
La force de la répétition
Après quatre années de travail, le développeur d’Édimbourg Kyle Banks sortait Farewell North en août 2024 sur PC, Mac, Switch et Xbox. Auréolé du titre de meilleur jeu narratif aux debug Indie Game Awards 2025 et de la meilleure bande-son par The Ivors, en plus des nombreuses nominations et autres sélections officielles auxquelles il a eu droit, il manquait la version Playstation à cette aventure narrative pleine d’émotions. Ceci a été réparé en décembre 2024. Il était donc temps pour nous, à cette occasion, d’accompagner Cailey et son chien Chesley au cœur des traditions et des îles écossaises.
Le scénario de Farewell North, au-delà de décrire le lien unique qui nous unit aux fidèles compagnons canidés qui partagent notre vie, est un vibrant hommage aux traditions et au folklore écossais qui s’éteint peu à peu. Comme Cailey, nombreux sont en effet ceux qui, attirés par les lumières de la ville et de la modernité, tournent le dos à cette vie simple, proche de la nature. Le titre s’inspire ainsi des Highlands écossais, notamment des archipels nordiques et isolés des Orcades et de Saint-Kilda. C’est là que Cailey a grandi, avec Chesley, avant de partir pour Édimbourg. Chien de berger par nature, celui-ci ne s’y est pas plu, et a toujours préféré les îles du Nord, comme la mère de Cailey, aujourd’hui décédée. Après de nombreuses années d’absence, celle-ci revient sur les lieux de son enfance pour un voyage commémoratif aux côtés de Ches. Il s’agit de faire ses adieux à cette terre et aux traditions qui l’habitent, mais aussi à sa mère, à tous ceux qu’elle a pu y côtoyer, et à un style de vie qui se perd.
Pour cela, Kyle Banks a choisi de nous plonger dans des images tout en blanc et en nuances de gris, un peu comme des diapositives, auxquelles il faut redonner les couleurs en se remémorant les bons moments du passé. À quelques exceptions près, nous incarnons Chesley, un border collie fougueux capable de faire revivre l’ancien temps. On se déplace bien entendu en courant, sauf dans la neige trop épaisse et les passages délicats où l’on peut marcher, mais on peut aussi sauter, nager, sprinter ou encore japper pour demander de l’aide à Cailey ou simplement attirer son attention. Nous disposons également d’un « pouvoir » particulier qui permet de faire apparaître très brièvement les couleurs autour de nous. C’est ainsi que l’on peut raviver des fleurs pour s’en saisir et restaurer ainsi l’environnement d’antan. Grâce à cela, on peut dégager des passages ou au contraire en créer. Certaines fleurs peuvent même diffuser leurs couleurs pour dégager le passage. Et une fois tous les souvenirs d’une île retrouvés, celle-ci retrouve entièrement sa coloration.
Que ce soit sur terre ou sur mer, à bord d’un canoë où, à moins d’opter pour les commandes simplifiées, l’on doit pagayer le plus en rythme possible pour être efficace tout en ravivant les couleurs, Farewell North fait la part belle à l’exploration et nous encourage à fouiller chaque recoin. En guise de récompenses, il propose divers collectibles : des bancs où se poser pour admirer le paysage, des notes de musique à récolter en mer pour reconstituer la chanson de maman, les phares des Orcades en ruine à reconstituer en retrouvant une lampe grâce à notre flair, et des feux-follets qui augmentent notre endurance et nous permettent de sprinter plus longtemps sans devoir s’arrêter pour reprendre (rapidement) notre souffle. Chacun est signalé par un petit bruit lorsque l’on s’en approche, mais certains sont tout de même bien cachés. De même, Cailey parle des paroles ou de l’air de la chanson de sa mère quand on se trouve dans le secteur d’une note. Cela aide à savoir qu’il y a quelque chose, mais encore faut-il le trouver.
Nous reviendrons à ce sujet sur les graphismes, certes simples mais séduisants. Entièrement faits à la main, et très colorés une fois les couleurs rétablies, ils offrent une ambiance réussie, mais le côté un peu anguleux de l’environnement n’aide pas toujours à bien se repérer, surtout en version diapositive. Faute de carte, dans les espaces un peu étendus, on a vite fait de se perdre si l’on s’écarte trop du chemin. De même, les animations sont plutôt bien faites, mais les sauts laissent clairement à désirer. Il n’est donc pas toujours évident de réussir convenablement ceux-ci et on peut facilement tomber. Rien de grave, car le jeu nous ramène alors là où nous étions avant la chute fatidique, mais c’est à noter. De même, l’eau du Nord est froide, et on ne peut pas y rester très longtemps, ce qui empêche donc de s’aventurer trop loin ou de choisir l’univers aqueux comme chemin alternatif. Afin de nous plonger encore plus dans l’ambiance gaélique, l’aventure est accompagnée de musiques traditionnelles douces et mélancoliques auxquelles Siobhan Miller, célèbre chanteuse folk écossaise quatre fois lauréate du titre de meilleur chanteur aux Scot Trad Music Awards, prête sa voix.
À côté de l’exploration et de la chasse aux collectibles, Farewell North offre un gameplay varié. Il est essentiellement axé autour des activités propres à un chien de berger, comme encadrer un troupeau de moutons pour le ramener dans son enclos, voire, plus compliqué, des poules, mais aussi des vaches et des canards. Il peut également s’agir de chasser les idées noires de Cailey, de s’attaquer à des munros (sommets), ou encore de parvenir, à travers ce qui s’apparente à un jeu d’infiltration, à se faufiler à travers les effrayants inconnus, tout en échappant aux dangereuses voitures, lors d’une séquence particulièrement réussie où l’on se remémore le désagréable passage de Chesley à Édimbourg. Mais c’est le plus souvent un puzzle game dont le but est de trouver comment passer, que ce soit en restaurant les éléments brisés en trouvant le bon point de vue, ou en utilisant des arbres « miroirs du passé » pour faire apparaître ou disparaître certains éléments du décor, ou encore en se servant de lapins pour faire fondre la neige ou dégeler certains accès… On peut également citer un bélier agressif à repousser, des baleines à sauver des filets dans lesquels elles se sont prises… Il y a même un jeu hommage sur tablette, très simpliste et à la maniabilité très hasardeuse, que l’on peut faire.
Farewell North reste toutefois avant tout une aventure narrative, un voyage introspectif où il s’agit de se remémorer ce qui fut et ne sera plus, de tous ces bons moments passés avec maman et avec Ches. Uniquement disponible en anglais, le jeu dispose d’ailleurs de sous-titres en français, mais propose d’y adjoindre des sous-titres en gaélique afin d’aller au bout de l’ode aux traditions. Cette plongée dans le passé met en lumière le déracinement et la disparition du folklore qui appartient désormais à une époque révolue. C’est nostalgique et émouvant. Faire ses adieux aux gens et aux choses n’est jamais facile. Cette histoire se conclut de surcroît sur un final particulièrement touchant au cours duquel je n’ai pu retenir mes larmes, d’autant plus que je ne m’y étais pas vraiment préparé. Nous terminerons en précisant qu’une fois le jeu bouclé, soit au bout de 7 à 8 heures si vous ne vous contentez pas de suivre la trame principale, mais explorez les différents skerries (îles) et récupérez les collectibles, il sera possible de poursuivre votre exploration dans l’archipel et retourner chercher ce que vous avez raté. Encore une fois, l’absence de carte ou de voyage rapide, juste une boussole, n’aide toutefois pas ici à savoir exactement où aller. Heureusement, il y a au moins ces colonnes de lumière qui signalent les skerries inachevés.
Empli de sentiments et de tendresse, Farewell North est un vibrant hommage aux traditions gaéliques. C’est une lettre d’amour à l’Écosse rurale, mais aussi à nos fidèles amis à quatre pattes. Aventure narrative agrémentée d’énigmes à résoudre, il offre un gameplay assez varié et comporte des passages particulièrement réussis. Les graphismes sont séduisants, mais leur simplicité n’aide pas toujours à bien se repérer et l’absence de carte ne vient pas nous aider. L’ambiance est toutefois bien là. Et si l’on rajoute à cela une bande-son efficace avec la participation de Siobhan Miller, on peut dire que Kyle Banks atteint clairement son objectif émotionnel.