Face Noir

Les premières fois peuvent s’avérer parfois difficile, et plus encore quant il s’agit de votre premier jeu d’aventure où l’équilibre entre une bonne narration et des énigmes savamment pensées se doit d’être parfait. Car contrairement à un jeu d’action, il n’y aura pas d’explosions, ni de violence exagérée pour détourner le regard du joueur des faiblesses d’un gameplay abscons. C’est ce que sans doute les italiens de Mad Orange ont essayé de faire avec Face Noir, un point and click jusqu’au bout des doigts, mais non dénué d’imperfections et surtout de l’essentiel : une âme. Explications.

One step forward, two steps back

Face Noir ne déroge pas à la sacro-sainte règle des point and click, et compile avec religiosité, inventaire, énigmes et dialogues. Le refrain est connu et nous n’y reviendrons donc pas. Classique sur la forme, il souffre cependant d’erreurs qui une à une finissent par handicaper ce qui à défaut de révolutionner le genre aurait pu être un titre sympathique de plus dans la famille élargie des jeux d’aventure.

L’histoire est celle de Jack Del Nero, ancien flic devenu détective privé dans le New York des années 30, un habitué des affaires de mœurs sans grande envergure qui va se voir injustement accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Ne comptant que sur lui-même, Jack part en enquête avec un seul but en tête, s’innocenter ! Sans doute dans une optique de réalisme et afin de coller au mieux au métier de détective privé, Mad Orange a intégré deux particularités dans son jeu.

Tout d’abord un mode de réflexion dans lequel il faut sélectionner deux informations parmi toutes celles que vous aurez pu récolter au cours de précédentes conversations et ainsi obtenir LA question qui fera avancer le schmilblick. En théorie, ce jeu dans le jeu aurait pu être un bon moyen de rentrer un peu plus dans la peau d’un enquêteur, un peu comme dans le pourtant très imparfait système de questions d’un L.A. Noire.
Or, le problème est qu’il suffit de cliquer sur deux informations jusqu’à ce que l’on arrive à débloquer la situation. Il n’y a aucune limitation ni contrainte qui aurait pu amener ne serait-ce qu’un minimum de challenge (contrairement à L.A. Noire justement). D’une bonne intention on obtient une idée mal exploitée qui aura plutôt tendance à nous faire perdre notre temps qu’à vraiment nous amuser.

Et ce problème se répète sur l’autre aspect singulier de Face Noir en sachant que certains puzzles offrent un niveau d’interactivité supplémentaire outre la simple association d’objet. Le souci ici est que la majeure partie de cette interactivité passe par des tâches très secondaires et redondantes qui nous sont habituellement épargnées. Si chercher un code pour ouvrir une boîte est une chose, et, s’inscrit dans la logique d’un point and click, devoir maintenir le clic gauche de sa souris tout en martelant le clic droit afin de simuler le fait de forcer une porte en est une autre. Au début, c’est plutôt marrant et frais, mais cela devient à la longue rébarbatif et donne surtout la mauvaise impression de vouloir rallonger artificiellement la durée de vie, tout en ne stimulant en rien notre intellect.

Pour finir, il faut savoir qu’il est possible de révéler chaque élément interactif d’un seul clic. D’une simple aide sporadique, option devenue semble-t-il de plus en plus incontournable ces derniers temps, elle est ici indispensable dans des proportions anormales. Je m’explique. Le point de vue de certains décors est si éloigné qu’il est trop souvent difficile de discerner ce avec quoi Jack peut interagir. Ajoutez à cela une résolution malheureusement trop basse pour un écran en haute définition, et des couleurs assez ternes finissant de rendre ces lieux inanimés flous et parfois illisibles, et vous comprendrez que l’ergonomie en a pris un coup. C’est bien de vouloir un rendu cinématographique, mais il ne faut pas oublier que l’ergonomie et la jouabilité sont tout aussi, si ce n’est plus, importantes. C’est bien dommage, car les décors en question sont dans l’ensemble réussis et joliment détaillés.

 »Dannazione »

Alors oui, Face Noir a quelques lourdeurs au niveau de son gameplay, mais jeunesse est pardonnable, et certaines énigmes fonctionnent malgré tout plutôt bien. Non ! Le véritable problème se pose ailleurs. Ceci reste un avis personnel, mais je n’arrive pas à considérer comme bon, un jeu d’aventure qui n’arriverait pas à m’intéresser par son intrigue et/ou ses personnages. Tous les plus grands titres dans cette catégorie ont toujours su rattraper leurs erreurs sur la forme en offrant le meilleur d’eux-même sur le fond.

Et c’est là que le bât blesse, car Face Noir n’arrive pas vraiment à se distinguer du reste de la production des point and click de plus en plus florissante et variée. Le scénario est conventionnel, bien que reprenant les codes du film noir avec une certaine rigueur, abordant une époque assez peu exploitée dans le paysage vidéoludique. De ce point de vue là, tout est respecté : un privé de seconde zone trop porté sur la bouteille, les monologue du héros sont en voix off, une suite d’événements qui s’enchaînent sans que Jack ne donne l’impression de contrôler quoi que ce soit, le tout dans le New York de la Grande Dépression, et voilà que le cocktail digne d’un roman de Raymond Chandler est prêt.

Malheureusement pour lui, Face Noir traîne beaucoup trop en longueur en multipliant les scènes anecdotiques et d’une banalité confondante. L’exemple le plus flagrant sont les constantes tirades de Jack en voix off. Le film noir nous a habitué à ce que ses héros parlent au spectateur afin d’étaler leurs émotions et le fond de leur pensée, mais pour Jack, il s’agit surtout d’un étalage d’évidences qui rendent la stylistique des dialogues lourde à souhait. Même si tout cela fait pâle figure en comparaison à sa propension à répéter  »Dannazione » toutes les cinq minutes, comme pour nous rappeler ses origines italiennes.

D’un intrigue classique furetant avec le fantastique sur la fin, au centre de laquelle gravite une petite fille dont on ne sait toujours rien à la conclusion et que l’on ne voit presque jamais, on passe à une accumulation de scènes clichés maladroites et dont le doublage, manquant clairement de conviction, ne relève pas le niveau. Parlons-en d’ailleurs du doublage. Si celui de Jack reste correct, quoique par moment surjoué, il ne faudra pas s’attendre à retrouver spécialement mieux du côté des personnages secondaires. La plupart du temps, l’impression d’entendre un texte plus récité que joué prédomine, avec une mention spéciale à la caricature grossière du conducteur de taxi chinois et son accent à se coucher dehors, ou encore le marin du troisième âge qui semble plus avoir la gorge enrouée que les cordes vocales couleur vermeil. Décevant en anglais, peut-être qu’en italien, sa langue d’origine, le doublage est plus convaincant. Ne comprenant pas assez bien cette langue, je m’abstiendrai de porter un jugement.

Je pourrai continuer avec la modélisation grossière des personnages masculins comme féminins, et spécialement leurs visages inexpressifs au possible, comme si les précédentes critiques n’étaient pas déjà suffisantes, mais il faut bien admettre que Face Noir arrive difficilement à impliquer émotionnellement le joueur que je suis à cause de toutes ces raisons : trop creux, ne développant pas suffisamment ses personnages beaucoup trop caricaturaux et du coup ridicules malgré eux, accentués par une 3D dépassée. Et c’est bien dommage, car il y avait de quoi offrir une ambiance de folie, surtout que la musique et les décors, je le répète, sont réussis. Il aurait été de bon aloi de travailler plus l’histoire, de couper le superflu qui alourdit l’intrigue pour pas grand chose, et de rendre plus humain les acteurs de cette pièce moribonde.

Et que dire de la fin, qui ouvre une porte vers une suite déjà programmée, celle d’une Face Noir II se passant au Moyen-Orient, à la poursuite de la fameuse gamine dont on ne sait absolument rien, nous laissant avec une conclusion des plus frustrante et circonspect quand à l’aspect film noir de cette suite à venir. Je n’aime pas enfoncer une jeune production indépendante, mais il va falloir que Mad Orange se retrousse les manches s’ils veulent faire mieux la prochaine. Les défauts sont nombreux, et je ne peux donc conseiller ce jeu particulièrement moyen, sauf peut-être aux morts de faim. Mais il y a désormais tellement de choix en la matière que l’on a le droit d’être bien plus exigeant qu’auparavant.

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