Critique

Minds Beneath Us

Nyam Hazz
Publié le 28 septembre 2024
Minds Beneath Us

Développeur

BearBone Studio

Éditeur

BearBone Studio

Date de Sortie

31 juillet 2024

Prix de lancement

19,50 €

Testé sur

PC

Thriller de science-fiction cyberpunk où vos choix comptent, Minds Beneath Us se révèle être un bon petit polar dont vous êtes le héros. Tout droit sorti du studio indépendant taïwanais BearBone (je parle bien du studio de développement à l’origine du jeu qui s’édite lui-même, et non de l’île où il réside et dont la situation géopolitique reste contestée, je ne voudrais pas avoir de problèmes avec la Chine), il nous entraîne dans une cité futuriste chinoise entièrement automatisée grâce à l’intelligence artificielle. Disponible uniquement sur PC depuis le 31 juillet 2024, il nous dépeint une société ultra-moderne où les conditions sociales des êtres humains ne se sont clairement pas améliorées, en tout cas pour la grande majorité d’entre eux.

Flop flop flop

Nous sommes fin 2049 et tout débute dans une chambre d’hôpital où l’on se réveille sans trop savoir ce que l’on fait là, ni même où l’on se trouve exactement. De plus, comme personne n’est venu nous voir depuis des heures et que notre camarade en piteux état ne nous est pas d’une grande aide, il est difficile d’en savoir plus. Et comme la porte semble être verrouillée par un système militaire, ce qui est vraiment curieux pour un hôpital, on ne peut pas non plus sortir. Tout juste parvient-on à savoir que nous sommes le chef d’un des gros gangs de contrebande de la ville et qu’une opération sur les docks a mal tournée. Il y a eu des tirs échangés avec les forces de l’ordre, une poursuite a été engagée et nous avons eu un accident, mais depuis, plus rien.

Nous finirons par apprendre qu’en fait, nous sommes un M.B.U., un système intelligent capable d’être implémenté dans les êtres humains pour en prendre le contrôle et obtenir ainsi des informations. Si notre sujet perd donc la maîtrise de ses actes et devient simple spectateur de sa propre vie, nous ne choisissons pas non plus qui nous contrôlons, ni pourquoi. La tension finit ainsi par monter avec nos donneurs d’ordre, jusqu’à ce qu’une anomalie fasse tout partir en vrille et que l’on se retrouve dans le corps d’un autre individu. Ce dernier se prépare pour son premier jour de travail dans l’une des trois grosses compagnies qui dirigent désormais le monde et se situent bien au-dessus des gouvernements, laissant ainsi libre cours à tous les abus induits par la logique capitaliste du profit.

Nous faisons ainsi nos premiers pas dans ce que l’on appelle une « ferme », une usine chargée de tirer le « jus » (appelé flop) du cerveau d’être humains volontaires. Les importants besoins énergétiques engendrés par une IA omniprésente, ont en effet fait germer cette idée. Or, les conditions de vie de certains individus permettent de trouver facilement des candidats qui, pour quelques deniers, acceptent de louer leur corps un certain temps, même s’il y a des risques d’effets secondaires, voire de mort. Le monde cruel de l’entreprise étant ce qu’il est, il est totalement dénué d’empathie et toujours prêt à exploiter les autres, personne n’y trouve rien à redire et l’on se focalise sur les aspects positifs (fourniture de l’énergie indispensable à la société, emplois pour les plus démunis…). C’est ainsi que l’on va mettre le doigt, malgré nous, dans un engrenage qui va nous entraîner dans une enquête pour découvrir la vérité. Mais il est difficile de savoir qui croire et qui ne pas croire, et on aura bien souvent la sensation de se battre contre des moulins.

Le corps et l’esprit

Le scénario de Minds Beneath Us est non seulement particulièrement bien mené, avec quelques touches d’humour bien senties, mais il offre aussi l’occasion de dépeindre un univers ultra-connecté et de faire, à travers lui, une peinture au vitriol de ce que pourrait devenir le monde dans lequel nous vivons. Sont ainsi abordés, en vrac, l’empiètement sur la vie privée, le remplacement de l’homme par la machine, le clivage social entre la ville chic et la banlieue pourrie, dangereuse et abandonnée à son triste sort, etc. Au-delà du scénario principal, le titre n’hésite pas, en effet, à disserter sur de nombreux points comme le sens de la vie, la condition féminine, la déshumanisation des ressources humaines, la lutte des classes, l’immigration clandestine et son exploitation, le dérèglement climatique, les relations professionnelles, de voisinage, ou encore de couple, et j’en passe.

C’est globalement intéressant à suivre, avec beaucoup de répartie dans les dialogues, même si quelques débats peuvent traîner en longueur et donner la sensation de tourner un peu en rond. Cela a aussi pour conséquence de nombreuses, très nombreuses, lignes de dialogue à lire. Notons d’ailleurs que le titre, entièrement textuel, n’est disponible qu’en langues asiatiques (mes connaissances ne me permettent pas d’être plus précis) et en anglais, point de traduction française. Mais si ceci ne vous effraie pas, vous serez vite happé par le titre. Et si ça ne suffit pas, vous pouvez même vous arrêter pour écouter les discussions des PNJ. Cela étoffe encore un peu plus le lore, si cela est nécessaire, et accroît d’autant plus la durée de vie du jeu qui est particulièrement conséquente pour un titre du genre puisqu’il faut compter plus ou moins 25 heures (personnellement, je suis plutôt sur 30h pour les 100%).

Comme on peut s’en douter, c’est surtout à travers les dialogues que vous effectuerez des choix d’embranchements scénaristiques. Plusieurs voies peuvent ainsi être suivies et, selon vos décisions, des options de réponses supplémentaires pourront apparaître ou non. Vous pourrez ainsi boucler votre aventure de plusieurs façons et assister, de fait, à différentes fins. Faire des choix ne sera pas toujours facile, des cas de conscience seront régulièrement soulevés. Il est bien difficile de savoir ce que l’on attend de nous et ce qui est le mieux, mais, tôt ou tard, nous verrons les conséquences que cela entraîne. On suit donc notre instinct ou ce que nous dit notre cœur, d’autant plus que le temps accordé à la réflexion est parfois limité. Et si, finalement, on regrette nos décisions passées, c’est trop tard pour revenir dessus, ce qui est fait est fait.

Changer le monde

BearBone prend le temps de construire chacun de ses personnages, et nous offre une belle galerie d’individus bien travaillés et à la psyché variée. Avec ses 5 chapitres (6 si l’on compte aussi le tutoriel), Minds Beneath Us nous livre quelques clins d’œil, à l’image de cette vielle console PL8 de Sona qui traîne sous la TV, l’ameublement de la maison qui vient de chez KIEA, ou encore cette franchise de fast food Mac G’s Coffee… Essentiellement narratif, avec ses nombreux dialogues, il présente aussi quelques passages en point & click qui ne vont franchement pas chercher très loin, ainsi que quelques puzzles à résoudre et autres défis à relever, mais aussi des phases de combat en QTE (esquive et frappe) qui viennent nous surprendre et au cours desquelles on peut mourir.

Cela n’a, certes, rien d’exceptionnel, et s’avère assez facile, mais c’est bienvenu pour dynamiser un peu l’aventure, surtout lorsque ça arrive sans prévenir. Le titre s’amuse d’ailleurs régulièrement à nous surprendre, avec ses phases d’action inattendues, mais pas que. Et c’est vraiment efficace en terme narratif. Jouable au clavier-souris, comme à la manette, il parvient à offrir un jeu en 2D avec déplacement latéral sur plusieurs plans entre lesquels on peut basculer d’une simple pression de touche/bouton avec un efficace effet de fondu-enchaîné des personnages. Les décors sont très sympathiques, avec beaucoup de néons, mais aussi de beaux jeux d’ombre et de lumière. La ville, comme les bureaux et autres lieux que l’on visite, est vivante et animée. Malheureusement, on ne peut franchir que les portes prévues et uniquement aller là où c’est permis, ce qui donne le sentiment d’être tout de même un peu bridé.

Mis à part un petit bug rencontré lors d’un combat, il n’y a rien à redire sur la technique. Et graphiquement, c’est une réussite. Même si l’on visite sans cesse les mêmes lieux et que ceux-ci ne sont pas très nombreux, les environnements soignés et détaillés sont particulièrement séduisants. Et le choix stylistique d’utiliser des personnages sans visage (pas de bouche, pas de nez, ni d’yeux) fonctionne très bien et fait son petit effet. On regrette, en revanche, l’absence d’option de sauvegarde, obligeant à attendre l’autosave pour pouvoir quitter le jeu, ce qui peut s’avérer pénible lorsque de longs discours s’enclenchent et que l’on aimerait bien aller se coucher. Enfin, nous terminerons sur une petite touche musicale. Le titre est baigné d’une douce musique de fond, inévitablement un peu répétitive, mais vraiment sympa et propre à chaque situation. Elle sait notamment bien marquer les moments clés, lorsque la tension monte, tout comme les bruitages symboliques des personnages tapant du poing sur la table par exemple. Bref, vous l’aurez compris, j’ai passé un moment très agréable à jouer avec les esprits d’autrui.

Avec ses personnages bien travaillés, sa direction artistique séduisante, sa bande son efficace, son surprenant scénario bien ficelé et ses dialogues riches, Minds Beneath Us nous entraîne dans son univers avec beaucoup d’efficacité. Tout juste regrette-t-on quelques dialogues un peu trop à rallonge, ainsi que l’absence de traduction française, mais qu’est-ce à côté de cette critique acerbe de notre monde qu’il offre à travers une aventure SF où il ne fait pas bon vivre ? Si la présence de nombreuses lignes de dialogue en anglais ne vous rebute pas, je vous conseille vivement de vous plonger dedans.

Indika

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