Orwell – Ignorance is Strength

Après une première saison en 5 épisodes amplement réussie, Orwell revient avec une seconde saison sous-titrée « ignorance is strength » (« l’ignorance, c’est la force », un des slogans de l’ANGSOC dans 1984, de George Orwell). Que nous propose Osmotic Studios cette fois-ci ?

  • Ce test sera mis à jour à chaque sortie d’un nouvel épisode.

Episode 1 : Thesis

D’abord un petit rappel : Orwell est un système de surveillance et d’agrégation de données, inspiré par l’auteur visionnaire de 1984 autant que par l’essor du big data, utilisé par le gouvernement pour garantir la sécurité de la population de The Nation (la nation fictive mise en scène par le jeu). Cette nouvelle saison fait intervenir un nouvel enquêteur, laissant donc la possibilité pour les néophytes de découvrir l’univers d’Orwell même s’ils n’ont pas joué à la saison 1 ; il rateront quelques références mais ne seront nullement gênés (notons toutefois que ceux qui ont joué à la saison 1 peuvent lier une sauvegarde à leur partie… si les conséquences ne sont pas visibles dans ce premier épisode, il y a fort à parier pour qu’à terme cela puisse avoir un impact sous forme de bonus).

Cet épisode débute par une sélection : un questionnaire à remplir doit déterminer la bonne attitude du joueur, et confirmer son assignation à Orwell. La première question est déjà intéressante : il est possible de signaler que l’on souhaite protéger sa nation, faire partie du programme pionnier technologique Orwell, voire de dire tout simplement qu’on est là pour l’argent et qu’on aime espionner les gens. La seconde question présente 4 photos de personnes (un homme asiatique, une femme noire, une femme voilée et un homme blanc), et il s’agit de déterminer laquelle est la plus susceptible de commettre un crime. Malaise : une réponse est obligatoire. Que cherche à sélectionner la machine ? Le procédé est habile pour impliquer le joueur, et le plonger d’emblée dans un certain état d’esprit qui lui permettra d’envisager Orwell comme l’outil sensible qu’il est. Il est cependant regrettable de constater que les réponses aux questions ne semblent avoir de conséquence que psychologique (ce qui reste remarquable, le conditionnement du joueur étant un excellent moyen de garantir une bonne expérience de jeu), l’issue du questionnaire ne variant pas vraiment selon les choix effectués.

Si la saison 1 racontait un espionnage pervers et hautement intrusif afin de prévenir des attentats, cette saison 2 se place à une échelle plus élevée : le joueur-enquêteur fait partie d’une branche spéciale d’Orwell, et travaille dans l’espionnage et les relations internationales entre The Nation et Parges, un pays voisin. Les deux pays sont en crise, et le but sera autant de comprendre ce qui se passe que… de le décider, d’une certaine manière. En effet, le système Orwell, qui a peu évolué depuis la saison précédente, permet d’incorporer des données destinées à devenir vérité officielle. Dans la grande majorité des cas, toute données présentée est à incorporer presque automatiquement, mais il faut parfois faire un choix : lorsque deux informations se contredisent, c’est au joueur de décider laquelle il souhaitera conserver, et donc laquelle deviendra vérité. Malheureusement, ces cas sont toujours aussi peu fréquents, ce qui fait d’Orwell un excellent jeu narratif, mais dans lequel les possibilités restent limitées. Côté gameplay, Osmotic Studios n’a pas changé la recette : de la lecture et des données en surbrillance à sélectionner. Les ajouts sont subtils : un micro puzzle qui rappellera A Normal Lost Phone, et c’est à peu près tout.

Ce premier épisode de la saison 2 d’Orwell n’innove pas vraiment : le gameplay est quasiment identique, et le thème varie peu. Il s’agit toujours d’espionner la vie privée de cibles identifiées pour faire émerger… une certaine vérité. L’écriture de qualité et la construction du jeu en forme d’enquête en font une bonne pioche tout de même : on est rapidement captivé, et la sensation de découverte progressive fonctionne bien. Espérons que les prochains épisodes (la saison 2 en prévoit 3 au total) parviennent à ajouter un peu de nouveauté.


Épisode 2 : Antithesis

La fin de l’épisode précédent cause un emballement certain dans la gestion de la situation. Des faits gênants pour le gouvernement menacent d’être révélés au grand public, il va s’agir cette fois-ci de contrer cette opération de communication. Orwell tente ici une mise en scène subtilement différente : on sait que Raban s’apprête à publier un article qui risque de mettre le feu aux poudre, et il est impératif de l’en empêcher, ou de trouver un moyen de d’atténuer l’effet qui pourrait en résulter.

Une sorte de course s’engage alors : grâce à Orwell, on perçoit l’avancée du travail de Raban, à travers l’historique de ses connexions internet, à travers les enregistrements successifs de son papier à venir. Pendant ce temps, on cherche des éléments à même de le discréditer, et rapidement la piste s’engage sur ses proches ; qu’importe qu’ils soient innocents, s’il est possible de trouver quoi que ce soit de scandaleux (au sens people du terme), ce sera toujours bon à prendre pour détourner l’attention. On a donc affaire à une pure lutte médiatique d’apparat, qui ne manque pas de rappeler les joutes politiques du monde réel : il n’est même plus question de convaincre qui que ce soit d’un fond quelconque, il faut juste amener l’opinion à ne pas s’intéresser à ce que dit l’adversaire, ou à discréditer ce dernier pour que son discours perde tout impact.


Ce deuxième épisode de la saison frappe juste dans sa façon d’aborder la manipulation médiatique, et l’investigation intrusive qui lui est liée. On espionne toujours avec une certaine délectation, à mesure que la vérité se dévoile. Côté gameplay, la fonction de recherche initiée dans l’épisode précédent est à nouveau mise à contribution et fait bien le travail, en accentuant l’impression d’enquêter. Rendez-vous le 22 mars pour la conclusion.


Épisode 3 : Synthesis

Suite et fin de cette saison 2 d’Orwell. Ce dernier épisode met définitivement l’accent sur la guerre de l’information en mettant à disposition du joueur un nouvel outil permettant de répandre sur la toile et les réseaux sociaux de véritables constructions narratives (réelles ou non) qui serviront à détourner l’attention ou à pointer des contradictions ; autrement dit, il s’agit cette fois de combattre Raban sur son propre terrain, de l’user à coups d’attaques personnelles, de le décrédibiliser et in fine de saper sa base de followers. C’est extrêmement bien fait, et la mécanique résonne évidemment fortement dans l’esprit du joueur, tant elle fait écho à presque tout ce que l’on constate dans les media du monde réel. Tout y est : les coups bas de la vie personnelle, les manipulations d’information, la diversion, et à l’arrivée le détournement complet de l’opinion ; l’idée est de ne surtout plus s’intéresser au cœur du sujet, mais de s’attarder à sa périphérie, voire plus loin. C’est sans doute la plus grande réussite de cette saison d’Orwell : avoir réussi à montrer naturellement comment le principe des guerres médiatiques consiste à déplacer le conflit dans des zones presque triviales, pour éviter de réfléchir sérieusement au sujet névralgique.

Pour autant, le jeu demeure essentiellement dirigiste : alors que le système de sélection d’information pourrait sans doute permettre un aspect puzzle plus marqué, ou des mises en situation de dilemme et de choix impactant, on a toujours autant le sentiment d’être essentiellement guidé par la machine, qui pourrait sans doute effectuer tout le travail toute seule. Bien sûr, quelques choix viennent tout de même justifier la présence du joueur, et le nouveau système d’influence des réseaux sociaux impose de choisir le thème qui sera répandu. Mais ces thèmes se construisent automatiquement, selon les mêmes modalités qu’à l’accoutumée. Légèrement frustrant, sur le plan du gameplay pur, cela peut néanmoins également être perçu comme quelque chose de signifiant : après tout, n’est-ce pas le principe même d’Orwell de tendre vers le contrôle absolu par le biais d’une surveillance totale ? Et dans ces conditions, la notion même de choix n’est-elle pas vouée à s’estomper ?


Orwell confirme ses grandes qualités narratives et son extrême pertinence quant à sa mise en scène de la puissance de l’information. Sans doute un peu trop dirigiste, le jeu d’Osmotic Studios impose un gameplay qui semble contrôler le joueur autant que ce dernier contrôle la destinée des protagonistes, le tout au sein d’un système qui fait sens. Malgré une toute fin un peu précipitée, il suffit de regarder les infos du monde réel pour comprendre qu’Orwell est un jeu politique réussi.

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