
Dans l’ombre des colosses
Remarque : cette review a été écrite après 30h de jeu, dont une vingtaine sur Suikoden premier du nom (le temps de le terminer). Le second jeu est bien meilleur en tout (scénario, personnages, combats) mais je vais utiliser le premier jeu pour expliquer le concept de la série et en reprendre des exemples précis. Il n’empêche que les deux jeux sont réalisés sous le même moteur “réhabilité” et donc, toutes les critiques techniques, visuelles, sonores, sont destinées aux deux titres.
Konami est de retour ?! Loin des pachislot (même si c’est encore le cœur de leurs finances), l’éditeur qui nous a fait rêver dans les années 90/2000 tente un comeback un peu bizarre fait principalement de remakes et remasters pour le moment. En attendant Snake Eater, c’est la saga Suikoden du défunt Yoshitaka Murayama (qui nous a quitté en 2024) qui se refait une santé. L’envie derrière cette compilation des deux jeux sortis sur PlayStation première du nom est clairement de relancer la franchise (et juste avant la sortie d’un Free to Play, bien joué !). Mais Suikoden, c’est encore quelque chose qui va parler aux générations actuelles ?
On en a déjà parlé cette année avec Dynasty Warriors, mais le Japon adore adapter les romans chinois les plus célèbres. Suikoden est très ouvertement tiré de la bible “Shui Hu Zhuan” (“Au bord de l’eau”, en France) qui raconte l’épopée de 108 personnages dans un conflit armé ouvert. Les 108 personnages, c’est la principale originalité de la série des Suikoden qui pourrait paraitre être un simple RPG 2D Pixel de plus : mais dans le jeu, il y a donc ce nombre de héros à trouver, chacun pouvant être jouable, soit apporter quelques bonus à l’aventure. Par exemple, si vous trouvez une cartographe, vous aurez accès à la carte du monde. Si vous trouvez une passionnée de musique, vous pourrez peut-être changer les sonorités de vos menus… Bref, Suikoden c’est 108 personnages par jeu, pas mal de secrets et une fin “cachée” si vous les obtenez tous (je vous rassure, elles sont toujours très optionnelles, ne vous sentez pas obligé de le faire). Mais c’est aussi et surtout une certaine épopée.
Je dois un peu expliquer quel est mon rapport à la série avant de continuer à vous dire ce que je pense de ce double-volet remasterisé. J’ai très longtemps travaillé pour du journalisme spécialisé RPG et j’en ai dévoré, des verts et des pas murs. Le seul Suikoden que j’ai terminé cependant, c’est le V sur PlayStation 2 et je l’avais adoré. Radiata Stories, jeu de Tri-Ace reprenant le concept des personnages à découvrir, m’avait aussi beaucoup plus. C’est pourquoi je me suis lancé dans l’aventure rétro de la découverte de ces deux titres phares du RPG sur PlayStation… Et j’y suis venu avec beaucoup d’apriori. En effet, vous connaissez tous ce moment où vous vous emballez en disant à vos ami·e·s que c’est sûr, ce remake-là, vous allez le faire à 100% ! Et finalement, vous ne passez presque pas l’introduction, parce que ça a vieilli, parce que le rythme n’est pas bon. Suikoden, c’est un rythme beaucoup plus coloré, rapide, davantage plaisant. C’est plein de personnages, de situations, d’événements qui s’entrechoquent dans un fil conducteur hyper simple. Du coup, bah ça fonctionne !
Mais ça raconte quoi ? Dans Suikoden I, vous jouez “votre personnage” (que vous pouvez renommer, à l’ancienne), fils d’un grand général de l’empire, qui va devoir devenir le chef de la rébellion (face à son paternel donc) pour une raison que je vous laisse découvrir. Il est aussi le porteur d’une étrange orbe lui conférant des pouvoirs maléfiques, au cœur du récit, mais aussi des combats puisque cet orbe permet des attaques spéciales dévastatrices, mais très couteuses en énergie. En dehors des boss, ces pouvoirs vous permettent par exemple de one-shot tous les ennemis. Rien que ça. Suikoden II, lui, se greffe un peu après le premier jeu, dans une contrée voisine et avec beaucoup de références au premier (vous pouvez même importer votre sauvegarde pour quelques surprises).
Plutôt que de vous réexpliquer ce qu’est un RPG 2D de l’époque, ce que tous les autres articles feront surement mieux que moi (et avec plus de motivation), je préfère vous faire une jolie présentation de “pourquoi Suikoden est si différent des autres jeux du genre”. Déjà, votre personnage possède un pouvoir fixe qu’il ne peut pas enlever (l’orbe maléfique dans le I et un bouclier dans le II). Mais d’autres orbes sont à trouver pour en équiper vos compagnons. Ces orbes peuvent vous permettre de lancer des attaques, élémentales ou non, pendant les combats, mais peuvent aussi servir de support (soins à chaque tour) ou d’aide (davantage d’XP ou d’Argent pour le porteur).
Les personnages amènent aussi leur lot de modification du jeu : prenons exemple sur Stallion qui est un elfe hyper rapide, sorte de Flash de ce monde fantastique. Si vous l’avez dans votre équipe, alors vous marchez plus vite sur la carte du monde : c’est ce genre de petites choses qui rend Suikoden unique
En plus des combats habituels, vous avez aussi deux grandes originalités de gameplay (surtout pour l’époque). Des duels, en 1vs1, souvent scénarisés, mais aussi des champs de batailles sur un principe de Pierre/Feuille/Ciseau (ici un peu comme dans Fire Emblem, plutôt basé sur Charge/Arc/Magie). Pour réussir ces batailles, vous pourrez aussi capturer des informations sur les prochains coups ennemis, leur voler des unités, augmenter vos forces, tout cela via les personnages que vous avez recrutés parmi les 108 étoiles du jeu. On y revient toujours : c’est vraiment le coeur de Suikoden et aucun moment de gameplay n’oublie d’en tirer parti. C’est ce qui fait le charme de l’aventure.
Amusant aussi de voir que scénaristiquement, on est en 1995 et les mœurs ne sont pas tant que ça à l’ancienne. On a des histoires de famille plutôt moderne, des amourettes entre personnes de même sexe, ça parle de racisme, de colonisation, d’invasion d’un territoire de façon illégale et pourtant validée par les grandes instances. Si Suikoden sortait aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on le traiterait de trop progressiste, ce qui est quand même une belle preuve que les arguments des plus conservateurs sont à la ramasse. Et ça fait plaisir de s’en rendre compte en jouant à une œuvre qui a aujourd’hui 30 ans !
Le rôle de la femme dans cette histoire est très paritaire, même si malheureusement, on a souvent des références à leur objectification, leur corps, etc. Des textes plutôt crus feront leur apparition pour souligner la violence de la guerre. “Je ne te laisserai pas souiller mon corps” par exemple. J’avoue, je n’étais pas prêt… Mais ne pas édulcorer un conflit armé, même dans une œuvre fantastique, me semble important
RPGs de qualité donc, proposant environ 20h de jeu chacun, Suikoden I + II vient donc aussi avec une version ayant pris 5 ans a étre développée.. Et ça se voit. Alors non, ce n’est pas “beau” dans le sens “prouesse graphique”, mais le parti pris visuel vient donner du volume, de la rondeur, à absolument tout ce qui faisait vieillot dans les jeux d’origine. On garde les pixels des personnages, mais on change les menus et on met tout en HD.
Mais surtout : on modifie absolument tous les anciens décors pour leur redonner un look propre et lisse, peut-être trop lisse pour certains mais qui fonctionne très bien. On trouvera même beaucoup d’effets de lumière rajoutés et des effets d’eau (surprenants) avec une jolie 3D et des reflets. Tout ce qui est visuel a du sens : ça ne dénature jamais le jeu d’origine quitte à rester “à l’ancienne” (certains diront “moche avec le temps”) et ça n’oublie jamais d’être accessible aux plus jeunes, avec des portraits de personnages redessinés (par les artistes de l’époque), une vidéo d’introduction revue et corrigée, etc.
Et l’accessibilité est aussi au rendez-vous. On a le droit à trois modes de difficulté, ainsi qu’à une accélération X2 et X3 des combats (en plus d’une automatisation qui, ceci dit, ne fait que bourriner et ne se soigne pas ni ne lance de magies). Attention par contre : les sauvegardes automatiques sont extrêmement rares ! Ne faites pas comme moi en faisant confiance au jeu dès le lancement, vous risquez de perdre 2h d’introduction au premier combat venu. Et tout recommencer peut vraiment vous faire abandonner. Vu la qualité du récit et de l’aventure, ce serait réellement dommage.
Vendue tout de même 50€ ce qui reste un investissement certain, cette compilation des deux premiers volets de Suikoden est cependant extrêmement satisfaisante et respectueuse des oeuvres originales. On y retrouve ou découvre un style visuel agréable, une OST qui commence timidement, mais révèle vite sa puissance et un récit passionnant à la collecte de 108 personnages très addictive. Suikoden est une grande saga du RPG : la voir renaitre de ses cendres avec autant de panache est délectable !
L’alchimie ne prend plus ?!