Caravan

La route de l’encens est probablement l’une des plus célèbres routes commerciales de l’Antiquité : reliant l’Égypte au Yémen et à l’Inde, ce vaste réseau de voies terrestres parcourant l’actuelle Arabie permit aux plus luxueuses ressources (encens, myrrhe, ébène, or, …) de fournir les régions méditerranéennes. Un placement stratégique qui fit donc des Nabatéens d’Arabie un riche peuple commerçant. C’est dans ce cadre que Caravan nous propose de vivre les aventures d’un héritier du trône d’Iram, la légendaire Cité des piliers.


Trafic de Camel

Alors qu’une terrible malédiction engloutit la cité dans une tempête de sable, la reine est portée disparue et le père de notre héros prend la fuite. Chargé par notre oncle de trouver la source de ce mal, notre tout récent caravanier déshabitué des sales besognes va donc devoir se mettre en quête de réponses, tout en sollicitant les bases du commerce qui lui ont été transmises dans le mini tutoriel d’introduction. Si le système de quêtes FedEx™ est très classique (notre héros n’aura ses réponses qu’en échange de services rendus requérant allers-et-retours), ce sont les voyages en caravane qui font le charme du jeu.

Avec un cycle jour-nuit, de chouettes artworks et une musique entraînante, Caravan sait poser l’ambiance.

De la grande ville jusqu’aux petits oasis, vous trouverez donc toujours des marchands prêts à vider leur bourse pour acheter tous vos biens. Si j’ai toujours trouvé ça ridicule qu’un marchand accepte toujours vos offres jusqu’à plus « sous », l’aspect mercantile, certes simple, n’en reste pas moins plaisant : on achète les biens des catégories les plus bon marché pour les revendre dans les villes où la demande est plus forte. Tout a donc un coût, même les voyages puisqu’ils consomment de l’eau de vos outres (qu’il est possible d’acheter et de réapprovisionner) en fonction de la taille de population de vos caravanes, c’est-à-dire bêtes et héros inclus. Les outres et les marchandises occupant de la place, il faudra donc gérer son inventaire, qu’il est possible d’agrandir en se procurant plus de bêtes.

Si on évite l’énième rogue-lite (franchement je le voyais venir en clone de FTL avec des chameaux), on pourra dans un premier temps apprécier les rencontres aléatoires sur les routes. Que va-t-il vous arriver ? Des outres qui fuient : faut-il y envoyer l’auxiliaire au risque de le perdre ? Des hommes attaqués par des chacals, faut-il intervenir ? Surtout que ce qui est intéressant, c’est que les solutions proposées peuvent varier en fonction des classes de héros qui composent vos caravanes. Si vous avez fait l’acquisition d’un Sage, celui-ci pourra soigner les blessures des victimes qui vous récompenseront ; un éclaireur dans votre équipe pourra calmer un cheval trouvé au hasard d’une rencontre ou trouver un raccourci lors d’une tempête de sable pour réduire la durée d’attente (et de consommation d’eau) lors de l’installation d’un campement de fortune. Un conseil : gardez l’œil en parcourant la carte, car certains événements ne se produiront que si vous cliquez sur les symboles à temps (trésor, combats, nomades).

Si je ne regrette pas trop que l’aspect marchand soit simplifié, je suis par contre au regret de vous apprendre que cet aspect aléatoire, tout comme l’aspect gestion, est trop limité. C’est bien simple, en une douzaine d’heures de jeu vous finirez par rencontrer 54 fois cet imposteur de marchand qui tient un guet-apens ou encore 48 fois l’agriculteur qui cherche à se débarrasser de ses sacs de farine qui ne vous intéressent pas – alors que vous trimballez alors avec vous 300 kilo de joyaux, prêts à être refourgués à la meilleure offre. Et si l’échec lors d’un combat ou une mauvaise gestion de votre eau (ce qui est très improbable si vous vous réapprovisionnez vos dizaines d’outres à chaque ville), ou encore une sacré malchance arrive, il suffit de recharger le dernier checkpoint (le passage dans la dernière ville) pour corriger le tir ou forcer la chance : le jeu ne semble être fourni qu’avec son seul mode de difficulté, probablement calibré sur « facile ». Je n’ai rien contre une expérience plus casual, mais l’absence de challenge et la répétitivité finissent par installer l’ennui au bout de 4 heures, surtout quand la partie RPG ne vient pas arranger le reste.

Avant de partir pour une autre ville, il faut prendre soin de bien ménager sa consommation d’eau : l’éclaireur est parfait pour ça

Pierre, Papyrus, Ciseaux

Les combats se déroulent de la façon suivante : vous choisissez le héros qui combattra et un plateau de jeu apparait. Ses 3 statistiques de combat s’opposent à celle de l’adversaire : l’attaque est comparée à la ruse de l’autre, la ruse à la défense et la défense à l’attaque, dans une logique du shifumi classique. Vous pouvez gonfler les statistiques en utilisant des valeurs disponibles aléatoirement sous forme de dé et à tour de rôle (l’initiative s’alternant à chaque manche terminée). Les différences positives et négatives sont ajoutées à la fin d’une manche et infligées sous forme de dégâts directs à la quantité de points de vie du joueur. Au premier abord, les dilemmes peuvent se poser (« vais-je utiliser le dé de 50 points de défense creuser l’écart avec son attaque ou bien le jet de 40 points d’attaque pour empêcher qu’il ne l’utilise sur ma ruse, déjà affaiblie, lors de son prochain tour ? ») ; mais l’unique stratégie du « j’utilise les valeurs les plus fortes en premier en veillant à optimiser les écarts de valeur et je cherche à minimiser les dommages qu’il m’inflige » finit par l’emporter et à devenir une mécanique monotone et peu passionnante. De même, s’il est amusant de pouvoir marchander avec les commerçants, on regrette que la résolution de cet échange tourne encore autour du même pierre-feuille-ciseaux (mettant en jeu cette fois les statistiques de Raison, Agressivité et Émotivité, mais revenant stricto sensu au même principe).

Le marchandage se déroule comme les combats. Pour gagner à coup sûr, pensez à recruter un marchand et à utiliser sa compétence clé.

Et par-dessus le marché, on ne nous donne pas la possibilité de jouer sur les feuilles de personnages, si ce n’est d’équiper l’un des rares items du jeu (un seul par personnage !) pour gonfler nos inintéressantes statistiques (qui ne sont de toutes façons jamais testées en dehors des combats). De même, soyons honnêtes, les imbattables statistiques des classes spécialisées dans le combat (le mercenaire) et le marchandage (le marchand), font qu’on n’utilisera jamais les autres rôles dans ceux pour lesquels ils ne sont pas prédestinés. Les compétences hybrides des voleurs et du héros principal s’avèrent donc inutiles, surtout quand la moitié (c’est-à-dire 3 parmi 6) ne vous seront probablement pas débloquées même lors de la dernière quête – la faute à une limitation du leveling par le paiement de lourds tributs aux marchands de guilde. De même, des compétences se voient ridicules, (en plus de bloquer l’usage des autres, parce que oui, c’est UNE seule compétence à la fois), comme celles qui augmentent temporairement la taille de votre inventaire, leurs durées étant plus courtes que leur temps de récupération – vous obligeant au final à vous débarrassez des biens superflus en court de chemin ! Enfin, les stratégies de composition de votre caravane se montrent limitées. Les dromadaires, ne consommant pas d’eau, finissent par être plus intéressants que les chevaux qui n’augmentent que de peu votre vitesse moyenne, et on réservera l’attribution des auxiliaires (boostant les compétences) aux rôles vitaux. Les classes étant stéréotypées à mort, s’équiper de deux classes identiques est possible mais totalement redondant…


Son exécution étriquée fait de Caravan un RPG trop peu ambitieux dans son contenu et les possibilités qu’il offre pour en faire un jeu mémorable : en sabotant ses possibilités stratégiques de composition et de personnalisation, il propose au final une formule trop répétitive. C’est dommage, mais ça n’empêche pas de se consoler alors avec le fruit d’une sympathique direction artistique et d’une intéressante documentation historique.

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