Critique Épisodique

Beyond This Side

Développeur : Glim Games – Éditeur : Crescent Moon Games 
Date de Sortie :
20 mars 2020 (deux épisodes dispo) – Prix : 3.99 €

Si l’univers de Beyond This Side se montre à la fois intrigant et mystérieux, les développeurs derrière ce point&click aux allures de nouvelles de Stephen King peuvent se targuer de l’être tout autant. En effet, le studio Glim Games semble inexistant, ou presque, sur la toile. Ce n’est cependant pas faute d’avoir bourriné la barre de recherche Google à l’aide de mots clés farfelus, dans l’espoir de glaner une misérable information les concernant. Un compte Twitter ? Nada. Facebook ? Niet. Youtube? Rien. Un site officiel qui annonce un « COME BACK SOON ! » aussi enthousiaste que frustrant… et une campagne de promotion fantomatique autour du jeu. Mais comme le dit l’adage, l’effort finit toujours par payer ; et c’est après plusieurs heures d’un crapahutage intensif dans les méandres du net que le Graal s’offre à moi : le compte Linkedin d’un des développeurs du studio, de nationalité turque. C’est tout. Voilà. Pas mal, non ? Non ? Bien…

De l'autre côté du miroir

J’entends déjà les mauvaises langues m’affirmer que je brasse du vide avec ma logorrhée introductive. Celle-ci apparaît néanmoins à-propos, puisqu’en étant aussi insaisissables, les développeurs de Beyond This Side ont réussi à me mettre, le temps d’une soirée, dans la peau de leur protagoniste, Sam. Enfin, avec le contexte mélancolique en moins. Car depuis près de six mois, la femme de Sam reste introuvable. Seule sa main, tranchée, fut retrouvée au fond d’une obscure ruelle uniquement squattée par un vieillard sans-abri, sympathique au demeurant, quoiqu’un peu perché. Incapable de réaliser son deuil en l’absence d’un corps, Sam parcourt inlassablement l’endroit de la disparition à la recherche du moindre indice, que la police ou lui-même auraient pu rater. L’homme s’est tellement imprégné des lieux qu’il s’y est façonné ses habitudes : des donuts généreusement offerts au SDF chaque matin, afin de le rendre plus loquace ; quelques mots échangés avec le serveur avenant du café du coin ; puis les mêmes murs à scruter, encore et toujours. Un rituel morbide parfaitement réglé.

Mais voilà qu’un jour pourtant semblable aux autres, le cœur de Sam se glace lorsqu’il perçoit une présence surnaturelle dans son dos. Un monde invisible s’immisce alors progressivement dans le réel ; l’occasion pour Beyond This Side de nous présenter son deuxième personnage jouable, une jeune femme « gothique » et fana de littérature fantastique, dont le destin s’entrecroisera avec celui du jeune homme. Toutefois, cette multiplicité de points de vue ne s’accompagne pas de mécaniques de gameplay particulières — comme on a pu le voir, jadis, avec la logique coopérative d’un Day of the Tentacle — puisque l’alternance entre les deux protagonistes est chaque fois scriptée et sert seulement à déployer le scénario. 

Plus largement, on ne peut pas dire que la jouabilité de Beyond This Side brille par son audace et son originalité. Au contraire, le titre s’affranchit même de certaines mécaniques si chères aux point&click traditionnels, telles que la sacro-sainte combinaison d’objets, ou encore la fouille minutieuse du décor, pixel après pixel, à la recherche d’éléments avec lesquels interagir. Les développeurs ont ainsi fait le choix de rythmer l’aventure avant tout grâce à de nombreux casse-têtes et mini-jeux plus ou moins difficiles. Plutôt moins que plus, d’ailleurs. Effectivement, si certaines énigmes se montrent bien ficelées et intéressantes à résoudre, la plupart se plient les mains dans le slip, pour peu que l’on ait l’empan mnésique d’un enfant de quatre ans. Puis bon, si jamais les moins doués d’entre nous transpirent d’avance à l’idée même de faire fonctionner quelques minutes leurs neurones, le jeu propose de zapper sans vergogne les puzzles les plus retors. Shame !

Une direction artistique qui fait le job

Beyond This Side s’accroche alors fermement à la main du joueur pour ne plus la lâcher, car il sait très bien que sa force ne réside pas dans son gameplay tout juste acceptable. Non, là où le soft excelle, c’est dans la mise en place d’une ambiance qui respire la tristesse et la corde au cou, en s’appuyant notamment sur le célèbre moteur Unity, toujours prompt à rendre service aux graphistes les plus créatifs. Avouons-le, la direction artistique fait mouche, en majeure partie grâce à son chara-design si particulier, unique, qui esquisse des personnages dont les visages sont rendus très expressifs par de grands yeux de biche. Mais bien loin de l’innocence qu’incarne le regard animal, ces yeux-là sont hagards et transpirent la perte de repères, la plongée dans le vide. Le jeu ne rate d’ailleurs pas une occasion de mettre en exergue sa trouvaille, comme lorsqu’on recharge notre partie et que l’on voit la caméra s’attarder quelques secondes, dans un joli effet de mise en scène, sur le regard paumé et soucieux de Sam. Cette réussite graphique ne s’arrête pas pour autant au design réussi des quelques personnages qui émaillent l’aventure, le moindre tableau traversé étant fignolé aux petits oignons – bien qu’ils manquent vraiment de diversité – avec d’intéressants effets de lumière qui transpercent la grisaille ambiante.

Cela dit, de beaux graphismes suffisent rarement, à eux seuls, à poser une atmosphère réussie. C’est donc là qu’entre en scène l’autre point fort de Beyond This Side, à savoir sa musique. Et si cette dernière effraie dans un premier temps en nous offrant une sempiternelle synthwave, tant à la mode depuis quelques années, elle se mixe ensuite avec des mélodies plus jazzy, d’où jaillissent les accords d’un saxophone suave, accompagnés de la délicate mélancolie du piano. Une bande-son tout en douceur (mais là aussi, trop peu variée) qui s’accorde bien avec la sobriété de l’écriture du titre. Tellement sobre qu’elle en manque parfois de mordant et d’un je-ne-sais quoi qui permettraient de plonger corps et âme le joueur dans un récit autrement fort classique. A noter par ailleurs que Beyond This Side n’a pas encore vu naître son chapitre finale (seuls deux épisodes sur trois sont sortis – une heure de jeu par chapitre, à peine) et qu’il est donc encore difficile de juger de la qualité globale de son scénario, tant qu’il se trouve amputé de sa conclusion.

Bien dommage que Beyond This Side soit passé complètement inaperçu lors de la sortie de ses deux premiers épisodes, car les petits gars de chez Glim Games montrent un certain savoir-faire pour poser une ambiance sombre qui suinte la maîtrise, malgré un gameplay minimaliste et des énigmes dont la qualité oscille entre le médiocre et le correct. Toutefois, en échange d'une poignée d'euros, le soft (hum... sûrement) turc saura exhiber une direction artistique d'une certaine beauté aux joueurs les plus curieux. En attendant donc le troisième et ultime chapitre qui, on l'espère, fera bourlinguer nos deux héros dans des paysages un poil plus variés, et proposera une narration percutante qui hissera Beyond This Side au rang honorable des jeux dits "sympas".

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Gattu

Joueur biberonné à quelques vieilleries telles que Secret Of Mana, Half Life ou Day of the Tentacle ; aujourd'hui reconverti sur les jeux narratifs, principalement par manque de temps et... de temps.

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