Critique

Sonic Origins Plus

Gramul Zlou
Publié le 16 septembre 2023

Développeur

Sonic Team

Éditeur

Sega

Date de Sortie

23 juin 2023

Prix de lancement

40 €

Testé sur

Nintendo Switch

C’est un Sonic du passé qui nous revient à nouveau, pour une mise à jour fournie de sa récente compilation fleurant bon les classiques d’antan. Ou peut-être, pas tout à fait?

Les bases

Avant de nous (ré-)embarquer dans cette aventure historique, définissons pour nos lecteurs les plus distants de quoi il en retourne.

Sonic The Hedgehog, titre phare de la Mega Drive de Sega dans les années 90, a toujours été catégorisé comme un jeu de plateformes mais sa venue au monde aura su proposer une vision nouvelle du genre à un très grand public.

S’éloignant volontairement de règles un peu plus rigides instaurées notamment dans les Mario de Nintendo, Sonic amène tout d’abord une philosophie de la nouvelle chance presque continuelle par son système de points / énergie que sont les anneaux.

Tout au long des parcours, que l’on peut choisir de traverser le plus vite possible ou au contraire d’explorer, on trouve en effet ces petits objets scintillants qui vont d’emblée nous protéger, en plus de nous permettre ultérieurement l’accès à des épreuves bonus au terme desquelles on pourra obtenir les fameuses Émeraudes du Chaos, d’abord garantes de la ‘vraie’ fin ultime du jeu, puis dans ses successeurs de nouveaux pouvoirs.

Car du moment qu’un anneau reste en poche, tout est possible ou presque : être touché par un ennemi, tomber dans la lave… on déclenche un petit temps de rétablissement / invincibilité pour récupérer son dû ou se mettre à l’abri, mais ce sans fatalité ; les seules exceptions à cet état de fait, et on y reviendra, étant les trous sans fond ainsi que les pièges écrasants destinés à compresser le personnage.

Les terrains de Sonic profitent aussi d’un relief qui se marie à merveille avec la capacité phare du petit hérisson bleu : se rouler en boule.

Ainsi, à condition d’une vitesse suffisante, une simple pression sur la direction ‘bas’ nous amènera à devenir un projectile redoutable, petite bille bleutée de fureur chatoyante pouvant s’élancer davantage tout en brisant nombre d’adversaires, et parfois quelques murs avec sur les pentes et descentes un effet toboggan des plus grisants.

Plus qu’un jeu « où l’on va vite », Sonic est fondamentalement un jeu de l’alternative, où l’on finit par intervertir les approches à la volée au prix d’une mémorisation de ses parcours comme de ses subtilités de scores (passer un niveau sous un temps imparti, ET/OU récupérer tel nombre d’anneaux, ET/OU s’assurer de finir à plus de 10 000 points pour un continue).

Car la rejouabilité est au cœur des Sonic.

Si une fois connus et correctement maîtrisés, ces jeux durent le temps d’un album, pouvoir préparer sa route idéale à base de rebonds, de promenades et d’acrobaties épiques nous démarquera en expérience d’homologues prétendus, dans lesquels en fin de compte, le simple fait de sauter sur des blocs constitue certes une mécanique commune mais pas contextualisée de la même manière.

Dans cet esprit, le modeste auteur de ces quelques lignes rendra grâce pour toujours à Sonic The Hedgehog 2, qui a opéré une brillante refonte de la promesse initiale, avec un jeu qui garde quelques petits défauts mais surtout montre intuitivement de façon récurrente où il est possible d’aller en apprenant à dompter cet univers à part, des plus accessibles au demeurant.

Après Sonic 2, de nouvelles très bonnes idées, un level design irrégulier mais parfois généreux, et puis le basculement dans un autre monde qui ne sera pas le sujet ici, celui de la 3D (si l’on omet les opus parus sur machines portables notamment les Sonic Advance).

Bref une saga éminemment sympathique aux débuts, par la suite incomprise à cause de son marketing, mais qui passe l’épreuve du temps et s’avère indémodable dans ses atouts.

Plein les mirettes

Pour qui n’aurait pas suivi les innombrables ressorties des premiers jeux majeurs Sonic, le premier attrait frappant de Sonic Origins Plus sera la possibilité de jouer à ces classiques en format 16:9, particulièrement confortable dans nos habitudes modernes.

Si ce changement de rapport largeur – hauteur, comparé au 4:3 plus compact d’autrefois, va amener forcément quelques modifications quant à la tactique à adopter face à certains boss, il est pourtant en général plus que bienvenu tant il arrive à mettre encore plus en valeur tout le charme de la série, avec des adéquations décor / musique très souvent inspirées, une lisibilité indispensable aux actions attendues et par la conjonction de ces facteurs, cette sensation d’aventure si particulière à l’univers de la série.

On retrouve donc principalement Sonic The Hedgehog, Sonic The Hedgehog 2, Sonic 3 & Knuckles ainsi que Sonic CD, ce dans une présentation spécifique faisant fi du système de vies au cœur des versions originales, pour remplacer les essais auparavant limités par des pièces à ramasser afin de débloquer quelques bonus présents dans des galeries dédiées… illustrations, musiques, vidéos.

Dans cette remise au goût du jour, on retrouve aussi jouables dans tous les épisodes Sonic, Tails, Knuckles et Amy avec toute l’étendue de leurs capacités.

Ainsi, il devient possible de parcourir Sonic 1 à moults coups des départs canon que l’on appelle « spin dash« , des atterrissages boostés « drop dash » apparus avec Sonic Mania et ainsi de suite.

Knuckles permet pour cette occasion de ré-évaluer en profondeur toute l’architecture des niveaux de Sonic CD, si complexes dans leurs 4 variations passé / présent / bon futur / mauvais futur.

Sonic peut s’accrocher à Tails et s’envoler dans Sonic 2, ce qui n’était pas permis dans le jeu à l’époque de sa sortie.

Bref nombre de fonctionnalités confortables, qui seront appréciées par celles et ceux qui connaissaient déjà ces jeux de fond en comble.

Ça commence donc très bien, et puis, et puis… on commence à remarquer des choses étranges. On s’interroge vite fait. Ensuite on devine que cette production n’est pas allée au bout de son propre projet, quand bien même nous restons très proches des matériaux originels, dont la conservation et le partage dans les meilleures conditions possibles s’avèreront toujours indispensables.

C’est bien là que le bât blesse. Car en lieu et place d’une émulation de qualité des jeux d’origine, ré-adaptée à un format actuel, c’est bien à une reconstruction pure, dans un autre moteur que nous avons affaire, et non aux dits jeux originaux pour ce qui concerne les épisodes parus sur Mega Drive. Ce qui ne va pas nous être proposé sans une bonne poignée de problèmes manifestes.

"AH!" ©

Il serait trop facile de dire « cela ne choquera que les puristes ».

S’il y a un système de jeu qui n’est pas censé souffrir d’approximations, c’est bien celui de Sonic et ce pour une raison bien plus précieuse que le fameux faux-impératif du « toujours très vite ».

Les jeux Sonic 2D, lorsqu’ils sont expérimentés à leur sommet, sont des laboratoires d’acrobaties savamment dosées, permises par un placement étudié de monstres et d’objets, pensés dans un ensemble de règles de comportement et d’interactions du personnage avec les décors qui créent une alchimie précieuse.

Ici, avec un nouveau moteur certes bien fluide, mais légèrement plus rapide, les liaisons de segments ne se font plus toujours comme il fallait.

Ainsi, le vétéran standard d’un Sonic pourra se retrouver, au comble de l’étonnement le plus chafouin, à périr compressé lorsqu’arrivé trop violemment contre deux objets sa collision autrefois acceptable signifiera désormais « LA MUERTA » (la mort, en espagnol).

Imaginez une vie d’abnégation marginale chômage / café / clopes / granolas / podcasts France Culture, à maîtriser un jeu qui soudain coup, du jour au lendemain – façon de parler – ne vous reconnait plus et vous dit STOP, parle à ma main. Vu qu’il va trop vite.

C’est hélas une réalité fréquente de ce Sonic Origins Plus, avec en outre des surfaces hasardeuses d’impacts définies sur les personnages et qui créent des chocs occasionnels incompréhensibles, comme redisons-le des écrasements de la frustration la plus intense, ce qui on en conviendra n’est pas du tout censé être l’identité de jeux Sonic en 2D.

Au demeurant, il faut le reconnaître : les titres dans leur premier jus n’étaient pas exempts des défauts ci-dessus évoqués, mais justement alors, pourquoi en avoir rajouté ?

La réponse est assez simple, et suggérée depuis un an par différentes personnes à l’œuvre dans la production de Sonic Origins Plus : un calendrier  de publication serré, induisant du crunch notamment pour la réhabilitation de Sonic 3 (ressorti pour la première fois depuis 2011), sans négociation possible.

 

"POURQUOI ÊTRE AUSSI CORROMPUS ?!?!?" ®

Ce n’est pas tant que Sonic Origins Plus a en soi ajouté des bugs qui n’existaient pas dans les premières versions de ses jeux, même si concrètement l’impression reste valable.

C’est surtout que Sonic Origins Plus a été expédié avec négligence dans sa fabrication et sa sortie, capitalisant sur la popularité de sa figure de proue, sans doute, pour faire de l’argent à moindre frais quand pourtant nous étions plutôt partis sur une très bonne lancée (malgré l’absence de trois thèmes musicaux dans Sonic 3, dû à des conflits de droits d’auteurs avec les gestionnaires du patrimoine de Michael Jackson).

Le pire, très clairement, étant de savoir que certains fans très confirmés se sont impliqués dans ces portages, comme pour Sonic Mania à son époque, et qu’ils sont parfaitement conscients des dysfonctionnements en cause, leur nom y étant hélas maintenant attaché dans le principe pour le public moins informé.

Avec le temps et les conditions nécessaires, ces mêmes personnes auraient livré une compilation sans tache pour la substance des jeux en eux-mêmes.

Si aujourd’hui on peut déplorer la non-reprise systématique de TOUS les bonus parus dans les itérations antérieures de ces jeux sur d’autres plateformes (interviews des développeurs, autres dessins), là où l’affaire s’avère un petit peu trop sulfureuse c’est quand on constate l’absence d’un système de plusieurs sauvegardes d’état possibles, d’options de rembobinage en pleine partie qui existaient dans l’antique collection à la carte Sega Mega Drive & Genesis Classics par exemple.

Dans cette nouvelle étape de présentation des jeux Sonic, nous perdons ainsi beaucoup, y compris l’accès aux titres originaux réels puisqu’à ce jour l’éditeur a décidé de les retirer individuellement de la vente pour faire la place à Sonic Origins Plus.

"MOI POUR GAGNER 40€ ?!?!!!!?!?" ™

Bien cachés par des cheat codes dans Sonic Origins Plus, on trouve des choses fort intéressantes qui auraient tant gagné à être accessibles d’emblée, comme sur des portages antérieurs avec un mode Super Sonic immédiat, toutes les émeraudes débloquées, mais plus original ici, l’utilisation des boucliers de Sonic 3 dans les volets précédents. Voilà qui aurait redoré le blason de cet affront « léger ». L’effort de valoriser ces idées n’aura pas eu lieu non plus cependant.

Alors, que nous reste-t-il ?

Des jeux globalement jouables, c’est une certitude, n’exagérons rien, mais qui ajoutent des provocations inutiles et à contre-sens de la vocation du game design des jeux présentés alors que cette compilation aurait dû nous les proposer du mieux possible.

De nouvelles perspectives, avec les actions complètes de chaque personnage pour tous les jeux.

Une accessibilité d’ensemble sur les plateformes modernes, sauf qu’il ne s’agit plus tout à fait des jeux originaux (même dans le mode classique avec système de vies et format 4:3).

C’est bien regrettable, surtout à tel prix même si on ne doute pas que du travail a été effectué derrière, et que tout travail mérite salaire. Il se trouve juste que quelque part dans le mystérieux monde du management, à un moment donné, une décision a été prise : celle de ne pas se donner les moyens d’aller au bout de la chose, pour un produit complet de qualité irréprochable.

Le prix n’est pas la question, en fin de compte c’est l’état, non résolu plus d’un an plus tard, de l’objet qui rend perplexe.

Finalement, la transposition la plus directe d’expériences originales, nous l’obtiendrons dans la présence de 12 jeux parus sur Game Gear, console portable historiquement concurrente à la Game Boy, et dans lesquels nous trouverons notamment les très bons Sonic 1 et 2 version 8 bits, les plaisants petits jeux de course Sonic Drift 1 et 2, Puyo Puyo version Dr Robotnik Mean Bean Machine 8 bits, ainsi que Sonic Spinball 8 bits et d’autres. Il y a certes de quoi piocher, mais rare sera le public intéressé en tout premier lieu par cet aspect de l’offre évoquée, mieux valait donc nous focaliser sur ces morceaux de bravoure qu’étaient d’abord les épisodes Mega Drive.

 

LA PA$$ION *

Sonic est indéniablement une série qui tout du long de son histoire aura été malmenée, mal aimée, mal comprise tant par ses créateurs successifs que par ses fans, ou les curieux la regardant de loin.

Pourtant dans son essence, nous avons une vision merveilleuse et précieuse du jeu vidéo, quelque chose de fun, de créatif, de dynamique.

Retourner à certains segments des classiques de Sega nous montre à l’occasion comment le talent inspiré pouvait nous faire voir ailleurs, autrement, de belle manière.

La relève de ce souffle a-t-elle été prise depuis, y compris dans la gestion de Sonic Origins Plus ? Pas tellement.

En parallèle de cette ressortie, la communauté des fans de Sonic ne s’essouffle en aucun cas, œuvrant toujours plus dans des hommages, des créations amateur (comme le superbe Triple Trouble 16 bits version de Noah Copeland), des roms hacks, des fans game…

Parce qu’au fond, le potentiel de cette déjà si ancienne formule qu’est celle des Sonic période Mega Drive n’a encore été qu’effleuré, que nombre de personnes l’ont bien compris, et que chacune et chacun à sa façon, on va poursuivre cette tentative d’accomplissement de la promesse encore bien longtemps. Intemporel, magique, malgré ses défauts. C’est ce qu’il faut retenir de Sonic à ses débuts en général.

C’est ce qui on l’espère, dans le futur, guidera les intentions et le soin mis dans chaque nouvelle parution, purement neuve ou réhabilitée d’un titre de la série comme il se doit enfin.

Perle occasionnelle du game design japonais des années 90, Sonic 2 et ses épisodes alentours méritaient mieux qu’une retranscription pas tout à fait perfectionnée : pour de belles nouveautés (dont certaines bien cachées, incompréhension), des bugs frustrants qui auraient dû être évités à tout prix… et dans lesquels nous percutons parfois désormais.

Si vous n’avez aucun jeu de la série, de gré ou de force Sonic Origins Plus est devenu le seul moyen légal, et en un sens le plus confortable, d’accéder aux épisodes fondateurs dans leurs ambitions originelles, et leur mise en œuvre parfois discutable tant autrefois qu’aujourd’hui.

Mais il y reste des morceaux de très grand jeu vidéo retro, toujours actuel dans cette proposition. Espérons fort que la prochaine sortie soit immaculée; le rêve perpétuel, décidément un lot commun parfois devenu fardeau pour les amateurs du petit hérisson bleu.

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