Tokyo 42

Imaginez un futur où l’on ne peut plus mourir de façon permanente. Du trépas, une pilule vous en sortira, capable de vous cloner telle une copie carbone. Dans ce monde à l’humanité en production sérielle, et où l’infinité des vies prédomine, j’en viens à me demander pourquoi son protagoniste principal va se voir injustement accusé du meurtre d’un autre individu. Tokyo 42 se la donne sur les accents très colorés de son interprétation futuriste de la capitale nippone, en prenant sans doute inspiration chez un Hitman croisé avec un Syndicate aux allures d’un Grand Theft Auto en deux dimensions. Sorte de Hotline Miami en monde semi-ouvert pour le côté pop et choc assumé, au bout du compte, on se demandera si tout cela ne fut pas qu’un écran de fumée.



La mort vous va si bien

Son intrigue est le récit bien connu d’une vengeance. Dans un monde désensibilisé de par son absence de mortalité, on se doit de blanchir notre nom dans un scénario qui va se raconter par quelques séquences de dialogues en début et fin de mission. Comme dans les deux premiers GTA, le monde est vu du dessus ou presque – plutôt de ¾ en fait – et s’offre à nous sous tous les angles du bout de deux touches pour effectuer une rotation à la caméra. L’histoire en elle-même est assez maigre bien que sans être inintéressante. Elle ne se suffit tout simplement pas. Un monde de science-fiction où l’on aurait vaincu la mort, sans pour autant que les assassins ne disparaissent, a de quoi laisser perplexe. Pourtant très vite, Tokyo 42 pâlit en comparaison de ses aînés. La construction de son univers étonne de par le vide qui l’occupe. Le magnifique terrain de jeu aux couleurs fluorescentes ressemble de loin à la vision idéale d’un jeu qui se voudrait fun et attrayant. Plutôt joli, ce Tokyo n’en reste pas moins sans âme. Ce ne sont pas ses quelques publicités et ses nombreux passants qui vont vraiment l’animer. On est ainsi très loin de ressentir la vie parcourant les rues d’un Los Santos ou d’une Liberty City. Les passants passent et repassent dans tous les sens, mais ne donnent pas l’impression d’exister. La ville elle-même ne donne pas l’impression de réellement exister. La seule solution pour ce microcosme de prendre forme est alors au travers des dialogues prenant place entre les différents personnages de son histoire, et guère plus.

Heureusement, il n’y pas que cela, n’est-ce pas ? Si Hotline Miami a en sous-texte une intrigue sympathique qui participe à nous mettre dans le bain, le gros morceau, c’est son action, et c’est aussi ce que propose majoritairement Tokyo 42. Les premières heures sont assez intéressantes. Son aspect de diorama mignon et coloré le rend attrayant, et par ricochet donne envie de jouer. La prise en main est cependant délicate en raison de ses choix esthétiques et d’une jouabilité imprécise. Les sauts se retrouvent ainsi souvent périlleux, car la ville est tout en verticalité avec un grand vide autour. Heureusement, le danger de tels sauts est atténués à minima par le flottement de notre personnage sur lequel la gravité ne semble pas avoir autant d’accroche que sur moi après un McDo. Sans oublier qu’un marqueur est présent sous notre personnage, afin de viser au mieux notre atterrissage. La maniabilité n’en reste pas moins frustrante.



La guerre des clones

Tokyo 42 semble s’être plus inspiré du shoot’em up que d’un véritable top down shooter des familles. Ainsi, dès que l’on tire, nos balles ne vont pas fonctionner à la manière d’un hitscan (la balle touche immédiatement l’endroit où on a ciblé), mais sont des projectiles dotés d’une certaine vitesse et pas forcément des plus véloces. Par exemple, les munitions de notre pistolet de base se déplacent bien plus lentement que celle de notre fusil d’assaut, ces dernières étant également moins rapide que les balles du fusil à lunette. On se retrouve alors littéralement à zigzaguer entre les balles ennemis à la façon d’un Neo dans Matrix. A l’image de son personnage sautillant tel un cabri, toute l’action du jeu se concrétise en faisant preuve constamment d’anticipation et de réaction. Dans l’idée, ce n’est pas un mal, et c’est même intéressant. Dans son exécution quotidienne, ce gameplay draconien va se heurter à la réalité de ses autres choix purement esthétiques, qui ne vont pas lui rendre service sur le long court.

Les première missions sont pour une première approche loin d’être désagréable. Privilégiant plus la discrétion que le rentre-dedans, on parvient encore à s’accommoder des quelques déplaisantes sensations procurées par une maniabilité perfectible, notamment à cause de son choix de caméra idiot. Par contre, dès qu’une mission va réclamer de notre part un peu plus de vivacité en ne nous offrant guère la possibilité d’être à 100 pour 100 discret, on s’engage alors dans un ballet entre les balles et les grenades ennemies, qui malgré tout nos efforts nous feront inévitablement entrer dans le cercle vicieux du die & retry. Ce dernier point n’est pas un mal en soi pour un jeu vidéo qui se veut exigeant, excepté dans les cas où la majorité des morts vécues sont dues en grande partie à la dite maniabilité. Pour un jeu qui se prête pourtant bien à la souris de par sa visée libre, on en vient à se dire que jouer à la manette semble être une décision plus censée. Pourtant passer au support manette n’enlèvera rien à la conception même du jeu, ni ne l’améliorera, qui de par sa vue façon 3D isométrique, sa caméra non libre pouvant se déplacer sur quatre axes uniquement autour du personnage, et un manque de lisibilité général à cause d’une certaine difficulté à lire le positionnement de certains éléments dans l’espace, font que irrémédiablement, cela ne fonctionne plus.



La vie en mode bis repetita

Le plus gros souci de Tokyo 42 est d’avoir privilégié la forme plutôt que le fond, ce qui va d’ailleurs à l’encontre de bon nombre d’écoles du jeu vidéo, comme celle de Nintendo. Si ce jeu est indéniablement doté d’un charme fou avec son microcosme futuriste et étonnamment coloré au lieu d’être gris marron comme c’est souvent le cas, ses efforts sur le plan de la plastique ne suffisent pas à faire oublier le reste. Le jeu vidéo s’apprécie avant tout au travers de sa maniabilité. La manette, ou le clavier et sa souris, sont les premiers contacts que nous avons avec un jeu. Il est par conséquent très important d’affiner en priorité ce lien presque organique qui va aider à établir une connexion entre les joueurs et leur jeu. Il m’est très souvent arrivé de peiner, voire de rejeter un titre de par son incapacité à créer ce lien. La jouabilité d’un jeu dans son ensemble est primordiale. Malheureusement pour lui, Tokyo 42, sans être le plus mauvais de sa catégorie, ne parvient pas à créer ce lien. Il aurait gagner à choisir un autre type de vue, mais aussi de se passer de ses plate-formes de toute évidence sans intérêt et n’apportant rien de tangible à son expérience générale.

Le soin apporté à ses graphismes semblent aussi avoir été fait au détriment de ses mécaniques de combat, qui finissent par tourner en rond, faute de renouvellement réel. Les échanges armés se retrouvent trop souvent à fonctionner sur le même modèle, malgré l’intégration de moyens d’infiltration notamment par l’utilisation d’un camouflage limité dans le temps. Sauf que Tokyo 42 n’a pas les mêmes mérites que le dernier Hitman en matière de discrétion. Le tueur chauve dispose en effet d’un environnement plus ouvert en terme de possibilité et bien mieux maîtrisé. En comparaison, notre simulation d’assassin futuriste en 3D isométrique se perd un peu en confusion en donnant la désagréable impression de n’être que l’accumulation de poncifs du genre action sans finalement les intégrer avec finesse.


Tokyo 42 fait parti de ces jeux qui attirent inévitablement l’œil de par leurs graphismes attractifs et originaux. Pourtant, c’est aussi un peu tout ce qu’il y a à en tirer. En privilégiant la forme sur le fond, l’expérience qu’il tente de nous offrir se transforme peu à peu en ennui ou en énervement, principalement à cause de sa maniabilité délicate et de son choix de caméra intransigeant, gênant par trop souvent la lisibilité de l’action. Attendu avec anticipation, c’est avec notre déception qu’il repartira en mode désinstallation.

3 réflexions au sujet de “Tokyo 42”

  1. J’attendais ce titre avec pas mal d’impatience, dommage qu’il n’ait pas réussi son pari. :/ D’autant que je trouvais le parti pris de projectiles plutôt que de hitscan vraiment chouette pour le genre (aimant davantage le shoot’em up que les jeux de tirs) (oui bon la phrase ne veut rien dire mais je me comprends).

    Y a un point que je trouve bizarre par contre, c’est qu’on lui reproche son esthétique, tout en reconnaissant que c’est son seul aspect réussi. Y a un conflit clair entre les mécaniques et les visuels, ça c’est sûr. Mais vu que c’est les mécaniques qui sont un peu bof… C’est pas plutôt elles qui devraient être changées ? Parce qu’à côté, l’esthétique, dont la vue isométrique, fait vraiment toute l’identité du jeu ! Changer ça, c’est lui retirer sa personnalité. Je trouverais plus logique d’adapter ou changer les mécaniques de jeu, qui n’ont comme bien noté dans le test rien d’unique ou d’original, pour qu’elles fonctionnent avec l’univers artistique construit par le jeu. Parce qu’on va pas se mentir, ne serait-ce que pour Tokyo 42, c’est vraiment le parti pris artistique qui fait l’attrait !
    Après y a plein de solutions imaginables pour « corriger » les mécaniques (se voir au travers des bâtiments, caméra fixe, level-design plus plat dans les combats…), mais bon autant laisser ça à l’équipe de dev. Là où je veux en venir surtout, c’est que je ne pense pas que la logique « forme au détriment du fond » soit effective, même ici. Déjà parce que je suis de moins en moins certains qu »il y ait des notions de « forme » et « fond » dans le JV, mais aussi parce que, en fin de compte, on peut pas demander aux dessinateurs de se mettre à coder pour faire du game-design ! En fait je crois pas qu’un travail réussi d’un côté soit au détriment de l’autre. Ni que sacrifier l’identité visuelle puisse sauver un système bancal. Et même si ici il y a un conflit entre la caméra et la maniabilité, c’est plus un problème de game-design et level-design que du choix artistique, qui lui est réussi !
    En fin de compte, je trouve étrange le discours « Le jeu est très beau, mais il ne devrait pas ». Y a un aspect réussi de Tokyo 42, et qui lui donne toute son âme… Pour moi c’est loin d’être dispensable ! Toute l’architecture du jeu semble être construite pour cette vue isométrique. À mon sens le tort du jeu n’est pas d’avoir bénéficié d’artistes talentueux, bien au contraire. Son problème, c’est de ne pas avoir su en tirer parti convenablement dans ses mécaniques !

    Enfin au-delà de cette réflexion, l’analyse du test est quand même bienvenue ! Elle a le mérite d’aller plus loin que « La caméra est ratée » ou « Ça se contrôle pas bien ». 🙂 Merci pour cette lecture !

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    • Le jeu vidéo est une somme de qualités différentes. Bien évidemment que le paraître est aussi important que le fond. Cependant, comme je l’ai dit dans ma critique, le premier contact avec un jeu vidéo se fait dans sa jouabilité. Si on se contente de dire qu’il est beau, c’est qu’au final, on ne s’intéresse pas à lui ou qu’on se contente de le regarder de loin. C’est comme admirer une oeuvre pour sa beauté plastique sans finalement se soucier du discours de l’artiste qui s’est construit derrière sa réalisation.

      On ne m’offrant pas une jouabilité soignée et pensée comme il faut, Tokyo 42 me déconnecte de l’expérience qu’il aimerait m’offrir. Quand je finis par plus m’intéresser à se défauts qu’à ses qualités, c’est que ses choix de game design sont problématiques. Oui, le jeu est joli, c’est vrai, et sa 3D isométrique fait intégralement partie de son identité visuelle si forte. Sauf que quand elle se met en travers de la jouabilité, elle devient aussi problématique. Trop souvent, on passe plus de temps à recadrer la caméra pour mieux apprécier l’action qu’à se concentrer sur l’action elle-même, car trop souvent, un bâtiment au premier plan viendra cacher la dite action.

      Le souci étant que si effectivement, cette 3D isométrique pose des problèmes aux choix de gameplay des développeurs de Tokyo 42, le rendant souvent injouable, implicitement, je voulais également sous-entendre que le gameplay n’a peut-être pas non plus été très bien pensé par rapport à leurs choix en matière d’esthétique. Une décision aurait du être prise : soit apporter à Tokyo 42 un gameplay adapté à sa plastique fantastique, ou bien le contraire, transformer sa plastique pour mieux se soumettre à son gameplay.
      Malheureusement, son côté action un peu shmup sur les bords ne colle pas avec une 3D isométrique qui rendra tout affrontement trop fastidieux à mon goût.

      Je pourrai également m’étaler en longueur sur la notion de beau qui ne s’applique par entièrement dans le cas de Tokyo 42. Ce dernier est joli, pas beau. Le beau implique qu’il ait quelque chose à apporter aux joueurs qui aille au-delà de sa joliesse. C’était par exemple le problème de l’art pompier. Tokyo 42 aurait été beau si sa vision futuriste de la capitale nippone était allée au-delà d’une simple idée esthétique. Bien évidemment, il s’agit dans ce cas de mon interprétation personnelle, mais la ville de Tokyo 42 est malheureusement creuse. Il y avait pourtant le potentiel d’aller bien plus loin, mais on reste dans le monde du paraître plutôt que du sens. Dans les GTA, la ville n’est pas qu’un corps vide de sens. Ce n’est peut-être pas la meilleure représentation, mais dans un GTA, la ville est vivante et tient un rôle à part entière, est un personnage important dans l’expérience du joueur. Le level design sert autant signifier inconsciemment au joueur les points de repères importants dans un niveau qu’à lui raconter une histoire. Dark Souls, GTA IV, Dishonored et cie, tous réussissent à donner vie et crédibilité à leurs murs. Tokyo 42 n’y arrive et se contente d’être joli. C’est beau à regarder, mais sa cité d’un futur imparfait ne laissera malheureusement pas sa marque sur le joueur comme une Anor Londo ou une Los Santos.

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      • Merci pour cet éclaircissement ! Oui, dans le fond les visuels nuisent complètement à la jouabilité. Dans un sens ou dans l’autre, c’est la relation entre les deux qui fait défaut. Et effectivement, on ne peut pas parler du jeu sans parler de son interactivité bien entendu ! C’est ce qui ressort en premier en fin de compte.

        Je trouve aussi intéressant la nuance entre beau et joli… C’est vrai qu’à bien y réfléchir, si les images du jeux font de très sympathiques fonds d’écrans, il n’en ressort pas nécessairement de « profondeur ». Ni dystopique, ni utopique, juste des architectures et couleurs soignées… Et même dans les vidéos, ça fait finalement assez figé. Et là se pose complètement la question du sens, vu que en effet, y en a pratiquement pas qui se dégage. Je ne sais pas si tout les arts doivent avoir un sens (on trouve bien des musiques ou peintures qui n’ont pour vocation que de dégager des émotions), mais vu que le jeu s’offre aussi un scénario, en plus d’utiliser ses décors comme contexte de monde ouvert… Ouais, c’est aussi décevant que l’imagerie ne parvienne pas à véhiculer tant d’idées que ça. C’est un point plutôt pertinent.

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