Noël 2020

La Liste de Gattu

La littérature fantastique a depuis longtemps pris l’habitude de nous abreuver de récits épiques, dans lesquels s’empoignent chevaliers rutilants dans leur armure d’argent et sorciers aux sortilèges dévastateurs. Mais pour son premier roman sobrement intitulé Un long voyage, Claire Duvivier fait le pari audacieux de s’écarter des codes traditionnels du genre.

Ici, pas de grand méchant à abattre ni de conquête assoiffée de pouvoir. Le protagoniste de l’autrice, Liesse, n’est autre qu’un secrétaire d’ambassade qui témoigne de la chute de l’empire colonial qui l’a adopté. Marqué d’un tabou depuis son plus jeune âge, car acheté par un comptoir impérial malgré la proscription de l’esclavage, Liesse réussit à se faire une place dans les rangs de l’Empire en devenant le protégé d’une surdouée politique, et véritable héroïne du livre, Malvine Zelina de Félarasie. Ensemble, ils essaient de ralentir l’inévitable schisme entre l’Empire et ses colonies avant d’en accepter la fatalité ; ensemble, ils réfléchissent à la société de demain.

C’est avec une profonde humanité qu’Un long voyage aborde les questions si sensibles inhérentes au colonialisme, en mettant en avant des M et Mme tout le monde percutés par les remous féroces de l’Histoire. Grâce à une écriture ciselée ainsi qu’une subtile touche de fantaisie, l’œuvre de Claire Duvivier pourrait même séduire les allergiques à la littérature merveilleuse.

Intrépide, joyeuse et courageuse, Tove est une enfant comme on en trouve tant d’autres, à un ou deux événements dramatiques près. Il y a tout d’abord sa mère, décédée dans un accident quelques années auparavant. Puis son père, qui fait face à cette perte en s’abreuvant de boissons alcoolisées anesthésiant l’esprit. Et enfin Lars, son petit frère, qui une nuit se fait enlever par un monstre gigantesque du nom de Roki. Alors, ni une ni deux, la jeune fille s’élance à son secours et découvre un monde soudainement travesti par les mythes et légendes scandinaves.

Le titre de Polygon Treehouse prend dès lors des allures de voyage initiatique, au cours duquel on regarde Tove grandir au contact de créatures méconnues, qui l’aideront à retraverser des événements douloureux du passé. En dépit d’une structure point&click très classique, Roki parvient à nous entraîner dans son univers enchanteur grâce à une écriture remarquable de justesse et une direction artistique propice à l’onirisme. Un superbe conte interactif qui mérite que l’on s’y attarde.

Pourtant adaptation géniale du film oscarisé des frères Coen, c’est avec une grande discrétion que revient la série Fargo sur nos écrans de télévision. Pour cette nouvelle saison, le réalisateur Noah Hawley change les règles du jeu. Exit l’image du flic vertueux entouré d’idiots : ici, le représentant de la loi est une pourriture comme les autres. 

Comme pour faire écho aux violences interethniques qui secouent actuellement les États-Unis, Noah Hawley décide de revisiter les origines du mal en posant sa caméra en plein cœur d’une Amérique ségrégationniste, plus précisément dans la ville de Kansas City. Deux gangsters s’en disputent le contrôle : Josto Fadda (Jason Schwartzman), un Italien maladroit et impulsif dont le costume de capo est un peu trop grand pour ses frêles épaules ; et Loy Cannon (Chris Rock), un Afro-américain dont l’ambition n’a d’égale que son élégance.

Si les deux acteurs principaux se montrent convaincants chacun dans leur rôle, ce sont bien deux personnages secondaires qui crèvent l’écran : Timothy Olyphant, hilarant de désinvolture dans les bottes d’un marshall mormon ; et Jessie Buckley, qui incarne une infirmière psychopathe aussi grotesque qu’effrayante. Par ailleurs, on retrouve dans cette saison 4 tous les ingrédients qui font le charme de la série : l’humour noir décapant ; une bande originale hypnotisante signée Jeff Russo ; et cette photographie à l’esthétique toujours fabuleuse.

Documentariste bien connu depuis son coup de projecteur sur le monde homosexuel de l’entre-deux-guerres avec son film Les Invisibles, Sébastien Lifshitz explore cette fois-ci les affres de l’adolescence. Adolescentes suit durant cinq années les joies éphémères et tourments juvéniles de deux jeunes amies, Emma et Anaïs.

La première, élève studieuse, passionnée de théâtre et issue d’un milieu bourgeois, lutte face à une mère obtuse et autoritaire qui s’oppose à tous ses choix. La deuxième, au contraire, impulsive et en échec scolaire, doit composer avec des parents désœuvrés suivis de près par les services sociaux. Sébastien Lifshitz pose un regard bienveillant sur ces deux chemins vers l’âge adulte, parsemés de tranches de vie pétillantes, querelles fondatrices et blessures collectives suintantes. Car Adolescentes n’hésite pas à mettre le pied là où ça fait mal, en nous replongeant dans des drames passés que l’on préférerait parfois oublier : la fusillade dans les locaux de Charlie Hebdo et, bien évidemment, le massacre du Bataclan.

On y découvre alors des jeunes à l’intégrité psychique scarifiée, dont la colère, l’incompréhension et la tristesse face à l’horreur éclairent la souffrance encore si mal élaborée des adultes. De par sa dimension humaine touchante et sa façon de mettre en valeur tous ses protagonistes, Adolescentes apparaît, selon moi, comme le documentaire de l’année.

Attention, que ceux qui n’auraient pas encore lu l’avant-dernier tome de la fameuse saga autobiographique de Riad Sattouf détournent les yeux, pour ne pas se divulgâcher un certain élément central de l’intrigue.

Dans ce cinquième volet de l’Arabe du futur, on retrouve l’adolescent Riad là où on l’a laissé, c’est-à-dire englué dans un drame qui a vu le pater familias enlever son plus jeune frère, avant de s’enfuir en Syrie. Une famille hantée par le fantôme du père, une mère qui plonge dans une inévitable dépression, des grands-parents volontaires, mais impuissants : c’est dans cette atmosphère mortifère que Riad se confronte aux questions fondamentales qui émaillent l’adolescence, entre ce corps qui n’évolue pas comme il le souhaiterait, et ces belles filles qui semblent toujours l’ignorer.

Heureusement, le jeune garçon trouve deux bouées de sauvetage pour échapper à son morne quotidien : Anick « l’amour de [sa] vie » qui se lie d’amitié avec lui ; ainsi que son évidente passion pour le dessin. Riad Sattouf, ta touffe, ma touffe, nous livre, encore une fois, un roman graphique qui dissèque avec habileté et humour les travers adultes, pour une saga d’ores et déjà culte.

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Gattu

Joueur biberonné à quelques vieilleries telles que Secret Of Mana, Half Life ou Day of the Tentacle ; aujourd'hui reconverti sur les jeux narratifs, principalement par manque de temps et... de temps.