Vampyr

C’est au crépuscule de la Première Guerre Mondiale dans une Londres endeuillée par la fièvre espagnole, que Jonathan E. Reid rentre au pays. Devenu suceur de globules rouges, voilà que cet homme de science, ce chirurgien de renom, a fait de sa sœur sa première et peut-être dernière victime. En tant que vampire, Jonathan va devoir faire face à un dilemme de choix entre s’abandonner à sa nouvelle faim et se sustenter des veines de ses compatriotes, ou au contraire la combattre et conserver le peu d’humanité qui lui reste. L’intrigue principale tournera autour de son désir de vengeance envers le responsable de ce cadeau possiblement empoisonné, et, sa lutte intérieure afin de rester humain malgré tout.



Bienvenue chez les vampires anonymes

Le vampirisme dans Vampyr n’est pas exactement traité comme une bénédiction. Au contraire, les seuls à le considérer font partie d’une confrérie misogyne et rétrograde employant à son bord des individus de la haute société anglaise, s’acharnant à tirer dans l’ombre les ficelles politiques de l’Empire britannique. C’est un jeu dans lequel une hiérarchie vampirique existe entre ceux appelés Ekon, prétendue crème de la crème du vampire pouvant aisément passer pour des être humains. Et puis il y a les Skaal, sorte de version dégénérée ayant parfois oublié leur conscience au point d’en revenir à un état presque animal, ne répondant plus qu’à leur faim irraisonnée pour la chair humaine. Dans le camps les opposant se trouvent diverses sociétés secrètes cherchant soit à les étudier, soit à les pourchasser pour mieux les empaler. Dontnod a ainsi créé son propre mythe avec ses règles et son bestiaire.

Mais le plus important reste son angle d’approche de la nature vampirique. On s’éloigne ainsi de l’idée moderne à laquelle nos seigneurs de la nuit furent par trop souvent soumis, celle d’adulescents dépressifs et centenaires s’amourachant de jeunes pucelles. Ici, c’est plutôt l’imagerie du monstre hantant nos nuits qui va dominer avec une petite dose de poésie empruntée au Romantisme. Le vampire y est présenté sous plusieurs aspects et le plus intéressant reste aussi le plus clinique, son état étant traité comme une maladie qui ronge et pervertit les esprits. C’est sans aucun doute parce-que son personnage principal est un médecin que ce dernier cherchera à comprendre sa nouvelle identité et à la combattre à l’aide de la recherche en laboratoire. L’idée est bonne mais son exécution l’aura moins été. Le souci est que malheureusement ce concept n’ira jamais bien loin et servira plus d’habillage à l’intrigue que de véritable valeur de fond.

L’aspect scientifique est abordé de façon très superficielle. Les recherches de Jonathan se résume par trop souvent à un simple objectif de quête mais rarement à la finalité de sa démarche. L’histoire principale elle-même finira par se ranger du côté du tout fantastique en oubliant un peu le désir de Jonathan de tout rationaliser. A chacun son interprétation sur ce sujet, mais j’aurai personnellement apprécié une approche plus terre à terre du vampirisme dans une exploration de sa nature viscérale en tant que problème scientifique que de verser une fois de plus dans l’ésotérisme si conventionnel. Il n’en reste pas moins que Jonathan va devoir tout de même combattre sa maladie tant bien que mal et que son parcours reste intéressant.

La soif prendra vite possession de notre homme, ou tout du moins, en apparence seulement pour les besoins du scénario. En effet, rien dans les mécaniques du jeu ne semble réellement nous obliger à étancher ce désir de boire du sang frais, si ce n’est pour gagner beaucoup plus de points d’expérience qu’en terminant des quêtes. Non, le jeu ne nous impose ni perte du contrôle de notre personnage, ni sa mort prochaine dans le cas où nous déciderions de ne pas céder à son instinct carnassier. Ne pas se sustenter ne semble même pas affaiblir Jonathan.



Boire ou ne pas boire

Alors certes, la difficulté peut s’avérer élevée par moment, surtout si l’on a retenu nos crocs et que l’on refuse par extension de devenir plus fort. Heureusement, son système de combat est conçu de telle façon qu’il est possible d’embrasser autant la voie pacifique que celle du chaos sans que cela ne nous empêche d’arriver au bout, non sans quelques concessions. Jonathan peut se battre avec diverses armes en sus de ses pouvoirs de vampires dans un style qui ne fut pas sans me rappeler Bloodborne. Comme dans le titre de From Software, il repose sur jeu très dynamique d’esquive rapide et de contres avec l’utilisation d’armes pour étourdir ou faire saigner l’adversaire.

Il est alors possible d’augmenter la puissance de Jonathan de deux manières : la première déjà connue sera d’apprendre à mieux connaître les habitants de cette partie de Londres, puisque plus vous en saurez sur eux et plus leur sang vous rapportera des points d’expérience en pagaille pour ainsi améliorer ou débloquer de nouvelles compétences de vampire ; l’autre solution requiert un peu plus de patience et de talent, car en refusant de tuer vos pairs, il ne vous restera que des armes à améliorer pour pouvoir espérer vous sortir encore mort-vivant de chaque confrontation. Car chaque ennemi gagnera en niveau et en puissance à mesure que l’histoire progressera. Refuser de boire du sang humain, c’est donc aussi se mettre en danger face à l’adversité. Mais céder à la tentation, c’est potentiellement signer l’arrêt de mort des quatre quartiers qui composent la partie explorable de la capitale anglaise.

Chacun de ces quartiers est composé d’un certain nombre d’habitants qui en forment l’équilibre mental. La disparition ou la mort de l’un d’entre eux entraînera la dégradation de son statut. Encore plus s’il s’agit du pilier de leur communauté représenté par un personnage jouant un rôle dans l’intrigue principale et ayant une très grande influence sur leur quartier respectif. Lorsque le statut atteint son niveau le plus bas, le chaos l’emporte sur la sérénité, la mort sur la vie, entraînant même l’impossibilité de poursuivre les diverses quêtes annexes que ses pauvres hères auraient pu nous donner. De viles créatures prendront alors possession de ces rues nous rapprochant un peu plus d’un dénouement final à l’horizon bien sombre. Vampyr ne devient pour autant pas plus aisé à mesure que Jonathan devient plus puissant par gourmandise. Choisir la voie du sang est comme pour nous rappeler que le côté obscur est certes plus séduisant, plus rapide mais lourd de conséquences.



Vampire militant

Vampyr est la somme de diverses mécaniques ludiques qui vont s’emboîter relativement bien les unes dans les autres. Si le combat reste une forte dominante de son gameplay, l’aspect narratif ne chôme absolument pas en représentant même la partie la plus importante du jeu. Il prend même des allures de jeu de détective avec sa recherche d’indices et des discussions avec autrui ressemblant plus à des interrogatoires qu’à des échanges de politesses. Cela nous permet de nous positionner parfois dans le rôle du voyeur un peu comme un James Stewart dans Fenêtre sur Cour en plus mobile. Nos sens aigus de vampires nous permettent en effet d’observer nos potentielles victimes dans leurs moments les plus secrets. Déterrer un à un ces secrets est important pour espérer tout connaître d’eux et ainsi améliorer la qualité de leur sang.

Ne me demandez pas pourquoi la qualité de leur sang corrèle avec la quantité de savoir que nous pourrions avoir sur leur personne, mais le fait est là. Pour autant, Vampyr est aussi un jeu où nos choix vont se révéler bien souvent sans possibilité de retour. Au détour d’une conversation, il arrivera que le dialogue soit à réponses multiples, certaines pouvant nous fermer définitivement la porte à une information capitale sur nos interlocuteurs. Certaines quêtes secondaires impliqueront également des décisions à prendre qui amèneront bien souvent à différentes conclusions. Le libre arbitre que nous alloue Dontnod est aussi le moyen de nous surprendre en nous enfermant dans l’aspect absolu de nos certains de nos choix.

Pour appuyer cela, on nous sert un jeu d’ambiance en clair-obscur habilement servi par la musique d’Olivier Derivière qui est très certainement pour moitié dans la qualité immersive de Vampyr, contrairement à certaines animations très imparfaites de nos personnages ne savant visiblement pas toujours quoi faire de leurs bras pendant nos conversations, quand il ne s’agit pas d’expressions faciales par trop souvent figées. Le contexte de son histoire est aussi l’occasion pour ses développeurs de tenter une approche plus sensible avec un discours social sur les inégalités des droits entre l’homme et la femme, entre les plus riches et les pauvres. Dans l’idée, c’est parfois réussi, à d’autres moments, c’est plus maladroit à cause de personnages sonnant un peu faux si ce n’est pas plutôt l’impression qu’ils récitent un discours formaté. D’autres au contraire se livreront à travers leur parcours de vie ou leurs sentiments les rendant plus humains, et de fait, renforçant indirectement leur message.


Vampyr est une intéressante symbiose entre le jeu narratif et d’action/aventure. On retiendra visuellement son jeu de lumières, et pour les oreilles sa magnifique bande sonore. Son système de combat se révèle malheureusement redondant à la longue, en ne se renouvelant pas suffisamment tout comme son bestiaire qui finira par tourner un peu en rond. Son histoire à embranchements reste vraiment ce qu’il a de mieux à nous offrir, qui malgré quelques facilités narratives et un manque de subtilité dans certains dialogues, reste accrocheur pour son côté ouvert où nos choix semblent avoir un impact sur notre environnement vidéo-ludique, et, son aspect jeu de détective. Sans être parfait, les amoureux des vampires seront en bonne compagnie aux côtés de Jonathan.

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