Reportage

Un soir à l'Opéra National de Bordeaux.

Alors que Bordeaux célèbre l’industrie du jeu vidéo sur les moquettes de l’Opéra National – voir l’article sur le salon professionnel Horizon(s) sur votre site préféré – , deux concerts symphoniques ont été programmés dans le Grand Auditorium de l’opéra, pour le grand public. Retour sur la soirée du jeudi.

Bon. Jeu vidéo et orchestre symphonique. On connaît la recette. Un peu de nostalgie, un peu de légitimation culturelle par le lieu et le lien avec la musique classique, on mélange le tout et on obtient un bon nombre de concerts du genre depuis une trentaine d’années.

La salle est plutôt bien remplie, le public très varié. Des parents qui emmènent leurs enfants en essayant de leur faire croire que Sonic, c’est mieux que Fornite – personne ne les croit – , des adolescents calés venus prendre leur petit shoot de compositions mythiques, des quarantenaires venu·e·s seul·e·s pour verser leur petite larme aux premières notes du thème de la Princesse Zelda. Et pour un lieu comme l’Auditorium de Bordeaux, ça n’est pas rien : beaucoup viennent dans cette salle – de grande qualité – pour la première fois. Autre intérêt de la soirée, la cheffe d’orchestre Hannah von Wiehler, tenante d’une approche accessible et sociale de la musique classique, est aux manettes. Ah tiens, petit point LE SAVIEZ-VOUS?  Étiez-vous au courant qu’il n’y avait que 4% de femmes cheffes d’orchestre ? Jeu vidéo et musique classique, unis dans le manque de diversité.

L’ambiance est joyeuse, notamment à l’annonce des personnes tirées au sort pour rejoindre l’association MO5 en bord de scène et avoir l’honneur de projeter leur partie sur l’écran qui surplombe l’orchestre. La promesse est alléchante, elle remet le jeu vidéo au centre par l’interactivité, et qui n’a pas rêvé d’entendre un orchestre symphonique déclencher le thème de votre jeu préféré alors que vous arrivez sur l’écran titre ? Moi, j’aimerais bien en tout cas.

Sauf que, si la musique symphonique est réglée comme du papier… ben, à musique, une partie de jeu vidéo ne l’est pas. Si une partie de Tetris est un grand moment de dialogue image et son – avec encouragements du public pour le joueur sous pression – cela peut tourner au vinaigre lorsque le thème joué ne correspond pas du tout à la partie projetée, ou bien que celle-ci se révèle trop difficile et bloquante pour le spectacle. Essayez de terminer un niveau de Mega Man 2 alors que vous ne connaissez pas le jeu et que tout le monde vous regarde, et on en reparle. Le début de Medal Of honor Resistance, brillant et épique du point de vue musical, fut à l’origine d’un looooooong moment où le joueur tirait un peu au hasard dans l’obscurité sur des nazis en 3d polygonale peu à leur avantage sur grand écran – en même temps c’est bien fait pour les nazis.

Et lorsque la partie jeu vidéo n’est qu’un trailer en mauvaise définition d’une œuvre que tout le monde a oublié – je parle de toi, Everquest -, nous ne sommes pas très loin de la faute de goût en termes de curation.

Quant aux thèmes tellement rock et ancrés dans leur production d’époque de Mega Man 2 ou Sonic, ils ne passent pas le test des arrangements classiques aussi bien que les compositions de Castlevania, de Super Metroid ou encore de Monkey Island. Mais ça, c’est le risque lorsque l’on met 20 ans d’avancées technologiques dans le même sac sous la bannière assez peu adaptée de “retrogaming”. Alors oui, on peut se dire que la culture musicale du jeu vidéo mérite mieux, que ce type d’évènement comporte son lot de maladresses, mais en voyant l’enthousiasme de celles et ceux qui sortaient de la salle en se racontant leurs meilleurs moments de musiques de jeu vidéo, on peut aussi concéder qu’il y a eu rencontre, qu’il y a eu quelques moments de frisson, et que c’est presque tout ce qui compte. 

Bastien Castellan/BassKass

(Crédit photos : Valentin Videgrain / Horizon(s) 2023)