Chuusotsu! 1st Graduation: Time After Time

Au lancement de Chuusotsu, un message d’avertissement s’affiche prévenant que ce jeu ne promeut aucune forme de discrimination (on y reviendra) et que tu passeras 100 millions d’années en prison si tu le partages illégalement. Dans le même état d’esprit, je vais me permettre d’émettre à mon tour un avertissement.



Amie lectrice, ami lecteur,si tu es de celles ou de ceux qui s’imaginent les visuals novels comme des jeux chiants où la seule possibilité d’être un joueur consiste à faire des choix à intervalles réguliers, tu risques d’être encore fort plus chagrin lorsque tu découvriras le concept de kinetic novels. Le kinetic novel est un VN mais sans aucun choix et où la seule interaction se résume à cliquer où à appuyer sur un bouton pour passer à la suite de l’histoire. Or, devine quoi ma/mon chèr(e), Chuusotsu est une production de ce genre là donc si tu es allergique à la lecture ou que lire de l’anglais t’es impossible, ne perds pas ton temps et va donc plutôt voir cette fantastique vidéo qui mélange un canard et Initial D. Et on se retrouve pour ma prochaine critique sur GSS, no hard feeling tkt comme disent les jeunes.


Pauvre jeu.

Bien, maintenant que nous sommes donc entre personnes intéressés, permettez moi d’expédier rapidement tout ce qui ne concerne pas l’histoire de Chuusotsu pour y revenir plus en détails par la suite. On va faire ça rapidement car le bilan est vraiment pas top.

Chuusotsu n’est pas un VN très généreux en dessins ou en musique et ce qu’il affiche / fait entendre est assez moyen. Des décors tellements génériques qu’on les dirait sortis de Google Images, des musiques oubliables, des illustrations qui alternent entre le moche et le potable, des sprites pas trop mal foutus mais trop peu nombreux, bref seul le doublage s’en sort de façon vraiment honorable.  L’expérience de Chuusotsu se révèle donc plutôt aride pour qui ne s’y attends pas mais une fois cet état de fait accepté, le joueur peut se concentrer sur la véritable force du VN à savoir son histoire.

Chuusotsu se déroule dans un future proche indéterminé, dans un monde où les nations ont disparus et ont été remplacées par une gouvernance mondiale aux contours flous mais n’ayant visiblement pas tournée à la dictature. En revanche, les citoyens du monde, qui se résume donc au Japon comme pour tout VN venant là bas, sont soumis à une loi implacable nommé loi P3. Sous cette loi, toutes les adolescentes et les adolescents se retrouve obligés de passer un examen à la fin du collège qui déterminera leur carrière pour le reste de leur vie sans réelle possibilité de changer. Cette loi, qui transforme la société en une sorte de méritocratie poussé à l’extrême, est au coeur de la vie de notre héroïne Arue.


La dernière Arue du carosse

Au début du jeu, Arue est présentée comme une jeune fille de 12 ans qui vit dans une petite ville avec sa mère et son grand frère. Rassurez vos oreilles, aucun onii chan bien aigu ne sortira de sa bouche. Ne cliquez pas sur le lien et continuons. La famille de Arue est pauvre mais elle bosse de manière ultra intensive pour une ado de son âge afin d’obtenir un poste gouvernemental, le job de plus haut rang à la sortie de l’Examen au taux d’accès stratosphériquement bas, et subvenir aux besoins de sa famille.  

Une ellipse plus tard, on la retrouve, elle a 15 ans et visiblement le beau plan est tombé à l’eau. Arue, tombée malade, n’a pas pu passer son Examen et est donc devenu une Chuusotsu, une sans Sceau. Sans Sceau car non seulement l’Examen a pour conséquence de déterminer votre destinée dans la société mais en plus il vous octroie un Sceau officiel que les autorités vous greffent sur la peau et qui correspond à votre métier. Ces Sceaux permettent grâce à des nano machines de vous renforcer mentalement ou physiquement selon votre rang.



Les chuusotsus comme Arue sont donc au plus bas rang social et Arue n’a plus qu’un chemin pour accéder à son rêve :  Passer par une session de rattrapage de l’Examen. Pour arriver à cela, elle décide d’accepter l’offre d’une mystérieuse société qui lui offre, tant qu’elle a encore 15 ans et pas de Sceau, la possibilité d’avoir un appartement en pleine ville (qu’on supposera être Tokyo), ses frais payés avec au bout la possibilité d’une session de rattrapage, le tout en échange d’une collaboration à une expérience sur les chuusotsus. Oui ça pue franchement dit comme ça mais Arue n’a pas le choix et accepte l’offre malgré le fait que souffrant d’une certaine forme de phobie sociale, sa capacité à être en colocation l’effraie énormément.  

Je ne rentrerais pas dans les détails sur le reste de l’histoire car la quasi totalité du plaisir vient de la découverte des personnalités comme des passés du trio d’héroïnes et particulièrement d’Arue ainsi que de la tâche qui les attends. Hélas, le scénario prend un peu de temps pour décoller et a tendance à se perdre dans pas mal de phases légères un peu trop anecdotiques. Or, même si Chuusotsu construit son ambiance sur la longueur et l’attachement progressif que l’on ressent pour les personnages, les deux premières heures sont vraiment longues. C’est d’autant plus dommage qu’une fois cette première étape franchie, Chuusotsu révèle un propos très intéressant et qui à titre personnel m’a beaucoup touché.


Un jeu en exclues.

Rappelez vous l’avertissement dont je vous parlais en début de critique, eh bien après quelques heures dans la vie des Chuusotsu vous arrivez à comprendre à quel point pourquoi il s’avère pertinent. Le thème qui résonne au travers des destinées des 3 héroïnes s’avère être autant celui de l’exclusion que de différentes formes de discrimination sociales dans ce monde dont le caractère dystopique s’affirme de plus à plus à mesure que l’histoire se dévoile. A la manière d’un Doki Doki Literature Club qui arrive à mettre en place un malaise certain en explosant son masque d’oeuvre mignonnette, Chuusotsu se met à aborder des sujets de plus en plus dramatiques en grattant sous sa couche de niaiserie.

Ce virage du sérieux est parfois mal négocié, va parfois trop vite et trop loin mais sur le fond, il est difficile de reprocher au jeu son manque de sincérité.  Malgré tout, le scénario arrive à frapper là où on ne l’attendait pas vraiment et se montre sous son meilleur jour dans une écriture simple et touchante lorsqu’il aborde pourtant des sujets difficiles et ambigus. Parler du sentiment de culpabilité et d’auto-dénigrement des exclus, de la fuite en avant qu’est la renfermement sur soi, du poids du son propre jugement n’est pas chose aisée mais Chuusotsu y arrive et rien que pour ça, il mérite d’être lu / joué.



Grâce à la force de son traitement intelligent de certains sujets sérieux comme par sa capacité à écrire habilement les tourments intérieurs de ses personnages, Chuusostu a réussi par moment à réellement m’émouvoir tant j’ai pu retrouver un peu de ma propre vie dans les tourments de Arue et de ses amis. Certes, nous ne vivons pas dans la même société et certains thèmes, comme le traitement de Kokoro une gamine habitant visiblement seule dans l’appartement voisin, est un peu trop maladroit mais il se dégage de l’ensemble une vraie envie de partager. On y sera d’autant plus sensible si on est otaku, statut qui regroupe pas mal de destinées enfantines/adolescentes communes, mais le message reste universel.


Chuusotsu est un visual novel qui ne pourra pas se livrer à tout le monde. Celles et ceux qui seront repoussés par le genre, l’absence de traduction en français ou un travail sur la forme assez peu généreux fuiront tandis que les autres pourront trouver le ticket d’entrée dans l’histoire coûteux et agiront de même. En revanche pour qui s’accrochera et accrochera, Chuusostsu éclatera son masque de comédie nunuche pour se révéler comme une tragi-comédie de qualité  défendant le droit au rêve et à la folie créatrice dans une société à la dérive et qui choisit de mettre en avant la générosité des gens dans un monde ultra individualiste et l’espoir qui peut malgré tout se dégager de situations dramatiques. Vues comme des cloches, l’histoire de nos héroïnes forcément résonne.

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