Critique

Lost Judgment

Vasquaal
Publié le 4 décembre 2021

Développeur

Ryū ga Gotoku

Éditeur

Sega

Date de Sortie

21 septembre 2021

Prix de lancement

60 €

Testé sur

PlayStation 4

Le studio Ryū ga Gotoku a pris l’habitude de nous raconter des histoires passionnantes, prenant souvent place au sein du quartier (fictif) de Kamurocho. Lost Judgment, suite de Judgment aussi connue sous le nom de Judge Eyes au Japon, n’en est en aucun cas étranger. Au-delà de quelques imperfections de-ci, de-là, il s’agit d’un bon jeu, échouant simplement à être plus créatif et imaginatif, surtout après un Yakuza: Like A Dragon réinventant la bonne vieille formule des Yakuza. Les évolutions dans les productions de ce studio sont souvent incrémentales avec chaque nouveau jeu et Lost Judgment n’échappe pas à cette règle. Des explications ne seront pas de trop.

Une justice questionnée

Son intrigue s’essaie cette fois-ci à une approche plus mature et sombre, réaliste même, plus encore qu’elle ne put l’être dans le premier volet. Elle touche à de nombreux sujets sensibles tels la question du suicide chez les jeunes, le harcèlement scolaire, la corruption des institutions et tente de porter une réflexion sur l’idée même de ce que serait la justice. Le mot justice reste cependant celui à retenir, tant et si bien Lost Judgment semble vouloir en faire le porte-étendard de sa ligne narrative, engouffrant et écrasant les autres thématiques en les rendant presque secondaires. Son héros, Yagami, en deviendra le représentant. Il sera le médiateur d’une idée de la justice forcément encore pure en tant qu’ancien avocat idéaliste qu’il est, devenu depuis le détective privé des petites gens et des victimes, même s’il lui est arrivé de flirter avec le monde de la nuit et ses acolytes aux mœurs plus flexibles. Sa nouvelle affaire l’emmènera de son bon vieux quartier de Kamurocho aux confins du district d’Isezaki Ijincho, fictif, librement inspiré d’un quartier de la ville de Yokohama.

Rien de neuf ici, Ijincho comme Kamurocho étant bien connus des fans du studio. Il est par ailleurs déconcertant que ce nouveau district ne s’avère pas aussi passionnant à explorer avec ses immenses artères qui ont tendance à rallonger les distances de façon assez peu nécessaire. Si l’univers de la rue est important pour une série comme celle des Yakuza, il semble plus superficiel à ce qui est censé être un jeu de détective avant tout. Heureusement assez vite, Yagami se verra offrir un skateboard pour mieux se déplacer dans la ville, non sans difficulté, l’engin étant un peu rigide dans sa maniabilité. Le point d’orgue du quartier de Isezaki Ijincho reste donc son lycée privé, premier lieu de visite de Yagami à son arrivée et lieu de première importance aussi bien pour son enquête que l’aspect sociabilisation de ce jeu. Kamurocho par contre faillit à nous offrir la moindre raison de l’explorer plus que de raison, n’offrant qu’assez peu d’évolution depuis les anciennes productions du studio.

Néanmoins, le sentiment de familiarité que l’on ressent à retrouver ces lieux communs et les personnages les habitant, fonctionne toujours. Il est simplement dommage que Lost Judgment joue un peu trop la sécurité pour le coup. Ses mécaniques de jeu semblent d’ailleurs souffrir des mêmes symptômes. Les vieux de la veille ne se verront pas perdus au milieu d’une recette qui fonctionne. Le premier Judgment était par ailleurs une tentative de rafraîchir la formule des Yakuza en y apportant des idées inspirées du jeu d’aventure, en combinant de l’infiltration, des phases d’escalade, de l’espionnage avec l’aide d’un drone et toute une panoplie d’éléments renvoyant au travail de détective comme la résolution d’énigmes, la recherche d’indices, et, bien évidemment l’interrogatoire des suspects comme des témoins. La liste semble complète et fonctionnelle.

Une Justice réchauffée

Seulement voilà, le jeu faillit en partie à ne pas se renouveler au-delà du superficiel. Globalement, rien n’a vraiment changé si ce n’est quelques nouvelles additions attendues. Le problème ici tient principalement à ce que certaines de ses activités semblent vouloir nous faire perdre notre temps. L’idée est radicale, mais au bout du compte, il est vrai qu’elles ne parviennent pas à nous proposer une réelle difficulté à surmonter pour mieux exciter nos méninges. L’un de ses ajouts prend la forme – certes mignonne – d’un chien capable de retrouver des gens à l’aide de sa truffe. Cependant, son usage revient uniquement à la suivre dans la direction où son odorat nous trainera, sans plus. En fin de compte, que cela soit avec ce chien ou n’importe lequel des gadgets de la panoplie du parfait détective de Yagami, il n’y a pas vraiment de risques à courir, puisque se tromper n’est pas vraiment dans le vocabulaire de Lost Judgment. Ces tâches deviennent alors fastidieuses à cause de leur aspect répétitif, ne récompensant pas ainsi les joueurs pour leur temps investi.

A minima, la baston reste fidèle à elle-même, notamment avec l’arrivée d’un troisième style de combat. Auparavant, nous n’avions que le style du tigre, plus agressif et adapté au « un contre un ». Le style de la grue, plus expansif, permettait de se défaire de plusieurs voyous à la fois. Le nouveau style du serpent permet pour sa part de contrer comme de désarmer nos ennemis. C’est un style de combat en fin de compte plus défensif, en étant plus dans la réaction que dans l’action.

Prenant toujours ses influences dans le kung-fu, le mode de combat reste la valeur sûre, au moins pour ses aficionados, en offrant toujours des animations réussies et des mouvements soignés dans leur exécution. Les combats sont ainsi toujours plaisants à jouer, et cela même si vous n’êtes pas trop doué, la présence de différents modes de difficultés aidant. Il est même possible de choisir un mode histoire qui n’enlèvera en rien la baston du jeu, mais la rendra au combien plus accessible pour qui voudra se concentrer sur l’histoire du jeu plutôt que son action prédominante, en vous assistant copieusement.

Critiques mises à part, Lost Judgment conserve la nature généreuse de ses prédécesseurs en nous étouffant de contenu pour presque nous occuper jusqu’à la fin des temps. Ainsi, on notera l’éternelle présence de mini-jeux et autres activités comme les bornes d’arcade, forcément estampillées Sega, tout comme le jeu des fléchettes ou encore aller taper dans quelques balles de baseball. Yagami est aussi l’heureux détenteur d’une Master System qui vous permettra de (re)découvrir dans leur glorieuse émulation des titres mémorables comme Alex Kidd ou Fantasy Zone, jeux trouvables un peu partout. Comme à l’accoutumée, Sega se montre bon prince laissant ses équipes insuffler un peu de la vie réelle dans leurs jeux, une des qualités connues et reconnues des jeux du studio Ryu Ga Gotoku.

Une Justice en perdition

Vous retrouverez également de nombreuses histoires secondaires à résoudre qui ne seront pas toujours trouvables aléatoirement au détour d’une rue, mais plus souvent liées à une enquête qui s’imposera d’elle-même à Yagami par divers moyens, notamment par l’utilisation d’un réseau social sur son mobile. Comme à leur habitude, elles offriront un regard parfois tendre, parfois mélancolique, parfois drôle ou carrément farfelu sur les affres qui motivent la société japonaise. Certaines des histoires secondaires les plus passionnantes prendront la forme de problèmes à résoudre au sein dudit lycée dans lequel Yagami œuvrera, étant devenu consultant malgré lui d’un club de détectives, au cours de son enquête prenant place dans la trame narrative principale. Grâce à son rôle de conseiller scolaire, Yagami entretiendra une certaine réputation avec les élèves du lycée, lui permettant ainsi de gagner leur confiance, et par la même occasion, de résoudre les affaires leur étant liées. Ces histoires au sein du lycée sont certainement un des points forts de Lost Judgment, nous permettant par la même occasion, de nous détacher de la trame principale.

Cette dernière ne manque pour autant pas d’intérêt, mais peut se perdre à terme en n’ayant pas de direction claire et nette. Elle essaie trop souvent de toucher à une multitude de sujets allant comme dit précédemment de la question du harcèlement scolaire à celle plus vaste du fonctionnement de la justice. Comme on pourra s’en apercevoir assez vite, Yagami verra ses principes et ses idées sur la justice bousculés jusque dans leurs limites. Des limites qui seront également explorées en ce qui concerne celles d’un système judiciaire japonais et ses défaillances, dans lesquelles les victimes sont trop souvent laissées pour compte et oubliées. Lost Judgment est aussi une histoire portant sur l’idée de se faire justice quand celle-ci ne vous a pas été rendue. Yagami se posera alors comme un opposant nécessaire à l’équilibre de cette intrigue, en se mettant face à face à des victimes devenues bourreaux.

Il faut comprendre qu’il s’agit-là d’un sujet ambitieux et compliqué à aborder. Ce que combat Yagami ne sont pas que des victimes blessées dans leur âme, mais aussi plus simplement leur idée de la justice, celle dont les conséquences porteront grave préjudice à d’autres innocents. Il est alors tout de même difficile de ne pas ressentir ne serait-ce qu’un minimum de compassion pour certains des méchants de cette histoire, en dehors d’un mauvais gars qui tiendra le rôle du vilain presque caricatural, mais charismatique. Ce dernier appartient plus en effet à la série des Yakuza qu’à celle des Judgment qui de par son premier épisode, avait montré vouloir se départir du style volontairement exagéré des aventures d’un certain Kiryu. Au bout du compte, flamboyance de certains moments mis à part, Lost Judgment nous raconte des blessures émotionnelles et psychologiques, et le besoin de les guérir, plutôt que de les punir.

Ainsi malgré son manque de renouveau, il s’agit d’un jeu honnête au contenu généreux, accompagné d’une intrigue principale relativement solide la majeure partie du temps, pouvant se perdre parfois dans des longueurs pas forcément toujours nécessaires. Surtout sur la fin quand les derniers verrous du mystère sautent, laissant une histoire qui a alors tendance à traîner jusqu’à sa conclusion. On se serait notamment passé de l’intégration d’une ligne narrative où vont venir se mêler politique et manipulation gouvernementale, plutôt que de préférer de se concentrer uniquement sur celle de simples gens et de leur souffrance.

Lost Judgment devrait fournir suffisamment de divertissement à tous les fans de la franchise et de la formule des Yakuza. Cependant, si elle devait revenir un jour avec un troisième opus, il faudra songer à revoir en profondeur ses fondations en se concentrant réellement sur le travail de détective, et en retirant notamment tous les éléments de la série des Yakuza, pour en faire un pur jeu à suspens et à mystères. Se reposer sur les acquis de la série des Yakuza ne pourra pas durer éternellement.

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