
Seul sur Mars… Mais mieux équipé
On aura dû attendre six longues années depuis la sortie de Unavowed, le dernier jeu en date développé en interne par Dave Gilbert et Wadjet Eye Game, pour voir enfin arriver Old Skies, le nouveau Point & Click du studio à qui l’on doit aussi la série des Blackwell. On avait pu apercevoir au détour de la démo jouable il y a deux ans le nouvel univers basé sur les voyages temporels, ainsi que le nouveau style graphique plus bande dessiné. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on avait vraiment hâte d’en voir plus !
On nomme souvent les années 80 et début 90s comme l’âge d’or des Points & Click, et il est vrai que l’on a connu quelques années de vaches maigres après ça. Néanmoins, force est de constater que ces dernières années, grâce aux studios et développeurs indépendants, le genre n’a jamais été aussi bien représenté. Si l’on prend seulement les années précédentes, on a vu des titres comme The English Haunting, The Excavation of Hob’s Barrow, STASIS: Bone Totem, les Golden Idol, The Night Is Grey, The Crimson Diamonds, et ce même mois d’avril, Rosewater. Et c’est juste pour prendre les plus notables des récentes années, donc loin d’être exhaustif.
Un des grands instigateurs de cette nouvelle vague d’aventurier n’est autre que Dave Gilbert, et son studio Wadjet Eye Games, qui a fortement contribué à impulser un réel regain d’intérêt grâce notamment à la série Blackwell, ainsi que les titres édités comme Gemini Rue ou encore Technobabylon. Ça faisait pourtant six ans maintenant que son dernier titre en interne, Unavowed, est sortie. Autant dire que la sortie de cet Old Skies est donc un sacré évènement dans le monde merveilleux des adorateurs de Point & Click.
Blackwell et Unavowed partageaient un univers commun dans ce qu’on appelle communément de l’Urban Fantasy, c’est-à-dire du fantastique dans un monde contemporain. S’il est possible qu’Old Skies partage le même univers, celui-ci se place dans un futur relativement proche, en 2064, alors que la découverte de particules temporelles a permis le développement de technologies rendant possible de voyage dans le temps. Évidemment, le chaos qui s’ensuivi à vite vu naitre une entité gouvernementale dans le but de réguler ces voyages et ainsi limiter les impacts sur l’Histoire. Il est désormais possible de s’offrir, moyennant finance, les services de ChronoZen, pour réaliser un voyage dans le temps, que ce soit pour revivre un moment spécifique pour un trip nostalgique, ou même changer son futur… À condition cependant que seul soit affecté des personnes ou des évènements à très faible impact historique. Tout le monde, et tous évènements, possédant en effet un Time Impact Rating représentant leur importance dans le monde actuel et calculé par des algorithmes complexes. On repassera sur l’éthique de tout cela ceci dit… Bref, pour éviter tout problème, les clients seront toujours accompagnés d’un agent de ChronoZen, chargé de mener à bien la mission, tout en s’assurant de ne pas affecter l’Histoire.
Vous incarnerez une de ses agents, Fia Quinn, qui a la particularité, comme ses collègues, d’être équipée d’un appareil permettant de les exclure des paradoxes temporels, et des variations fréquentes de l’espace temps altérant constamment le présent. Difficile dans ses conditions de se lier d’amitié avec des personnes qui pourraient changer du tout au tout d’un moment à l’autre ou carrément ne jamais avoir existé. Idem pour tout ce qui est du ressort artistique et des hobbies. Fia sera accompagnée à distance en mission par Nozzo, se chargeant d’apporter un soutien technique et des conseils. Plus important encore, c’est lui qui pourra déclencher un retour en arrière d’urgence de quelques minutes en cas de mort de Fia. Ça fera d’ailleurs partie des énigmes les plus intéressantes du jeu, dans lesquelles Fia pourra se retrouver dans des situations critiques où elle pourra mourir en boucle, ce qui n’est jamais très agréable. Elle devra alors utiliser sa connaissance du futur en testant différentes options et tenter de se sortir entière de cette situation, un peu comme dans un Edge of Tomorrow ou le jour de la marmotte par exemple.
Old Skies fait d’ailleurs surtout l’utilisation de puzzles situationnels et d’interactions, soit en rapport avec le voyage dans le temps, comme d’écrit plus haut, soit en débloquant les situations par des dialogues par exemple. Au final, on a très peu d’énigmes basées sur les objets et leur combinaison, vous en ramasserez de plus assez peu, et il ne faut pas du tout s’attendre à un style proche d’un Day of The Tentacle pour reprendre un des classiques du Point & Click et du voyage temporel. Au contraire, on reste dans de l’extrêmement accessible, et si vous êtes un aventurier expérimenté, il y a fort à parier pour que vous ne soyez jamais bloqué plus de quelques minutes, et Nozzo sera toujours présent pour vous aiguiller sur la marche à suivre si besoin. On retrouvera tout de même quelques passages dans lesquels l’on pourra passer d’une époque à une autre, mais les interactions resteront assez limitées.
En contrepartie, le rythme s’en retrouve très maitrisé et sans interruptions, on aurait peut-être tout de même aimé une difficulté un poil plus élevée, plus proche des derniers Blackwell. Mais ça n’empêchera pas de s’immerger complétement dans le titre, au contraire, et surtout d’y passer un long moment, relativement parlant pour le genre, vu qu’il faudra bien 10-15 heures pour voir le bout de l’aventure. D’autant plus que Old Skies fait le choix de ne pas faire de répliques parlées lorsqu’on examine des points d’intérêts, mais plutôt d’afficher une description textuelle en passant simplement la souris sur un objet, un peu comme un Fallout (les premiers), ou comme le faisait Stasis pour rester dans le même genre. Ça fonctionne très bien et fait également gagner un peu de temps.
En parlant de rythme, le jeu est d’ailleurs découpé en chapitres, représentant des clients, et donc des histoires, séparées… Du moins en apparence. Sur un principe similaire aux dernières productions de Wadjet Eye Games, on suit tout de même un fil rouge, et on découvrira vite des interactions entre les histoires, mais je vous laisse le découvrir de vous-même. Sachez-en tout cas que chaque histoire est traitée avec soin, prend son temps pour se développer, et comme on en a maintenant l’habitude, est toujours bien écrite, intéressante, et avec son lot de surprises.
C’est d’ailleurs une des grosses forces du jeu. Le soin donné à la personnalité des personnages, Fia en tête, aux dialogues, et à la cohérence du tout. Old Skies et un pur bonheur à parcourir du début à la fin, et l’on reste constamment intrigué et impliqué dans l’aventure, bien aidé par son monde original, rempli de mystères et en constant changement. Le développement des personnages chez qui les ravages du temps, ou plutôt des paradoxes temporels, se font inexorablement sentir, reste au centre du jeu où l’écriture fait un excellent boulot pour transmettre les subtiles modifications de leur état mental, sans pourtant jamais nous noyer dans des dialogues interminables.
On est d’autant plus happé par l’ambiance unique que chaque écran est véritablement splendide. Wadjet Eye Games a décidé d’un changement drastique de style artistique. Adieu le pixel art old-school habituel, bonjour le style bande dessiné/cartoon. À voir si cela sera du goût de tous, j’ai personnellement un faible pour le fantastique travail de Ben Chandler dans les productions précédentes et je dois avouer que j’étais donc au départ un peu chafouin de constater ce changement. J’ai cependant vite changé d’avis. Force est de constater que Old Skies, toujours par Ben Chandler, est visuellement magnifique, et propose une résolution de 1920×1080, incroyable pour le genre ! Bon, j’exagère un petit peu, mais ça reste trois fois supérieur à celle d’Unavowed par exemple. Les animations sont, elles aussi, très propres, dont certaines bien fun, et on a même le droit à quelques petites cinématiques de transitions, comme celle pour le saut dans le temps.
Pour finir, ce qui surprend le plus, c’est que malgré ce changement, on retrouve tout de même une ambiance assez similaire à ce qu’on pouvait avoir dans la série des Blackwell, aussi bien aidé par une bande son qui sonne très familière aux habitués, avec ses nombreuses notes jazzys. Là aussi, c’est du très bon et on est bercé dans l’ambiance sans fausses notes. Ajouté à ça, comme à leur habitude, un excellent travail sur les doublages. On retrouve des habitués comme l’excellent Abe Goldfarb, et chaque personnage sonne juste et unique. Mention spéciale à Sally Beaumont qui incarne Fia, avec sa magnifique voix et accent qui donne vraiment du corps à notre héroïne.
Après six ans d’attente, Dave Gilbert et Wadjet Eye Games réussi une nouvelle fois à sortir un Point & Click passionnant et original. On aurait certes aimé un peu plus de challenge et de puzzles basés sur le voyage temporel, qui ne sont finalement que rarement exploités, mais Old Skies a des ambitions bien plus narratives d’un jeu d’aventure moderne. On ne peut d’ailleurs que saluer le travail impeccable de Ben Chandler aux manettes de ce nouveau style graphique sublime, et comme toujours avec le studio, une direction audio sans fausses notes.