
Haute Voltige avec du deckbuilding
Je ne vous cache pas que je suis un peu stressée en démarrant cette critique. Citizen Sleeper 2, c’était mon jeu le plus attendu de 2025 dans la rétrospective 2024 de GSS, de même que pour mon confrère LeCrim. Pour le tester, j’ai donc dû faire des pieds et des mains (en réalité, trois messages Discord, mais j’aime romancer ma vie) et le supplier de me le laisser, ce qu’il a gentiment accepté. Est-ce que tous ces efforts et tant d’anticipation (pertinent pour un titre de sci-fi n’est-ce pas) n’ont pas été vains ? Vais-je retrouver l’enthousiasme qui m’avait saisie lors de la découverte de l’excellent premier volet il y a deux ans ? Spoiler : OUI.
Pour les retardataires au fond de la classe, Citizen Sleeper, c’est quoi ? On suit les aventures d’un dormeur, i.e. une conscience humaine habitant un corps artificiel, concept développé par une mégacorporation peu portée sur les libertés nommée Essen-Arp. Pour ne rien arranger, notre héros ainsi que son meilleur ami humain nommé Serafin sont devenus les esclaves d’un gangster local nommé Laine et décident de lui échapper en s’enfuyant dans la ceinture extérieure.
Alors que le premier volet consistait en l’exploration progressive d’une seule station orbitale, on se promène donc ici de décharges spatiales en ateliers logés dans des astéroïdes, rassemblant au fil de nos aventures une petite équipe de nerds au grand cœur. Vous l’aurez compris, le thème de la « famille trouvée» sera un des piliers de l’histoire, ce qui est loin de me déplaire. Le sentiment d’urgence instauré par la recherche de stabilisateurs pour notre corps artificiel dans le premier opus est ici remplacé par la nécessité de changer régulièrement de port pour éviter que Laine ne nous rattrape, ce qui honnêtement n’est vraiment pas difficile mais permet d’amener une tension nécessaire.
L’autre nouveauté, ce sont les contrats qui vous proposent d’aller réaliser de petites quêtes annexes en « temps limité », simulé par un maximum de cinq rations que vous consommerez au rythme d’une par cycle. Il vous faudra assez de fuel pour vous rendre sur le lieu de l’expédition, et vous pouvez aussi choisir deux compagnons pour vous aider, si possible compétents dans les compétences où vous êtes une bille (dans mon cas l’endurance, étant visiblement une chips en sucre au contraire du contrebandier bourrin que j’ai trimballé sur la moitié de mes contrats). Une idée très intéressante et qui rajoute une fois de plus de la difficulté au jeu, mais où j’ai regretté de ne jamais pouvoir améliorer les compétences ou le nombre de dés très limité (deux seulement) de mes compagnons. Eux aussi peuvent apprendre ! Cela vous permettra de gagner assez rapidement pas mal de cryo (la monnaie du jeu), afin de pouvoir acheter les pièces pour réparer les dés que vous aurez cassés dans l’opération. L’histoire est un éternel recommencement capitaliste…
Mais assez parlé du gameplay, l’énorme point fort de cette série, c’est le monde qu’elle développe et les thèmes qu’elle explore. Comme toujours, les dialogues sont écrits aux petits oignons, chaque personnage étant un poète dans son propre style : attention, le vocabulaire est ici soutenu et le langage plus évocateur que jamais, limitant potentiellement l’attrait du jeu pour les francophones peu versés dans la langue de Shakespeare. Espérons que la traduction française (excellente dans le cas du premier volet, mais arrivée pratiquement deux ans après la sortie…) soit disponible rapidement.
Racisme, discrimination, existentialisme, esclavagisme, lutte des classes, amitié, amour, trahison, rêves et désillusions, on parcourt de nombreux thèmes universels avec plaisir et nuance. Et oui, on lit beaucoup. Vraiment beaucoup : si vous n’aimez pas les visual novels, passez votre chemin. On fait aussi pas mal de choix, plus ou moins cornéliens, mais que ne ferait-on pas pour sa famille de l’espace ?
Enfin, niveau graphisme comme bande-son, c’est toujours aussi impeccable. Les portraits dessinés de chaque personnage ainsi que les architectures des différentes stations sont splendides, et la musique électro, mi-synthwave, mi-ambiance lofi, vous immergera directement dans les étoiles. On ne change pas une formule qui gagne et c’est parfait.
Mais alors, pas de défaut ? À part le niveau d’anglais nécessaire pour en profiter et la difficulté pouvant amener le sabordage de votre partie à cause d’un ou deux cycles malchanceux, j’en vois assez peu. J’ai été légèrement moins absorbée émotionnellement par ces membres d’équipage que lors du premier volet où j’avais adoré certaines rencontres, mais c’est très personnel et n’enlève rien à la qualité d’écriture. À noter d’ailleurs quelques rappels ou croisements avec d’anciens personnages ou situations, ce qui fait toujours plaisir dans une suite.
En résumé, ceux qui avaient adoré le premier volet adoreront le second. Les néophytes curieux de tester un RPG narratif, prêts à chausser leurs lunettes et se laisser séduire, seront rapidement emportés dans ce monde dystopique, mais gardant de nombreuses lueurs d’espoir. Quant à moi, je me résous à aimer toutes les futures créations de Gareth Damian Martin et j’espère que ce Citizen Sleeper 2 : Starward Vector inspirera d’autres à emprunter la voie du RPG narratif et de la science-fiction de qualité. Une sélection GSS attendue et amplement méritée !