
Grenouille d’Eau Pro Skater
La représentation est au cœur de tous les débats actuels dans le monde du jeu vidéo et pour cause : les héros et héroïnes sont quand même souvent construit de la même façon depuis des lustres. Ça se met à changer, mais généralement pas très rapidement. En parallèle, on a des développeurs qui sortent du lot sans faire des jeux incroyables, mais au moins remarquables pour leur direction artistique et/ou leurs idées. Imaginez si ces deux choses entraient en collision et nous proposaient une œuvre ? Bienvenue dans South of Midnight !
Caroline du Sud, Alabama, Géorgie, Mississippi, Louisiane… Des États américains du sud du pays qui sont le berceau à la fois de plusieurs belles et horribles choses. Du Jazz, comme de l’esclavage. Le Sud Profond, c’est une région à la culture importante pour les afro-américains et très peu remarquée dans les médias, comme toujours avec les minorités et, employons le mot, le racisme encore bien visible à notre époque. Le voir être utilisé comme cœur narratif et environnemental d’un jeu Action/Aventure en 2025 reste étonnant et South of Midnight ne s’arrête pas là dans son traitement des personnages et de l’univers qu’il représente.
Hazel Flood est une jeune femme vivant dans son mobile-home avec sa mère, Lacey, chargée des services sociaux. Alors qu’elles s’embrouillent pour des broutilles (le classico-classique des énervements entre enfants et parents), une tempête s’abat sur la région. Le Sud Profond c’est aussi ça : beaucoup d’intempéries et de tornade. Et c’est bien ce fléau qui va s’abattre sur cette petite famille, emportant la maison et la mère de Hazel avec elle. N’écoutant que son courage (et sa folie, motivée par sa tristesse et sa peur), notre héroïne va tenter de retrouver sa mère et c’est ainsi qu’elle découvrira un monde fait de magie, de spectacle, de tissage et de musique. South of Midnight, c’est toute la culture du Sud Profond en un gigantesque spectacle de 14 chapitres pour environ 8 heures de jeu.
Aux manettes d’Hazel, vous allez principalement explorer des lieux “linéaires mais trop”. On est loin d’un monde libre, mais les différents niveaux sont plus ou moins vastes ou en couloirs et possèdent chacun une ambiance visuelle unique. Vous y ferez vos premières pirouettes pour de la plateformes fluide : on saute, puis double-saute, puis on peut aussi virevolter en avant façon “dash” pour agrandir notre champ des possibles. Plus tard, il sera possible de courir sur certains murs ou de planer. Tout cela vous permettra d’atteindre des zones de scénario, mais aussi de combat, ou Hazel sortira ses outils de tisserand pour se battre. Nous en reparlerons… Mais en attendant, c’est aussi un jeu d’exploration ou vous découvrirez des documents expliquant encore davantage l’univers du jeu et ses personnages, ainsi que des zones de magie pour améliorer vos pouvoirs et quelques cristaux de vie augmentant votre barre de santé.
Je ne vais pas vous faire l’affront de vous spoiler l’histoire, mais par contre, vous ferez la connaissance de personnages hauts en couleurs. Le point fort de ce storytelling réside dans ses héros, alliés et ennemis, définis par leurs émotions et leur look. Certaines fois humanoïdes, ils seront parfois aussi plus animaux. Comme ce gros poisson vous servant de narrateur, préférant vous suivre et vous aider dans votre quête plutôt que de vous gober d’un coup, d’un seul. Ou cet étrange dirigeant de cabaret, magicien et manipulateur de bien des niveaux, qui situe sa balance morale bien plus au milieu que la moyenne.
Le jeu est empreint de cette culture du Sud Profond et de ses croyances, comme le Hoodoo et ses nombreuses traditions, à commencer par les “arbres de bouteilles” que vous voyez souvent aux États-Unis dans les jardins de certaines familles. Ceux-ci sont censés être des décorations aujourd’hui, mais ont traditionnellement comme but de faire fuir les mauvais esprits, voir de les emprisonner à l’intérieur. Cette tradition provient d’Afrique et a évidemment tristement été diffusée sur d’autres continents via l’esclavage. Quand on est un mec blanc comme moi, qui joue au jeu et n’en comprend pas le symbole du premier coup, je peux vous dire qu’aller se renseigner pour en savoir davantage vous donne un sentiment très spécial teinté de curiosité et de tristesse. C’est aussi ça, le but de la culture et des mediums comme le jeu vidéo : transmettre, expliquer, découvrir et comprendre. Mais dans ce cas précis, avec South of Midnight, on prend une certaine dose d’humilité à se renseigner sur l’imaginaire du jeu.
Visuellement, le look est saccadé pour donner la sensation d’évoluer dans un monde de stop-motion. La cinématique d’intro marque le coup : c’est techniquement souvent bluffant et on tient l’une des meilleures directions artistique de jeu vidéo de l’année. Les rencontres sont fabuleuses et toujours accompagnés de musiques entrainantes et de chants mémorables. Olivier Derivière, déjà compositeur d’Alone in the Dark, A Plague’s Tale, Of Orcs and Men et bien d’autres titres, signe ici une œuvre vraiment particulière et recherchée. On adore !
Mais à côté de cet univers, de ces inspirations, de ce visuel… On a surtout le droit à un jeu réellement bancal sur bien des aspects. Et ça, bah, c’est une habitude avec les développeurs de We Happy Few et Contrast.
Coté combat, on est quand même sur quelque chose d’assez décevant et hyper répétitif en boucle : les arènes se montrent vraiment comme telles, se suivent et se ressemblent, et vous devez frapper avec un bouton, laisser appuyer pour frapper plus fort à outrance sans trop de ressenti ni feedback, tout en enchainant les quelques pouvoirs que vous débloquerez au fil du jeu. Les combats sont clairement le point faible du jeu : si vous ne les aimez pas, coupez-court au supplice. Passez en mode “Histoire” et vous n’aurez aucune difficulté à les maitriser. Vous pourrez alors vous concentrer sur ce que fait de mieux le jeu : vous raconter quelque chose.
Mais même là, si l’univers et l’ambiance sont uniques et réellement incroyables à découvrir, on peut regretter des dialogues soit trop écrits façon livre de conte (ce qui est un parti pris, mais qui jure avec le reste) soit assez manichéen principalement lorsqu’il s’agit des émotions entre notre héroïne et les autres personnages. Tout au long du jeu, vous aurez une dizaine d’histoires tragiques racontées à l’aide d’esprits et/ou de Boss à affronter (les combats sont toujours nazes, sachez-le, et vous avez là aussi une option pour simplifier ces affrontements) : ces petites histoires dans la grande Histoire sont souvent mieux narrées. Mais aussi moins marquantes. Bancal… mais touchant.
(Je tiens à remercier Jennifer Lufau d’Afrogameuses qui m’a aidé à ne pas dire de bêtises. Si vous voulez suivre son avis sur le jeu, c’est par ici. Et evidemment, ajoutez Afrogameuses et Jennifer dans vos personnes à suivre impérativement !)
Sublime visuellement, important culturellement, South of Midnight est un jeu unique même s’il est pavé de défauts. Les combats sont inintéressants, la prise en main est parfois maladroite et ne répond pas parfaitement à nos attentes et le récit s’étend un peu trop sur la longueur. Mais derrière toutes ces maladresses se cache une œuvre d’une sincérité et d’une honnêteté telles qu’on l’en excuse. Comme un “Alice: Madness Returns” avant lui, auquel il ressemble fortement dans la forme, voilà un titre qui inspirera des futurs adultes et créera des vocations, en plus de nous informer toujours davantage sur ce que l’humanité a de plus passionnant à transmettre : sa culture.