« La courte histoire d’une grande ambition » par David Kuhmel

Il est temps pour moi de parler de ma vie, au vu de ce qui vient de se passer avec notre studio G-OLD Production, sa genèse, sa fermeture il y a une semaine… les conséquences. Et d’autres choses aussi. Je vais parler de tout ça de mon point de vue de co-fondateur du studio, sans mâcher mes mots.

Il y a déjà quelques années, j’aurais dû me pencher sur le post-mortem d’Exodus, mon premier jeu en total indépendant, les prises de tête sans fin, le temps passé dessus bénévolement… et mes mauvaises décisions / réactions vis à vis de la communication du jeu. Cela est une autre histoire, mais pas mal de choses sont liées.


Introduction

(c’est la partie chiante centrée sur ma personne, promis je fais court)

Pour tous ceux qui ne me connaissent pas, je me présente, David Kuhmel, 34 ans, pensant depuis des décennies avoir une viabilité dans le milieu du développement de jeu vidéo. Rêveur, tête en l’air, bosseur, égoïste et ambitieux, voilà le tableau.

VERGE, Free 2d Game Engine - VERGE, Free 2d Game Engine - Google ChromeAvant d’entrer dans le vif du sujet, voici d’où je viens. Autodidacte dans mes jeunes heures, je me suis intéressé à la programmation d’abord grâce à Vecna Extraordinary Roleplaying Game Engine, sous MS-DOS (ou VERGE, cela ne s’invente pas), une sorte de moteur 2D pour RPG à la Final Fantasy de la belle époque. En 1997, après des mois à essayer de comprendre et apprendre la logique de programmation (simplifiée je dois bien l’avouer), j’ai sorti une première démo d’un jeu, dont l’histoire était tirée de La Ballade de Pern, d’Anne McCaffrey (paix à son âme), centrée sur le personnage de Menolly (http://verge-rpg.com/downloads/menolly-the-game-fr), pour lequel j’avais ripé les graphs 2D en émulant le jeu Seiken Densetsu 3 de Square et en prenant des screenshots, puis détourage sous Paintbrush de Windows 3.11 ! Puis 1 an après, je réalisais mes propres arts 2D en pixel art et sortais une seconde démo de mon ‘nouveau’ projet, LIFE (http://verge-rpg.com/downloads/life-1).

Puis vint le moment de poser les mains sur Final Fantasy 7 et ses superbes cinématiques (d’époque) ! Là, une révélation, je voulais savoir comment ils faisaient çà ! De part mes investigations, je suis tombé sur une version de 3Dstudio R3 (version DOS), avec lequel j’ai découvert les joies de la modélisation 3D et surtout l’animation (de caméra, à l’époque ça me suffisait !). Puis je me suis spécialisé dans la 3D, suivi une formation spécialisée qui venait d’ouvrir à ce moment là (en 2004), Créajeux sur Nîmes, et 3 ans après, je décrochais mon premier job dans le milieu sur Lyon en tant qu’animateur 3D chez Artefacts Studio.


Premiers émois

En entrant chez Artefacts Studio, j’ai eu sur le moment un sentiment d’accomplissement. Ça y est, je bosse enfin dans le milieu, après tant d’années à essayer d’y entrer !


Là-bas, j’ai du me spécialiser sous Maya que je ne connaissais pas (et que je ne lâcherai plus !). J’ai eu la chance d’avoir un Lead animation extra (cc Toto !), qui m’a mis en confiance et aidé à progresser. Plus tard, il m’apprendra à rigger un personnage, avec des notions simples et avancées. Durant ces presque 2 ans passés à Artefacts, j’ai pu participer à 6 jeux assez différents les uns des autres. Beaucoup de travail, quelques échecs, mais surtout une émulation à bosser parmi tant de gens talentueux. Je commençais à prendre confiance en moi professionnellement.


alicePlus tard j’ai eu la chance de bosser sur l’adaptation Nintendo DS d’Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton pour Disney, chez feu Étranges Libellules. Une consécration à mon niveau, une superbe production que je ne regrette pas, des heures de travail, du stress, les producers de Disney sur le dos et la satisfaction une fois le jeu livré (très bien accueilli par la presse et les joueurs) ! Et comme une épée de Damoclès, un licenciement économique me dirigea vers la porte de sortie (un des derniers arrivés en CDI…). C’était rapide, sans négociation, rien, le néant.

Dans ma malchance, j’avais gardé de bons contacts avec le directeur de l’école Créajeux. Quand je lui annonçai par téléphone ce qu’il m’était arrivé, il me proposa de revenir sur Nîmes pour travailler dans l’école, en tant que formateur en animation 3D orientée gameplay. Ni une ni deux, j’acceptais la proposition. D’une ça m’assurait de continuer à travailler dans un domaine que j’aime plus que tout, et deux, je pouvais retrouver ma chérie qui était restée sur Nîmes depuis 2 ans pour son travail.


Le retour du Rêveur…

1 mois après mon licenciement, me revoilà à l’école ! Mais en tant que formateur, avec toute ma motivation et l’envie de partager les choses que j’avais apprises en production. Ça faisait drôle… j’avais une classe de 3ème année que je connaissais, car lors de ma dernière année en tant qu’étudiant, ils venaient d’entrer dans l’école ! J’ai eu un temps d’adaptation, donner des cours sur des choses très techniques était nouveau pour moi. Après une mise en place d’une structure et d’un programme que j’estimais juste par rapport à la réalité du marché du jeu vidéo, mon idée était claire, je voulais leur parler du milieu sans mâcher mes mots, leur dire les difficultés, le rendement que l’on attend d’un employé, les heures supp, etc. Au final avec le recul, ça a plutôt bien fonctionné. Je ne suis pas le meilleur animateur au monde, mais je suis honnête et travailleur, je pense que les étudiants l’ont assez vite ressenti et le courant est globalement bien passé.

Ce que je ne savais pas à ce moment là, c’est que ce nouveau job, qui n’était qu’une transition pour moi, allait durer les 5 années à venir !

5 ans c’est long, surtout quand on aspire à autre chose. Mais cette expérience m’a apporté énormément, dans la présence, la confiance en soit, tenir une classe de 20 élèves, échanger et apprendre auprès d’eux. Je ne pensais pas un jour être à l’aise avec les étudiants. Au départ je me disais même que je n’avais pas assez d’expérience professionnelle (2 ans à ce moment là) pour être sincère et crédible. Mais une fois en confiance et les appréhensions dépassées, je me suis tout de même éclaté à former de futurs graphistes !


extUn jour, une Exode

Le directeur de Créajeux avait déjà soumis l’idée de créer un petit studio de jeu, à côté de l’école. Quand j’ai entendu ça, j’ai fait des pieds et des mains pour lui proposer mes services le jour où il créera la boite ! Je voulais absolument retourner en production, même pour une boite qui venait d’ouvrir.

Lorsqu’il créa Galhmac Game Studio, il ne prit d’abord que 2 programmeurs pour commencer l’activité. J’étais un peu déçu de ne pas avoir été choisi, mais en même temps j’étais déjà en poste à Créajeux et bien sûr on avait plus besoin de moi en formation d’animation qu’ailleurs. Quelques mois plus tard, en discutant pas mal avec Colin et Benjamin (les 2 progs), on a eu l’ambition ensemble de faire un jeu un peu plus conséquent que prévu. J’ai négocié avec le directeur pour lui soumettre l’idée, qu’il accepta et me suis arrangé pour pouvoir bosser dessus sur mon temps libre, sans interférer avec mon rôle de formateur, ce qu’il accepta de même.

C’est comme cela que le projet Exodus est né. Résumer le développement d’Exodus serait très long, de part beaucoup de choses, des incompréhension, des tensions inutiles et j’en passe.

Mais on a toujours gardé le cap. Officiellement, on était 3 à bosser dessus, 4 sur la fin. Puis on a pu bénéficier de renfort lors des vacances scolaires d’été, grâce à certains élèves qui bénéficièrent d’un stage au sein de Galhmac, ce qui, au niveau des graphs 2D à réaliser, nous donna un énorme coup de main : c’est ce qui fait que le jeu a un rendu inégal selon les régions explorées. On n’avait pas de DA pour unifier et orienter le rendu graphique. J’ai choisi de mauvaises solutions pour ça et cela s’en ressent dans le jeu (intégration Sprites 3D sur 2D plate et d’autres). Au final, une bonne quinzaine de personnes a donné un coup de main à la réalisation du jeu.

On a eu la chance aussi d’avoir Morusque (Yann Van Der Cruyssen), compositeur sur Saira, Block That Matter… qui nous a composé une BO envoûtante qui apporte un énorme plus au jeu.

Si je parle de tout ça, c’est qu’Exodus nous a permis de rencontrer, lors du Salon Paris Games Week, Skywilly ! On a beaucoup discuté tous ensemble, on était motivés par ce que l’on montrait et surtout, d’avoir l’attention de quelqu’un qui allait en parler sur son site ! C’était nouveau et le contact est plutôt bien passé entre nous (la preuve, je rédige ce texte sur la partie DevSide de GSS !)


Mes premières erreurs.

Oui, vers la fin du dev d’Exodus, je me suis emporté sur un thread du site Factornews, en répondant très sèchement aux commentaires d’un article qui annonçait la disponibilité de la version Alpha gratuite du jeu (voyez vous-même : http://www.factornews.com/actualites/exodus-lache-son-alpha-dans-la-nature-34043.html). J’étais énervé que les gens commentent uniquement les quelques screenshots de l’article, mais n’essaient pas la démo du jeu ! Je ne comprenais pas, dans un milieu où les démos jouables sont inexistantes ou payantes, pourquoi personne ou presque ne l’avait essayé.

Ma seconde erreur est plus personnelle. Pendant environ un an, je me suis mis sur la com du jeu, seul. Je passais toutes mes soirées après le boulot à essayer de faire connaitre le jeu un maximum, en contactant les sites indés spécialisés, us comme fr, les forums, etc. Je ne voyais pas que je foutais mon couple en l’air. Ça a été une période rude. Mais on y est sorti plus fort. Le pire a du être quand j’ai mis Exodus sur Greenlight !



Au final, le jeu est sorti, dans la douleur, mais aussi dans la satisfaction d’avoir été jusqu’au bout de cette épreuve, qui nous aura tout de même pris 2 ans et demi. Aucun intéressement sur les ventes pour mes compères et moi, mais on était allé jusqu’au bout…


Alpha et Oméga

Comme on le dit, toute chose a une fin.

A la fin de la production d’Exodus, le stress retombé, j’ai repris le cours de ma routine à l’école. Mais l’envie de créer était toujours là, bien vivace. Le temps passe, je prends de l’âge, mes ambitions se font de plus en plus présentes. Il est peut être temps de se pencher sur l’univers que je co-créais avec Benoit depuis de nombreuses années.

Durant l’été 2013, j’ai contacté mon compère pour lui soumettre l’idée de reprendre un de nos concepts tiré de notre univers et d’en faire un prototype jouable, en s’entourant de talentueuses personnes ayant les même envies que nous. L’idée de monter une boite l’année suivante fit vite le tour de nos esprits. Mais avant cela, il fallait être sur de la faisabilité du projet, d’où le prototype, et aussi la mise en place pour la création de la boite, si cela arrivait un jour (prévisionnels, dossiers de créations, financement, subventions, etc).

Mais avant d’aller plus loin…


LOGOOLD6Our Lost Dreams

Je vais vous parler un petit peu de cet étrange univers que l’on a créé depuis maintenant plus de 10 ans avec Benoit. C’est aussi lié au nom de la future boite. Cela aurait du être son ADN, si notre première production ne nous avait pas été fatale.

Our Lost Dreams, Nos Rêves Perdus, est un background s’étalant sur plus de 16.000 ans d’histoire et d’évolution. Dis comme ça, c’est fascinant, non ?!

Ce background comporte des zones clés dans sa chronologie. On pourrait parler d' »époques« . Et ces époques comportent des projets de jeux (pour la plupart déjà écrits en termes de gameplay ou de scénario), que nous appelons ‘Cycles Scénaristiques‘, à savoir, des scénarios importants qui font évoluer l’univers, rarement en bien, souvent en mal. Le prototype sur lequel on bossait, Sylfria Chronicles, est l’un de ces Cycles Scénaristiques majeurs. Sylfria était aussi le meilleur point d’entrée dans ce background tentaculaire, de part le relatif confort qu’il offrait aux joueurs néophytes de OLD (diminutif d’Our Lost Dreams).


Pour aider les futures personnes intéressées de bosser avec nous, j’avais mis en place la structure d’une encyclopédie en ligne parlant de l’univers. C’était loin d’être complet, mais ça donnait une bonne entrée en la matière, bien comprendre l’évolution de l’univers, le pourquoi de tout ça, le côté très sombre et perdu de chaque personnage important, etc. Virtuellement parlant, l’univers que nous avions conçu pouvait permettre à n’importe qui de s’en imprégner et de proposer de nouvelles idées de projets ou d’histoires ! (… oui les fautes d’orthographe que l’on voit sur les screens sont corrigées :p )



Sylfria_logoAvec près de 15 collaborateurs bénévoles pendant 9 mois, nous avons travaillé sur le prototype d’un RPG coopératif, Sylfria Chronicles. Malheureusement, et je ne m’étalerai pas là-dessus, ça n’a pas fonctionné comme on l’aurait voulu, et pas mal de monde a lâché le projet en cours de route, pour de bonnes et de mauvaises raisons. C’est la vie. Mais ce n’est pas pour autant qu’on allait baisser les bras et le reste de l’équipe a continué à produire pour le prototype (pas mal d’artworks, de recherches, d’écritures, et de réalisations 3D). Comme beaucoup de projets faits en bénévole, pas mal de retard, pas de nouvelles de certaines personnes, des tensions (encore et toujours !), bref la vie !

Entre temps, vers Juin 2014, Benoit avait repris contact sur Lyon avec notre ancien DAF (Directeur Administratif Financier) que l’on connaissait de notre période chez Artefacts Studio. Il était disponible et avait une idée, pas bête, en tête pour éventuellement lancer la boite et toucher quelques subventions, nous permettant de pouvoir tenir en auto-financement plus longtemps que prévu. Ce qui me déplaisait à ce moment là, quand Benoit me fit part de cette rencontre, était qu’on allait passer de notre prototype sur lequel on bossait depuis tant de mois, pour partir sur un autre projet, beaucoup moins ambitieux et surement plus facilement réalisable pour nous.

Je ne sais pas si cette décision allait sceller notre sort, un an plus tard, mais au final l’équipe y a cru et on a foncé en ce sens.

Quelques semaines après cette décision, on avait un éditeur de map créé par notre lead prog et pas mal de modélisations pour les terrains et décors. La production était lancée et surtout, G-OLD Production, suite à la rencontre avec une banque plutôt favorable, allait naître en Septembre 2014 ! Tous les gens y participant ont déménagé sur Lyon, une ville que Benoit et moi adorons tout particulièrement et qui est un pôle en France pour le jeu vidéo. Quant à moi, je décidai de rester sur Nîmes encore quelques temps, car je ne pouvais partir comme cela et aussi parce que nous étions devenu ma femme et moi, des parents comblés d’une petite fille !


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Début Septembre 2014, le studio fut lancé officiellement ! Nous avions trouvé un local d’un ancien médecin, plutôt propre et moderne, pour y installer le matos sur Lyon Croix-Rousse, un coin vraiment sympa sur les hauteurs de la ville ! Grâce au prêt de la banque, nous nous sommes équipés en matériel neuf et de qualité. Le jour où le transporteur s’est pointé au studio, c’était Noël ! Mais bien sûr, tout cela desservait notre envie de plancher sur notre premier jeu en tant que réel studio, Spirit Of War.

L’idée de notre DAF était de reprendre le concept d’un vieux jeu des années 80, History Line, en gardant les mécaniques simples et en orientant la réalisation pour support mobile et PC. Le tout réalisé en 3D type jeu de plateau, de part la représentation des unités et la surface de jeu. Une première production assez ‘simple’, qui nous a permis d’obtenir une aide du CNC. Ce n’était pas sûr qu’on l’obtienne, mais au final, on a eu un peu d’aide de leur part, ce qui nous a permis de continuer encore et toujours en auto-financement. Oui, on payait plutôt correctement nos collaborateurs, sans y toucher nous-même, Benoit vivant du petit chômage de son ancien travail et moi étant payé par l’école pour mon job de formateur (du moins le temps que j’arrive aussi sur Lyon).


IMG_1257Notre idée était claire, on voulait pouvoir ‘surfer’ sur le centenaire de la Première Guerre Mondiale et mettre le jeu en vente courant Décembre 2014. Le salon Paris Game Weeks approchait à grands pas et on a décidé avec Benoit qu’il fallait y aller, prévoir un petit budget pour ça et montrer le jeu, car pour le moment nous n’avions pas beaucoup communiqué autour.

Pour ça, Benoit avait prévu de louer des déguisements de soldats de la première guerre mondiale. Une fois sur place, lui et notre DAF se sont déguisés en de parfait petits soldats près à en découdre avec l’ennemi :p

Bon, sur cette photo, vous aurez remarqué qu’ils sont au milieu d’une escouade moderne !

Le bilan de ces quelques jours de salons, beaucoup de gens qui ne connaissaient pas le jeu l’ont apprécié, pas mal de retours positifs, en gros une bonne expérience utile !


Avec tout ça, on se rendait bien compte que si on sortait le jeu en décembre il allait passer aux oubliettes rapidement. Il nous fallait faire de la com, mais ni moi (suite à Exodus) ni Benoit n’avions le temps pour… une erreur surement. Aussi, début décembre, on a décidé de contacter quelques éditeurs (rencontrés sur le salon), pour un contrat d’édition et qui devaient avoir les réseaux pour. Après quelques semaines sans réponse, on fut contacté par Bulkypix, qui semblait vraiment intéressé par le jeu, un genre qu’ils n’avaient pas encore dans leur catalogue. Le contrat fut signé le 31 décembre ! Champagne !!



De mon côté j’ai quitté mon travail de formateur à ce moment-là pour rejoindre l’équipe sur Lyon à la mi-janvier. Ce fut un moment très dur pour moi. Je laissais derrière moi ma femme et ma petite fille de 11 mois. Mais j’avais l’envie de rejoindre les troupes pour la fin de production du jeu ! Ma famille allait me rejoindre par la suite, début mars. Ma femme avait quitté son travail pour me suivre.


Le fameux contrat.

Alors celui-ci faisait apparaître nos demandes quant à la sortie du jeu. Nous allions difficilement survivre avec nos fonds si le jeu ne sortait pas en février. Il fut convenu d’une sortie pour le 10 février, mais sur Steam uniquement (PC et Mac), les sorties mobiles se feraient un mois plus tard.

Soit, cela permettrait d’après Bulkypix de faire vivre les versions Steam sans en faire une concurrence sur mobile (et à un tarif moindre), du moins pour sa sortie. Sur le principe on était d’accord avec ça, cela paraissait honnête et on était contents de se sentir appuyés par Bulkypix.

Puis, le silence radio. On a laissé passer 2 semaines suite à la signature du contrat. Benoit a décidé de les contacter pour savoir si tout allait bien de leur côté pour la sortie à venir du jeu. Quelques jours plus tard, il a reçu une réponse comme quoi tout était bon et qu’ils nous recontacteraient début février.

Pendant ce temps là notre Lead Prog peaufinait le jeu, les Graphs préparaient des assets marketing, une vidéo trailer de lancement était en cours. Quant à moi, je planchais déjà plus ou moins sur notre prochaine production avec Benoit, tout en donnant un coup de main selon les besoins de l’équipe.

Les jours passent, on élimine les bugs restants sur les versions Steam de Spirit Of War, on teste chaque jour les maps, on ré-équilibre le tout, bref, on polish le jeu. Mais le jour de la sortie approchait à grands pas…


Le miroir aux mille reflets

Une semaine avant la sortie, on commençait sérieusement à se demander si Bulkypix ne nous avait pas oubliés. Après quelques mails et coups de téléphone, Benoit réussit enfin à avoir la personne avec qui nous étions soit-disant en relation. Et là, surprise !

Chez eux ils ne comprenaient pas notre stress par rapport à la sortie du jeu, qui de toute façon avait été décalée chez eux, pour mi-mars ! Super nouvelle !!

Sincèrement, à ce moment-là, quand on a fait la réunion pour annoncer la nouvelle à l’équipe, je n’en menais pas large. Mais ils ont été compréhensifs, ce n’était pas de notre ressort. Mais les problèmes en interne sont plus insidieux que cela. Avec ce nouveau report surprise, venaient les soucis financiers, les salaires et les dettes accumulées pour la traduction de texte, l’écriture historique inter-chapitre, la musique et les sons… On a fait ce que l’on a pu, mais certains salaires ne pourraient être honorés. Et quand cela arrive aussi brutalement, ça crée des séquelles, du jugement, de l’incompréhension. Au moins, on a été francs et transparents depuis le début de l’aventure qu’il y aurait des risques et des moments difficiles niveau argent, mais ça ne fait pas tout.

Bulkypix nous envoie par la suite un mail contenant tous les assets marketing qu’ils avaient besoin pour la page Steam du jeu. De petites choses qui ont été vite réalisées par nos graphs.



Malgré le report de la sortie de Spirit Of War, l’équipe était toujours motivée et planchait sur la pré-production de notre second jeu.


Prelude to Chaos

Jamais un jeu n’aura aussi bien porté son nom ! PTC est un jeu d’aventure moderne à la TellTale, les QTE en moins, se déroulant dans l’univers OLD et centré sur une narration poussée. Ce jeu devait être le premier à faire connaitre un pan d’histoire que nous avions développé il y a plusieurs années déjà. Je vous en parle rapidement car même si nous ne sommes pas allés plus loin dans le dev du jeu, je veux quand même faire honneur à nos artistes qui devaient trouver un rendu et un design très particulier pour ce projet, avec des tons tranchés dans les couleurs et des contrastes marqués.

Le jeu suivait les aventures de Melena, jeune élève au sein d’un vaisseau-école militaire de la Coalition des Peuples Libres. Nous allions assister à son évolution psychologique suite à tous les événements marquants qui allaient se produire. Le jeu devait proposer aussi un système d’affinité avec les gens que l’on croise dans ce vaisseau-école, influençant directement leur rendu visuel en jeu. 6 épisodes, 3 arcs narratifs, on s’engageait dans quelque chose d’assez gros, avec doublage, dialogues, différents personnages, pas mal de cutscènes temps réel et nouveau moteur (Unreal Engine 4) ce qui a fait douter plusieurs fois l’équipe.

Pour ce projet, j’avais recontacté Johan Robson, un nom qui ne vous dit surement rien, mais ce très grand monsieur était scénariste sur des jeux de la belle époque comme KGB : Conspiracy, MegaRace ou encore Atlantis ! Je connaissais Johan depuis de nombreuses années et avais toujours eu envie de travailler avec lui ! Il est passé quelques jours sur Lyon plancher avec nous sur le scénario, un grand moment ! Quel dommage de ne pouvoir en faire profiter les amateurs du genre, sincèrement !

Pour fermer cette parenthèse sur ce projet mort-né, voici quelques-unes des recherches faites pour PTC, en vrac…


Le début de la fin

Il fallait que cela arrive. Début mars, notre Lead Prog demande à s’entretenir avec Benoit en privé. Après une bonne heure de discussion, Benoit m’informe que notre Lead va quitter le studio et ce, dès le lendemain !

Première claque… oui l’ambiance s’était pas mal dégradée, mais on pensait avoir fait le point avec tout le monde pour continuer et voir comment le jeu se vendrait.

La semaine suivante, c’est un graphiste qui quitta la boite, puis les 2 autres arrivés mi-mars. Bam. On avait perdu prise sur le moral de nos employés et ils ne voyaient aucune chance de s’en sortir. Ils quittaient le navire pendant que celui-ci coulait. Là, forcément, Prelude To Chaos allait devoir être mis au placard. Mais pas que. On avait des besoins sur la version Android de Spirit Of War, mais sans programmeur, c’était foutu. D’ailleurs cette version ne sortira jamais.

Mi-mars donc. Spirit Of War est enfin de sortie ! A ce moment on est plein d’espoir. Mais ce qui m’énervait c’était que Bulkypix n’avait pas fait de com autour du jeu. Juste un simple communiqué de presse envoyé à qui veut bien par-ci par-là, sans répercutions. Whoua, si c’est ça la force de frappe d’un éditeur…

On a du avoir en tout et pour tout 3 tests. Oui. J’avais fait mieux avec Exodus. Les critiques sur Steam sont majoritairement positives, le jeu a l’air de se vendre correctement, toute proportion gardée. C’est aussi à ce moment là que je me mets au chômage, pour ne plus prendre de salaire sur la boite. On était en mode survie, avec les comptes dans le rouge vif. Il nous restait juste de quoi payer le loyer du studio.

Et puis le temps passe…

On arrive mi-avril. Je demande à Benoit s’il a eu des nouvelles de Bulkypix pour la sortie iOS de Spirit Of War. Après un coup de téléphone réussi du premier coup, ça continue : le jeu est repoussé pour mai 2015… en vrai il sortira le 11 juin 2015.

Fin Avril, on a décidé de rendre le local, on ne pouvait plus gérer les frais. On a déménagé le matériel et les bureaux dans un garde meuble et on s’est installés chez Benoit, dans son petit appartement. On était décidé à survivre le temps de toucher nos premiers sous des ventes du jeu et de voir en fonction. Pour ne pas tourner en rond, on a décidé de reprendre le prototype de Sylfria sous l’Unreal Engine 4. Au bout de 2 mois, nous avions réussi à obtenir un prototype jouable, simple, qui donnait le ton de ce que l’on souhaitait. Et croyez-moi, à 2, y avait du boulot pour ce petit résultat, même s’il y manque des choses !



Mais tout cela ne rimait à rien.

Quand on a fini le prototype, on était début juillet… et toujours rien touché des ventes Steam et iOS de Spirit Of War. Pour Steam, il y avait une histoire d’intermédiaire, Plug-in Digital, qui nous a donné l’accès à la plateforme de Valve. Mais du coup, Plug-in Digital faisait une facture des ventes à Bulkypix avec 3 mois de décalage (comprenez que pour la sortie initiale du jeu en mars, Bulkypix n’a apparemment reçu la facture que fin juin). Puis notre tour 1 mois après encore… donc en toute logique, 4 mois se passent entre les ventes faites et les sous que l’on touche. Dans la réalité, nous n’avons absolument RIEN reçu de notre labeur. RIEN. Et bien entendu, impossible de joindre Bulkypix, par mail comme par téléphone, de mi-juin à fin août. Si, j’ai eu des nouvelles du patron le jour où la boite passait devant le tribunal pour liquidation.

Il rentrait de vacances et avait l’air surpris de la situation… Et c’est aussi à ce moment là que l’on a appris qu’apparemment Bulkypix aurait essayé de nous faire un premier virement début juillet, mais celui-ci ne serait pas passé… Bien sûr, personne chez eux à ce moment-là n’a pensé à nous prévenir, personne n’a voulu répondre à nos mails, expliquant la situation critique dans laquelle on se trouvait. Plutôt continuer à nous laisser mourir à petit feu. Bien sûr ils auront une toute autre version, mais c’est vraiment l’impression que j’en ai. Chez eux c’est le bordel, une organisation interne qui fait peur, des interlocuteurs différents qui ne sont au courant de rien. Je n’aimerais vraiment pas bosser en interne chez eux.

J’oubliais aussi le coup du Bundle ! Un contact Twitter me prévient que notre jeu est offert sur un bundle Plug-in Digital. Bien entendu nous n’étions pas au courant et les devs du jeu principal mis en avant non plus ! Ah la la, ces petits jeunes on en fait ce que l’on veut !


dkuhmel-portfolio - Google ChromeLa fin d’un début

Mi-juillet. On ne savait plus trop comment s’en sortir avec Benoit. En fait, on avait de l’argent dehors, ce qui nous embêtait bien. On aurait vraiment aimé régler les derniers salaires de nos collaborateurs.

Benoit avait déjà reçu de leur part, 2 mois après leur départ en chaîne, une mise en demeure. Et là, nouveau courrier, c’était pour nous mettre aux Prud’hommes. Certains d’entre eux devaient penser que l’on avait bien touché les sous, mais qu’on était des tyrans voulant tout garder pour eux… Alors que l’on n’a pas arrêté de se battre pour récupérer cet argent. Croyez-moi, c’est usant comme situation. Vous devenez du jour au lendemain la mauvaise personne. On était entre deux feux, ceux de nos anciens employés (leur réaction au final était tout à fait normale et dans leurs droits) et Bulkypix et son silence radio.

C’est à ce moment là que j’annonçais à Benoit que je n’allais plus venir. Ma femme avait trouvé du travail de nuit et je devais m’occuper de notre petite fille. Un changement de carrière impressionnant ! Depuis ce jour, j’ai pris un peu de temps pour refaire mon portfolio professionnel (http://www.davidkuhmel.com/) et une coupure par rapport à tout ça.

Mais je suis amer. Aigri. De ce qui s’est passé. Des réactions des gens. De l’indifférence de Bulkypix. Je m’en veux, pensant avoir mal fait les choses. Cette histoire ne devait pas se terminer comme ça. Une connaissance m’a une fois dit : « Dav, tu n’y arriveras jamais en voulant faire du jeu vidéo directement. » Peut-être. Mais je suis comme cela. Je ne baisserai jamais les bras, mon ambition et ma passion de ce média me feront toujours aller de l’avant.

Mais… actuellement je suis vidé. Ma femme me fait souvent la remarque, je suis comme un fantôme. G-OLD Production, comme tant d’autres, sera née, aura évolué et sera morte sans grand écho dans cette industrie impitoyable, dans l’indifférence. Je suis partagé, un mélange de sentiments, entre haine, dégoût, déception, honte… Mais aussi tout l’inverse, avec de nouveaux projets en tête, et je l’espère de futures opportunités professionnelles.


Je ne sais pas si le monde de l’indépendant est fait pour moi. Après 2 tentatives (Exodus et Spirit Of War), je ne pense pas que cette ‘niche’ veuille de moi.

Pour le moment, je donne un coup de main bénévole à un projet sous la houlette du Directeur Narratif d’Ubisoft Montpellier. J’ai toujours l’univers OLD que je continuerai d’alimenter, mais je pense qu’on va faire une croix sur les idées de grandeurs dans le jeu vidéo ! Peut-être cet univers peut-il vivre sous une autre forme ? Participative ? A réfléchir…

Et il y a Echoes Remains, un projet personnel, intime, que je bricole de mon côté depuis quelque temps, mais pour ça, on en reparlera dans 10 ans !


Quand je relis mon ‘texte’, je suis confus. Je ne saurai même pas définir ce qu’il est : Un pavé ? Un Post-mortem ? Un brouillon ? Un pense-bête ? Une complainte ? Un Exutoire ? Un truc indigeste ? Une auto-biographie ? J’espère que cela n’aura pas été trop éprouvant à lire. Merci pour votre temps !


10 réflexions au sujet de “« La courte histoire d’une grande ambition » par David Kuhmel”

  1. Même si peut être ça n’a rien à voir, cette histoire d’éditeur qui ne paye pas à temps et/ou qui invente des excuses me fait penser à l’article d’Alkemi sur leur jeu Transcripted.
    A croire que se servir de petits studios qui n’ont pas les moyens de se défendre est un « jeu » courant. C’est vraiment navrant, surtout que comme dis dans l’article, cela engendre forcement des problèmes…. en plus de ceux présents.
    Merci pour ce témoignage, qui je l’espère, permettra d’éclairer certains(nes) sur cette industrie que l’on croit florissante mais semée d’embûches et de coup bas.
    J’espère que l’avenir apportera sont lot de bonnes choses dans tout ce que tu entreprendras. 😉

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  2. Merci beaucoup pour ce témoignage sincère. J’espère sincèrement que tu réussiras non seulement à refaire du jeu vidéo mais qu’en plus cette fois ce sera un succès !

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  3. Firk, se faire plomber par un éditeur indélicat forcément avec Transcripted ouép je connais, mais la galère aux prud’hommes avec les anciens employés, dieu merci je n’ai jamais connu. David, je compatis avec tes galères…

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  4. Les plus clairvoyants, même en étant pas encore rentré dans le milieu savent que c’est un parcours du combattant et une lutte acharnée .

    Tu nous l’as jamais caché, à nous tes élèves ! Et je tiens à te dire, que tu as été un super prof que ce soit pour les explications, le temps que tu nous as consacré, et puis sans le savoir peut être, tu nous transmettais ta passion, du moins en tout cas, on le ressentait que tu es quelqu’un de passionné .

    Alors tu as vécu des heures sombres, et des gros moments de doutes j’imagine bien cependant, même si je n’ai pas encore de parcours professionnel, je te souhaite de garder toujours ta passion et ton envie de créer, quel que soit les obstacles, crois en tes rêves et tes ambitions !

    Courage David et ne baisses pas les bras ! 🙂

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  5. Merci pour ce postmortem (j’ai fait mon choix), aussi passionnant qu’attristant. Il y a beaucoup de leçons à en tirer – par nous tous.
    Donc merci de partager cette expérience, en attendant de jouer à Echoes Remains… 🙂

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  6. Oep, merci, et bon courage pour la suite. On est aussi apprentis « créateur de jeux » avec mon frère et ces post-mortem nous sont très utiles. Peut-être qu’il faut voir plus petit pour commencer ? Les chances de succès en seront plus grandes, et tout projet complété c’est du fuel pour l’avenir. (ça c’était mes 2 centimes).

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  7. Bonsoir, je te remercie beaucoup pour ce témoignage plein de sincerité. Je me dis que beaucoup de gens vivent exactement la même situation que toi actuellement, parce que le monde du jeu vidéo est déjà hyper saturé. Moi je fais des jeux vidéo HTML5 pour l’instant, parce que je n’ai pas les moyens pour me faire des jeux triple A. Un jour peut etre je me lancerai dans cette aventure, mais pour le moment je fais des jeux GRATUITS.

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