Pillars of Eternity

La dépêche : « Obsidian Entertainment s’adonne à la nécromancie » et tente de faire renaître une race éteinte. Mythe ou réalité ? On arpente les couloirs sombres et inquiétants de Pillars Of Eternity, le jeu au 77000 Backers, pour mener l’enquête.

Et la lumière fut…

« Chers lecteurs, pour lire le paragraphe suivant je vous invite à prendre la voix de Doc Brown dans Retour vers le futur, merci. »

Le 30 Novembre 1998, Baldur’s Gate, première apparition de l’Infinity Engine et première adaptation crédible et soignée d’une partie d’Advanced Dungeons & Dragons. Nous débutons une campagne sublime dans les royaumes oubliés, puis les dates s’enchaînent et le studio Black Isle nous abreuve de titres qui deviendront, à raison, légendaires : Planescape Torment, Baldur’s Gate 2, Icewind Dale et sa suite.

L’Infinity Engine de Bioware était notre religion, seule capable de nous faire vivre une partie de jeu de rôle papier en solo face à notre ordinateur, et tant pis pour les graphismes, nous on préférait le contenu. Mais un jour, il disparut et laissa son emprunte de mètre-étalon dans l’âme des rôlistes du monde entier, comparant systématiquement chaque jeux de rôle à leur vénérable ancêtre. Hurlant de désespoir et de chagrin, des fans formant presque des sectes de puristes du monde entier prennent la fermeture du Studio Black Isle comme la fin d’une époque et n’auront de cesse de clamer « Putain ça vaut pas un Baldur’s Gate! » à chaque nouveau jeu de rôle qui pointait timidement son museau hors des studios… et les ténèbres s’abattirent sur toute une communauté.

Et soudain, la lumière perça timidement la pierre de notre tristesse, et l’on entendit la rumeur d’une bête oubliée de tous, qui s’éveillait dans la foret d’internet et lapait l’eau croupie du kickstarter afin de reprendre des forces et de se relever. Les anciens druides mourant du cercle d’ Obsidian Entertainment demandèrent alors à leurs fidèles de nourrir la bête afin qu’elle reprenne vie et que dans sa gloire retrouvée elle nous rende l’ Infinity Engine et ses aventures imitées mais jamais égalées, dans un nouveau corps: l’ Unity Engine !

Sous la direction de Josh Sawyer (Alpha Protocol, la saga Icewind Dale ou encore Fallout New Vegas) le projet « Eternity » naquît le 14 Septembre 2012. La production comptait parmi les plus talentueux développeurs du monde des jeux de rôle sur ordinateur, des anciens de l’âge d’or d’ Interplay ou de Black Isle Studio.

Chris Avellone à l’écriture (Planescape Torment, Fallout 2) ainsi qu’Eric Fensmaker (Neverwinter Nights 2, Fallout New Vegas) et à la programmation Tim Cain (Fallout)… C’est avec cette affiche on ne peut plus aguicheuse que fut lancé ce qui allait devenir pour l’époque le Kickstarter le plus rentable pour un jeu video. Pillars Of Eternity est le souhait exalté que les fans de l’Infinity Engine formulait chaque soir avant d’aller se coucher, un bon vieux jeux de rôle à l’ancienne qui sent bon la narration soignée et l’histoire épique qui marque au fer rouge la mémoire.

Le scénario, il a intérêt à roxer du paté !

Vous êtes un gardien, une personne capable de voir et communiquer avec les esprits des morts et les vies passées des vivants, un don rare et précieux qui vous vaudra autant de gloire que de déconvenue. Vous arpenterez les terre du Dyrwood, victime d’une malédiction frappant les nouveaux-nés de la région : ils naissent sans âmes ! A la poursuite d’un sombre et mystérieux personnage dont le destin est cousu au votre, en quête de réponses, vous plongerez dans les forets sombres et les temples oubliés. Ainsi défileront devant vous des cités fabuleuses et des lieux secrets, je vous laisse découvrir la suite de peur d’en dire trop…

L’histoire, écrite de main de maitre, est profonde et passionnante. Une histoire destinée à un public mature tout de même, une sombre fable où se mêlent réflexion et mélancolie addictives qui vous donnent l’envie d’y retourner afin de tout en connaitre, ce qui est impossible avec un seul personnage. Les compagnons de route dont vous ferez la rencontre (ou non) ont leur caractère et leur histoire, ainsi que leur quête pour peu que vous les appréciez. Ils sont tous très différents et je ne les énumérerais pas car il vous faudra les trouver.

Le jeu vous proposera également de recruter des mercenaires entièrement personnalisables qui remplaceront vos compagnons : vous choisirez tout ce qui fera d’eux des coéquipiers efficaces mais ils resteront silencieux et n’offriront pas les interactions scénaristiques des compagnons. Les quêtes annexes, aussi nombreuses que riches en textes, viennent compléter la trame principale et votre réputation. La façon dont vous dialoguerez avec les différents PNJs détermineront leur réaction à votre égard… Si vous êtes honnête on vous fera confiance et inversement, si vous êtes un menteur ou un vil gredin.

Tic Tac? Non, Tactique…

Le système de feuille de personnage, les classes et le système de combat sont assez proches du traditionnel AD&D tout en ayant sa propre personnalité. Vous ne serez pas dépaysé. Remplacez le charisme par la détermination, la force par la puissance et les caractéristiques de base de votre personnage ressembleront comme deux gouttes d’eau à ceux des anciens titres de Black Isle. Pour ce qui est des combats vous attaquerez avec votre précision, qui sera opposée à la déviation adverse (la défense en gros). Si elle est supérieure à celle-ci, vous touchez, ensuite vient s’ajouter une réduction de dégats en fonction de leur type : perforation, entaille, écrasement etc… Puis vient le courage qui lui sert à déterminer si vous serez handicapé par une attaque ou immobilisé voir même renversé.

Les réflexes, eux, concernent les sorts et dégâts de zone, puis votre capacité à les éviter. Enfin vient la volonté qui elle, protège contre les attaques psychiques et mentales. La magie est également classique dans sa conception mais résolument moderne dans son utilisation. Il vous faudra vous placer, pour infliger des sorts, en suivant un gabarit en cône ou en disque. Et attention au placement : le « friendly-fire » est toujours réglé sur « ON ». Le système est donc abordable sans migraine mais vous permet d’optimiser efficacement un groupe.

Un système de point de compétences véritablement novateur vous permettra de désamorcer des pièges sans pour autant être voleur, il suffira d’avoir le bon nombre de points en mécanique. La fatigue, elle, ne dépend plus de votre constitution mais de la compétence athlétisme qui vous permet également d’accomplir des mouvements sportifs comme de grands sauts ou escalader une falaise dans les phases d’interactions scriptées du jeu.

Attention toutefois à un détail : le grosbillisme n’existe pas dans Pillars Of Eternity, la tactique est très présente et votre doigt sur la touche « pause » est obligatoire après chaque mouvement si vous voulez survivre à certaines rencontres. Outre la sacro-sainte pause vous aurez la possibilité de ralentir le temps durant les combats ce qui permettra aux non-initiés d’aborder le combat de manière un peu plus lisible, pour les anciens qui ont usé leurs sandales sur les cinq opus de Black Isle c’est plutôt accessible et le challenge est là. Passez en mode expert et voie des damnés vous offrira un défi à votre hauteur, vous mouillerez la chemise à plus d’un titre.

J’entends déjà hurler le joueur novice à propos du pathfinding du jeu, de la micro gestion quasi-permanente des combats et l’absence d’aide en la matière… Sachez que c’est voulu et que le jeu est destiné à des gens dont l’attention est rivée à l’écran, il ne saurait en être autrement. Pour ceux qui s’indigneraient d’un mage restant bras ballants au milieu du combat, je leur dis ceci : « Sortez-vous les doigts du cul et contrôlez-le! ».

Pillars Of Eternity n’est pas un jeu accessible sans un minimum d’investissement du joueur, à la fois dans la compréhension des règles mais aussi dans le placement et la gestion de son groupe au combat. Et ce n’est pas un défaut mais un choix d’ Obsidian, en accord avec les désirs des backers majoritairement puristes du genre. Et par ma barbe, j’approuve !

Oldschool and Highschool…

L’interface et le jeu de manière générale sont copiés sur l’Infinity Engine, aussi bien dans le placement des portrais que du paneau de contrôle central indiquant le cycle jour/nuit. Les différents panneaux d’inventaire et de feuille de personne sont du même bois. On retrouvera également les différentes formations pour votre groupe entièrement personnalisable, permettant de faire débarquer vos ouailles intelligemment dans une zone afin d’éviter par exemple que la première créature hostile que vous rencontrerez tombe nez à nez avec votre mage en lieu et place de votre guerrier, ce qui peux vite tourner à la situation désastreuse.

En parlant de situation désastreuse, Obsidian a poussé le côté taquin des formations de groupe assez loin et vous ruinera de manière ponctuelle vos habitudes de placement par des dialogues où l’ennemi vous encercle joyeusement avant le combat, vous obligeant dans le stress le plus complet à un repositionnement d’urgence. Les cartes ainsi que le journal de quêtes sont à leur place eux aussi, ainsi que votre biographie qui s’écrit au fil de vos aventures décrivant vos choix et les évènements de manière parfois drôle et globalement très agréable à lire.

Grosse nouveauté tout de même, votre inventaire est désormais complété par une « planque » dans laquelle vous balancerez tous vos loots pour les trier ou les stocker en vue d’une revente. Egalement nouveau au tableau de bord : une encyclopédie complète incluant un bestiaire qui se remplit au fil de votre aventure, qui vous expliquera le système de combats et les lieux de même que la culture, les armes, les créatures et l’âge du captitaine… Des dizaine d’heures de lecture! Un système de craft de potions, de parchemins et d’enchantements d’armes des plus permissifs, sans être abusif, vous est disponible à tout moment en jeu via l’inventaire.

Vous collecterez des ressources dans la nature ou sur les créatures afin d’ajouter des dégâts élementaux à votre arme, améliorer sa qualité ou ajouter des caractéristiques à vos armures et boucliers. C’est vital dans les niveaux de difficulté élevés. Vous devrez varier votre arsenal et le rendre efficace face aux résistances adverses.

Le gros plus qui m’a marqué ce sont les interactions scriptées qui lorsque vous cliquez par exemple sur une falaise, vous proposent de belles illustrations à choix multiples, façon « livre dont vous êtes le héros ». Pour reprendre cet exemple, vos compétences et vos aptitudes détermineront si votre ascension sera couronnée de succès ou si vous tomberez de la falaise et mourrez misérablement.

La forteresse fait son retour triomphant. Ce qui avait fait en partie le succès de Baldur’s Gate 2, c’est que vous aviez accès à votre propre forteresse. Là aussi, le « housing » débarque avec Caed Nua : une forteresse riche en contenu que vous devrez restaurer du sol au plafond, avec marchands, gardes, quêtes et primes à accomplir. Vous pourrez laisser les compagnons et mercenaires que vous n’utiliserez pas à Caed Nua et ils pourront y effectuer des quêtes non jouables leur permettant de vous ramener de l’or et des objets magiques pendant que vous voyagez. Vous serez le seigneur de ces terres et devrez les entretenir… ou pas, c’est vous qui decidez!

Et les graphismes aussi c’est à l’ancienne ?

Non! L’Unity Engine est bel et bien déguisé en Infinity Engine jusqu’au curseur de la souris mais il ne s’agit que d’un leurre, à vous les résolutions natives haute definition et qui-plus-est de la belle 3D qu’on a plaisir à zoomer. Car les petits gars de chez Obsidian ont gardé le même soucis du petit détail qui tue dans les décors. Armures et armes du jeu sont légion et ont leur propre skin soigné et détaillé, quant aux effets climatiques et magiques c’est du tout bon. Pas assez flashy pour être gênant et suffisamment beaux pour avoir envie de zoomer comme un dingue.

Les décors et les cartes sont, comme d’habitude dans ce genre de jeu, très détaillés et fournis. La direction artistique est splendide et vous rappellera d’anciens titres sans pour autant être de vulgaires copies, l’ambiance est à l’ancienne mais la réalisation est très moderne.

Le compositeur Justin Bell s’est grandement inspiré du travail de Micheal Hoenig, qui avait composé les musiques de la saga Baldur’s Gate, en conservant les mêmes couleurs ainsi que le même ton théatral et épique, tout en réussissant à insuffler une certaine nostalgie dans ses musiques qui rappellent les anciens titres de Black Isle. Mais elles restent originales et semblent plus matures dans leur conception. Un régal à écouter hors-jeu, qui reste le vaisseau majestueux et poétique de bon nombre d’émotions lors de l’aventure.

Pillars Of Eternity est donc bien le messie que j’attendais, jouissant d’une réalisation sublime à tous points de vue. Obsidian relance donc les dés et voit déjà poindre de très belles initiatives comme Torment : Tides Of Numenera du studio Inxile, qui prend le même chemin que Pillars of Eternity avec l’aide de Chris Avellone. Le CRPG fait une place aux anciens et ça fait plaisir.

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