A Trip to Yugoslavia

Avec les montagnes de sorties quotidiennes sur Steam, il devient de plus en plus difficile de ne pas se perdre, de ne pas se noyer dans l’océan de jeux mis à notre portée. Comment ne pas passer à côté d’une œuvre digne d’intérêt, comment sélectionner le prochain jeu à lancer ? Parfois, il suffit d’un titre accrocheur comme « A Trip to Yugoslavia » pour donner envie de tenter l’expérience.


D’abord, la Yougoslavie, ça n’existe plus depuis 2003 (cet ancien état regroupait les actuels Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Macédoine, ainsi que le Kosovo). En France, on peut dire que le souvenir de ce pays est intimement lié à des images de guerre (la guerre du Kosovo, par exemple), et on se dit qu’a priori, un « trip to Yugoslavia », ça paraît incongru. Raison de plus pour voir ce que le jeu a à nous proposer, en fait.

Terres désolées

Le jeu de Piotr Bunkowski et Hades Production ne va d’ailleurs pas à l’encontre de ces a priori. Il nous fait incarner un jeune photographe amateur (qui ressemble fortement à Justin Bieber, ce qui n’a rien à voir avec la choucroute mais ne pouvait pas ne pas être mentionné), aux abords d’une forêt Yougoslave, alors que le temps est à la guerre. Les terres sont désolés, les quelques constructions que l’on croise à moitié (voire aux trois quarts) détruites, et chaque rencontre est un danger potentiel. A Trip to Yugoslavia semble bien conforme, dans son ambiance, à ce que l’on pouvait imaginer. Il va donc falloir survivre dans cet environnement hostile, et faire les bons choix pour ne pas tomber aux mains des militaires qui arpentent la région à notre recherche, et qui ne se feront pas prier pour nous coller une balle entre les deux yeux (ou dans le dos s’ils en ont l’occasion, n’en doutons pas).



FMV strikes again

Je n’ai pas encore mentionné ce qui donne à A Trip to Yugoslavia toute son identité : le Full Motion Video, ainsi que sa réalisation globale. Le Full Motion Video (ou FMV) est ce choix de réalisation qui consiste à diffuser des images filmées plutôt que calculées. Il n’y a donc pas de personnage animé dans un décor créé en images de synthèse : ici, tout est réellement filmé, avec des acteurs, dans une vraie forêt. Le FMV a connu un certain succès dans les années 90, mais ses limites et son côté artificiel avaient fini par le laisser à l’abandon, jusqu’au coup de maître réalisé par Her Story en 2015.

Mais ce qui frappe avec A Trip to Yugoslavia, c’est sa réalisation. Il y a là une volonté de faire cheap, dont on ne sait pas très bien si elle est motivée par une vision créative, ou si c’est là un bon moyen de pallier un manque de budget. Quoi qu’il en soit, et même si ça n’en fait pas un chef d’œuvre, cela fonctionne assez bien pour rendre l’expérience intéressante : à l’ambiance désolée de la Yougoslavie dépeinte s’ajoute une mise en forme elle-même désolée. La vidéo est ainsi tournée en qualité VHS (vous savez, les vieilles cassettes à bande magnétique), les interfaces sont moches, même les acteurs sont clairement des amateurs. Il y a dans le jeu un aspect pauvre, un peu dégueulasse, qui s’accorde bien avec le sujet… et rend l’ensemble plutôt plaisant.



Le David Cage du pauvre

En termes de gameplay, A Trip to Yugoslavia se présente comme un film interactif, ce qui n’est guère étonnant pour un jeu en FMV. Il est même construit sur le modèle généralement utilisé par les jeux du studio de David Cage, Quantic Dream (Heavy Rain, Beyond Two Souls…) : le scénario propose des embranchements laissés au choix du joueur, qui mènent à un déroulement de l’histoire différent, le tout entrecoupé de séquences en Quick Time Events (QTE). A Trip to Yugoslavia reprend d’ailleurs également le principe des QTE et d’éléments de type point’n click, avec une interface moche et peu claire dans la lignée du reste. Heureusement, une touche permet de rembobiner, laissant ainsi au joueur la possibilité de rejouer un QTE raté. Le jeu n’est pas très long, ce qui permet de relancer quelques parties pour explorer les différentes voies, avec la possibilité de passer en avance rapide les parties déjà jouées, ce qui permet d’accélérer un peu cette exploration, et c’est plutôt bienvenu.


Bien sûr, il n’est pas question de crier au génie ou d’exagérer les qualités de A Trip to Yugoslavia, qui demeure une œuvre limitée dans le fond et la forme. Pour autant, il y a quelque chose de réellement réjouissant dans la cohérence du cheap qui habite le jeu, dans la cohérence de sa réalisation globale, dans l’idée de même d’avoir créé un jeu intitulé « A Trip to Yugoslavia ».

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