, obstacles et débloquer le chemin.

Côté zen, We Are Muesly proposait Siheyu4n, déjà présenté à Indiecade Europe.

De la coop à quatre sur un beau puzzle game, l’écran disposé à plat, laissant les joueurs contempler leurs parties. Comme Close The Leaks, Siheyu4n exige des joueurs une communication continue. Prenant comme inspiration les cours intérieurs de la Chine médiévale, Siheyu4n prends son temps, coquet et patient. De chaque côté de l’écran les joueurs doivent faire entrer des petits carrés jetés vers le centre dans les cases aux couleurs correspondantes. Chaque joueur occupe un espace délimité et peut, doit, parfois, refiler ses petits carrés aux voisins jusqu’à ce que ce jardin abstrait trouve son harmonie.

Autre jeu abstrait, plus nerveux cette fois, Flat Heroes de Parallel Circles. Cousin maléfique de Siheyu4n, tout aussi épuré mais infiniment moins calme et reposé. Partis d’un mode versus, les développeurs ont fini par aboutir sur une grosse portion coopérative, découpée en 10 mondes haletants eux même divisés en 15 mondes. A travers ces tableaux, les joueurs, en bons petits carrés, dash, sautillent, double sautent, bump, bondissent sur les murs… Tout ça pour esquiver projectives et monstres géométriques. Taillé au cordeau, Flat Heroes fait doucement progresser sa difficulté, assuré dans sa qualité de jeu parfaitement conçu, faisant émerger des récits héroiques.


Les petit.e.s nouve.lles.aux

Accompagnant Parallel Circles, d’autres artistes/développeurs en herbe ont émergés durant cet A MAZE.

Noodles, premier jeu du néérlandais Erwin Kho, conjugue cubisme et déambulation anxieuse dans un univers urbain et anxiogène. Votre amie Bouba travaille dur, trop dur. Pour la réconforter, quoi de mieux qu’une bonne plâtrée de nouilles ? Errant dans la ville, vous partez à la recherche du graal culinaire, tantôt éveillé, tantôt endormi, rêvant d’un espace transfiguré, parfois réconfortant mais très souvent monstrueux. Pour vous endormir, tapez sur votre clavier, la même pour vous reprendre vos esprits.

Emmêlant temps de pause, stress étouffant, entre vie, mort et burn out, Noodles arpente les contours d’une société occidentale aux abois.

Monocular s’intéresse à l’altérité, nous calant dans la peau d’un cyclope balourd, pouvant jeter son œil au loin, l’aidant à observer différemment le monde, à résoudre les énigmes. Epousant Joan Miro et Salvador Dali, Monocular dresse un pont entre nous, simples joueurs, et ce géant handicapé, dans le besoin, tissant un discours sur le regard et la subjectivité.

Pour terminer ce tour des nouvelles, il me tenait à cœur de vous parler de Karambola. Le jeu est né d’une expérience malheureuse d’Agata Nawrot, mère du jeu. Souhaitant manger sain malgré son aversion pour la cuisine, Agata délaissa cette entreprise pour finalement se retrouver à observer ses ampoules de fenouil, abandonnée, sèches et isolées. Personnifiant ces végétaux, Agata imagina toute une histoire de légumes tristes, aboutissant bien plus tard sur un jeu vidéo. Point and click fragile et ésotérique, Karambola invente un langage, peignant des êtres doués d’une parole à décoder, comme Oquonie, comme Fez. A nous joueurs de naviguer à travers les vignettes, de comprendre ces créatures sensibles.


Post walking sim

Faisant parti intégrante des chiants en taxinomie, je viens de trouver un terme, naissant de mes vieilles passions pour la musique et ses cases (post rock, post hardcore, sludge, mathcore, noise rock, branlettecore) pour qualifier deux jeux hallucinants. Surprises lect.eur.rice.s, sachez qu’il existe maintenant des post walking simulators ! Oikospiel de David Kanaga et Where the Water Tastes Like Wine de Dim Bulb Games emmène ce genre honni de Ian Bogost vers des territoires inconnus, riches en ressources.

Oikospiel se présente d’emblée comme un délire monde, un opéra pour chien, faussement payant. Glitché jusqu’à la moelle, Oikospiel déconstruit la balade, agrippe le joueur, lui rappelant qu’Everything normalise un discours qui mériterait bien plus de folie dans le traitement. De chien à araignée à lion, butant contre des références à Ocarina of Time, nous sommes malencontreusement propulsés dans des prairies, des forêts, des pages, des bureaux, minuscules, immenses. Si vous ne comprenez rien à ce texte, n’ayez crainte, vous ne comprendrez rien non plus au dernier jeu proposé par David Kanaga, il cherche à vous perdre, exigeant, stupide, merveilleux.

Ancien membre de The Fullbright Company, Johnnemann Nordhagen s’en est allé fonder sn propre studio. Prochainement, Dim Bulb Games publiera son premier jeu, Where the Water Tastes Like Wine, conte folklorique éparse, gigantesque, reproduisant à échelle google map l’entièreté des Etats Unis. Avec son réalisme magique à la kentucky Route Zero, WTWTLK revient aux racines du pays nord américain, mâtine son propos de blues et invite le joueur à collecter des histoires, d’Etat en Etat… Derrière chaque vignette un.e auteu.r.e, journaliste, écrivain.e… Des profils variés parfumant l’oeuvre d’une dimension totalisante embrassant avec amour la mythologie etatsunienne.


Entre l’amour de la coopération, les hardwares créatifs, les bestioles nouvelles ou étranges, A MAZE montre encore et toujours de bien belles créations, témoignant d’un riche terreau qui n’est pas près de se tarir.


Credit Photos : Julian Dasgupta

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