Tako au Tokyo Game Show, du rêve à la réalité

Bonjour à tous, je suis Christophe Galati, développeur indépendant français de 22 ans, créateur de Tasukete Tako-San. Je viens à vous aujourd’hui pour vous raconter comment, grâce à la communauté de joueurs et développeurs français, j’ai eu l’opportunité d’emmener Tako au Japon pour le Tokyo Game Show 2016. Voici le récit de ce voyage professionnel.


Profil d’un jeune créateur

Pour faire court, j’ai commencé à créer des jeux vidéo à l’âge de 12 ans avec RPG Maker, puis j’ai fait une école de jeu vidéo où j’ai appris la programmation. Depuis deux ans, je réalise Tako-San sur mon temps libre, soirs et week ends, en travaillant à côté sur le jeu d’une entreprise pour rembourser mon prêt étudiant tout en continuant de créer et de me former. J’ai grandi dans le sud de la France, entouré de la collection de jeu rétro de mon grand frère, bercé par les jeux Japonais, auxquels j’ai voulu rendre hommage à travers Tako-San.


Tasukete Tako-San, l’hommage comme fait d’arme

Tako-San est un Platformer RPG que j’ai commencé en 2014 pour les 25 ans de la Game Boy. Nous travaillons à deux dessus, Marc-Antoine Archer sur la partie Sound Design, et moi sur tout le reste. A l’époque, c’était un Runner, mais depuis j’ai travaillé pour en faire un jeu complet avec un vrai scénario et beaucoup plus de contenu. On y joue un Poulpe qui peut tirer de l’encre sur les ennemis, pour les changer en plateforme, avec un système de pouvoirs (50 chapeaux différents), des villages, des cutscenes, des quêtes… le tout dans l’esprit Game Boy. L’histoire se déroule dans un monde où les Poulpes et les Humains sont en guerre. Lors de sa première bataille, le héros sauve une humaine tombée à la mer. Suite à cette action, une fée lui offre le don de respirer à la surface en échange de la promesse de ne jamais détester les Humains…

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De ma chambre au Tokyo Game Show : la cagnotte.

Venons en aux faits. Au cours du projet, j’ai eu l’occasion de faire plusieurs évènements indés en France, comme le Stunfest ou les EIGD, ce qui m’a donné une certaine couverture médiatique. Je n’avais malheureusement jamais pu faire d’évènements à l’étranger par manque de moyens. Même s’il me semblait impossible d’y être sélectionné, en Avril dernier j’ai rempli un formulaire en ligne pour le Tokyo Game Show, qui permet, si le jeu est nominé, d’avoir un stand gratuitement. Je soumet ma candidature sans trop y croire en me disant que, même si par miracle je suis pris, je ne pourrais pas y aller et je suis passé à autre chose. Puis un beau matin de Juillet, toc toc you’ve got mail !

J’ai relu le mail je ne sais combien de fois pour être sûr, mais j’étais bien sélectionné ! Deux émotions : d’abord une grande joie, puis la réalité a frappé d’un coup, l’angoisse. Travaillant pour rembourser mon prêt étudiant je n’avais aucun moyen, ni économies, je n’étais jamais sorti d’Europe donc je ne possédais pas de passeport (je n’avais jamais pris l’avion non plus). Je contactais quand même Laura, une amie vivant à Tokyo depuis deux ans. Cette dernière proposa de m’héberger. Voilà qui m’enlevait une grosse épine du pied. Je pouvais commencer à réfléchir. Il me vint alors une idée : celle de faire une cagnotte en ligne. J’en ai alors parlé à quelques développeurs indépendants français, qui m’ont tous dit que c’était une excellente idée et qui m’ont également donné des conseils afin de rendre la page attrayante. Même si je n’avais aucune contrepartie à offrir, après une semaine de réflexion, je me lançais. Pour l’occasion, Valentin Seiche m’a fait un artwork.

C’est alors que la communauté indépendante française et les fans du jeu se mobilisèrent en masse sur twitter et facebook. Des sites spécialisés relayèrent l’information, certains firent même une bannière qui menait à ma cagnotte. 48h plus tard, ma campagne était financée ! Cela devint une belle histoire de l’entraide possible entre créateurs indépendants Français. Le voyage allait donc être possible ! Je me rendis vite au commissariat pour demander un passeport, avec le stress qu’il n’arrive pas à temps.

La question de la traduction du jeu en japonais arriva aussi. Ayant dans mes contacts un traducteur japonais qui travaillait avec Unity Japan, je lui demandais ce qu’il était possible de faire sans moyen. Il fit donc un appel d’offre en précisant la contrainte de temps. C’est alors qu’il me présenta Akihiko Mukkii Mukaiyama, un ancien de Sega, non traducteur professionnel mais désirant aider les indépendants. Il réalisa la traduction du début de Tako en un temps record.

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Deux semaines avant le départ, j’ai obtenu mon passeport, puis j’ai reçu mes pass pour le Tokyo Game Show ainsi que mes billets d’avion achetés grâce à la cagnotte. Je fis aussi faire des badges et des stickers Tako. Je contactais ensuite tous les japonais et autres personnes vivant au Japon avec qui j’étais en contact mais que je n’avais jamais pu rencontrer, et m’inscrivis à tous les évènements indés tokyoïtes se déroulant pendant les dix jours où j’allais être présent. Tout était prêt, ce rêve allait devenir réalité. Tout s’est fait très vite, et sans vraiment le réaliser, je partis pour le Japon, le 9 septembre 2016.


Visite de Tokyo comme voyage initiatique

J’arrivais donc en début d’après midi le 10 septembre à l’aéroport d’Haneda, accueilli par Laura (que je ne remercierai jamais assez). De mes 10 jours, les 4 derniers allaient être dédiés au Tokyo Game Show, je profitais donc de mon temps libre pour visiter Tokyo et me faire un maximum de souvenirs, aller à la rencontre de mes influences (donc beaucoup de boutiques de jeux rétros, de restaurants traditionnels, et une petite quête des goodies).

J’avais une certaine volonté à créer des anecdotes, aller au contact des gens et faire parler du jeu. Pour cela, j’ai offert des stickers et des badges à tous les restaurants de Takoyaki et boutiques de jeu rétro que j’ai croisé. Qui sait, un jour peut être que ces petites graines que j’ai semé leur feront un beau souvenir.

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J’ai aussi ponctuées ces journée “tourismes” de rendez-vous et rencontres professionnelles. A cette période de l’année, beaucoup d’acteurs du monde du jeu vidéo sont de passage à Tokyo, ce qui m’a permis de rencontrer pas mal de développeurs étrangers, de la presse et d’autres contacts plus ou moins en rapport avec ce milieu là. Je retiens surtout la rencontre avec le traducteur Japonais de Tako, qui a ramené des amis à lui ayant travaillé dans des entreprises légendaires du jeu vidéo, me laissant plein d’étoiles dans les yeux. J’ai aussi pu commencer à bâtir des liens plus fort avec pas mal de Français vivant et travaillant sur place, ouvrant la possibilité de tenter l’aventure du Japon moi aussi après la sortie de Tako.


PicoPico Cafe, le cocon des Indés

La semaine est passé assez vite, et arriva le temps des événements indépendants. Le premier fut la soirée Picotachi#36, au PicoPicoCafé, un des lieux phares de la scène indépendante Tokyoïte, tenu par Joseph le créateur de Pico8. Ce qui m’a vraiment fait prendre conscience de l’importance de ce lieu, c’est le documentaire “Branching Paths” d’Anne Ferrero (que vous devriez tous voir), un reportage complet sur l’essor de la scène indépendante Japonaise, réalisé sur plusieurs années et suivant différents développeurs. Je me suis donc inscrit avant mon départ et avais hâte d’y être pour découvrir les autres jeux. Je n’ai pas été déçu, les jeux présents étaient très variés (un jeu coréen tournant sur Wii U, Line Wobbler, du RPG Maker, etc…). Je suis passé en premier et ai présenté mes slides, en ignorant que j’aurais pu jouer directement au jeu. Petit regret vu que c’est ce que tous les autres ont fait derrière, et que j’avais le jeu sur moi. Si vous devez faire une présentation de vos jeux, jouez-y, c’est le meilleur moyen d’en montrer le potentiel. J’ai quand même eu des bons retours, et pas mal de personnes présentes à cette soirée sont ensuite venus l’essayer pendant le Tokyo Game Show. Une très bonne expérience, dans un esprit familial et bon enfant, que je conseille à tous les créateurs de passage au Japon.


Tokyo Game Show, l’accomplissement d’un rêve

Le moment tant attendu arriva, le Tokyo Game Show. Le salon se déroule sur quatre jours, deux journées réservées aux professionnels, et deux journées publiques, de 10h à 17h. La salle se situe à l’extérieur de Tokyo, au Makuhari Messe, à un peu plus d’une heure de transport de là où je logeais. Les deux premiers jours, j’y suis allé avec Laura et Bastien, des amis qui m’ont aidé à installer le stand. Au moment de l’arrivée, c’était un peu comme pour les résultats du Bac : chercher son nom, puis trouver son stand. Ne possédant pas encore de société, le stand était directement à mon nom.

La zone réservée aux développeurs indépendants était dans un autre hall, avec les jeux VR, très présents cette année. Etant seul sur mon stand, je n’ai malheureusement pas pu aller visiter le reste du salon. Les organisateurs proposaient aussi un système de meeting pour permettre aux pros de planifier leur rendez vous, mais je n’ai pas pu en profiter pour la même raison. J’ai quand même pu tester quelques jeux indépendants exposés autour de mon stand. La mission pendant les deux journées pros : faire tester le plus de professionnels et récupérer un maximum de cartes de visites. Chacun avait un badge, d’une couleur différente si c’était de la presse, avec le nom de la compagnie marqué dessus. L’occasion de voir passer des employés de grandes entreprises comme Sega, Pokemon Company, Bandai Namco, Square Enix… L’occasion aussi d’être filmé par la télé française (coucou Game One !) et de la presse japonaise.

Après deux journées pro, très riches en rencontres, vint la soirée internationale du TGS, autre occasion de faire du Networking, même si la fatigue commençait déjà à bien se faire sentir. Heureusement que les journées se terminaient à 17h ! Vinrent ensuite les journées publiques, beaucoup, beaucoup plus remplies que les deux précédentes ! L’occasion d’observer les joueurs japonais s’essayer au jeu, qu’ils soient hommes, femmes et enfants, tous les âges se sont arrêtés sur mon stand, et ça fait plaisir. C’est aussi le moment où Hira, streamer Japonais qui avait déjà fait une vidéo sur Tako il y a deux ans, a choisi de venir. Passage aussi de Game Explain qui ont fait une vidéo off screen du jeu.

Pour bien clôturer ce salon, Tako a été nominé dans les 10 meilleurs jeux indés du salon par Dengeki Online, et un fan m’a apporté un Poulpe en plastique. 4 jours très riches en rencontres, qui apporteront peut être de nouvelles opportunitées à Tako dans les mois qui viennent, et ont déjà changé son avenir ainsi que le mien.


Indie Stream Award 2016, rencontre avec la scène indé Japonaise

Dernier événement indépendant où je me suis inscrit, sur les conseils d’Anne Ferrero : les Indie Stream Award. Tako a été parmi les 15 jeux sélectionnés, pour mon plus grand plaisir. La soirée se situait dans une salle pas très loin du TGS, on s’y est donc rendu directement après une journée d’exposition, avec des indépendants Japonais. Pour le coup, c’est l’évènement avec le moins de Gaïjin (étrangers) que j’ai fait, et où la scène indépendante Japonaise était rassemblé en grande pompe. Les discours y étaient donc fait en Japonais. Je n’y ai reçu aucun prix, mais j’étais déjà bien content d’y participer et d’avoir suscité l’admiration de ces créateurs. Anne m’a présenté à beaucoup de monde, c’est ainsi que j’ai pu rencontrer Moppin, le créateur de Downwell. L’occasion de récupérer encore quelques cartes et de boire un verre à ce très bon séjour Japonais qui touchait presque à sa fin.


Anecdotes random sur le Japon :

  • Les Japonais ont vraiment du mal avec les manettes XBOX. (La XBox n’a jamais réussi à s’implanter au Japon)
  • Mukki m’a appris qu’en Japonais, pour dire que quelqu’un est sourd on dit qu’il a un Poulpe dans l’oreille.
  • Les joueurs Japonais disent plus souvent ce qu’ils aiment que donner des feedbacks sur ce qui est améliorable ou n’aiment pas.
  • Kirby était la mascotte de jeu vidéo la plus présente à Tokyo de tout mon voyage.
  • Au TGS, ils passent une musique à 16h50 pour signaler aux gens de partir, à 17h il n’y a plus personne. Les Japonais sont très organisés.
  • Les joueurs Japonais n’ont pas le réflexe de prendre un badge s’ils n’ont pas joué au jeu. En récompense, après, oui.
  • Les Konbinis (petites boutiques de quartier ouvertes 24h/24) c’est la vie ! (J’avais ma petite routine d’achat d’Onigiris et Makis le matin avant d’aller au TGS).
  • Beaucoup de bars, restaurants et magasins sont situé dans les étages, ce qui rend certains d’entre eux très bien cachés.
  • Je n’ai senti aucune distance lors des discussions avec les créateurs Japonais, qui sont d’ailleurs toujours surpris quand on leur dit qu’on jouait à des jeux Japonais.

Le butin du voyage


Une marche décisive vers mon avenir

Voilà qui conclut ce voyage ! J’espère que cette lecture vous l’aura un peu fait vivre avec moi. A l’heure où j’écris cet article, je suis en train de boucler le deuxième acte du jeu, sur les 3 prévus. Si tout se passe bien, il devrait sortir l’année prochaine sur Steam et je l’espère sur console Nintendo. Je me sens honoré, du haut de mes 22 ans, d’avoir pu pousser le projet que je fais la nuit et le week end dans ma chambre aussi loin, sur la terre de ses inspirations. Mon voyage à Tokyo m’a permis d’être directement au contact des joueurs Japonais, de commencer à y créer une attente concrète autour du jeu. J’espère que ce n’est que le début de son ascension, et qu’il vous plaira. Encore merci à tous pour avoir rendu cette aventure possible, et je vous dis à très vite avec des nouvelles du projet !



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6 réflexions au sujet de “Tako au Tokyo Game Show, du rêve à la réalité”

  1. Super témoignage !
    C’est une super oppurtunité que de présenter son jeu au tgs et de le confronter à un public étranger.
    Est-ce que tu as pu discuter en anglais avec certains joueurs ?
    Est-ce que tu as eu des retours de la part de joueurs japonais que tu n’a jamais eu de joueurs français ?

    En tout cas merci pour ce carnet de voyage c’était très sympa à lire.

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    • De rien 🙂 Pour le coup j’ai parlé principalement anglais, mélangé avec mon japonais bricolé, mais en général ça se passait bien. Pour le coup les joueurs Japonais remettent très peu en question ce à quoi ils jouent, ils disent ce qu’ils aiment bien, mais donne rarement des feedbacks sur les choses à améliorer. J’en ai des joueurs non Japonais par contre, au niveau de l’UI et d’un mouvement de caméra, mais globalement les joueurs étaient quand même content du jeu 🙂

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