Critique

Liberated

Développeurs : Atomic Wolf et L.inc – Éditeur : Walkabout Games – Date de Sortie : 2 juin 2020 – Prix : 20 €

Liberated

J’aime commencer mes articles en livrant une petite part de moi-même. Ça vous permet tout de suite de cerner l’auteur et de comprendre ce qui va suivre. Comme presque tout le monde, j’étais sur tous les réseaux sociaux en vogue, je montrais aussi ma tête à deux ou trois spectateurs sur Twitch, j’avais du matériel Apple, bref, je me considérais comme quelqu’un de branché (dans tous les sens du terme). Une suite d’événements m’ont ouvert l’esprit sur beaucoup de choses. J’ai supprimé mon compte Facebook, commencé à suivre mes données personnelles, à tenter de tout contrôler tel un paranoïaque. Si j’en crois les récentes avancées du gouvernement français qui veut plus ou moins traquer les gens, je vais devenir une espèce de rebelle des temps modernes, sans moto ni pote indien. Et dans le monde de Liberated, je serai carrément un hors-la-loi.

Libérez mes données, vous ne m'espionnerez plus jamais.

L’histoire du jeu d’Atomic Wolf nous envoie dans un futur proche, aux États-Unis. Suite à un acte terroriste visant une école, l’État prit une décision : un tel acte ne doit plus arriver sur le territoire, coûte que coûte. Quelques mois auparavant, une grande ponte avait déjà eu l’idée de centraliser toutes les données numériques en un seul endroit et de croiser tout cela afin de prédire les futurs crimes ou les personnes à problème. L’événement de l’école Sainte Martha accéléra les choses.

Les individus sont alors classés selon leur présence en ligne, leur santé et tout un tas de statistiques que l’on partage parfois sans le savoir. Cela fait immédiatement penser à des œuvres telles que Black Mirror, Minority Report, Watch Dogs 2 ou la Chine du monde réel : on y retrouve des principes simples comme la détection d’un grand nombre de passages chez le médecin qui fera augmenter la cotisation d’assurance ou un trop faible nombre de photos partagées qui pourrait faire croire que vous n’avez pas de vie sociale ou des choses à cacher. C’est une idée de base très classique, mais qui fait mouche à chaque fois avec moi, car il s’agit d’un sujet que j’aime défendre bête et ongle.

Liberated vous présente un homme en marge de la Société pris en chasse par la police, car son score personnel s’avère très bas. Barry n’est pas du genre à partager sa vie sur les réseaux, c’est pourquoi il se retrouve chassé, car il représente une menace pour le bien de la Société. Il fonce alors chez lui pour effacer des données sensibles (sûrement son historique de navigateur web) et chaque rencontre avec les agents de paix se termine par un meurtre.

C’est à partir de ce moment où j’ai eu des doutes quant à la direction que prenait l’équipe en charge du scénario. Au lieu de nous mettre dans la peau d’une pure victime du système comme on pourrait le lire dans le livre 1984, on nous balance une histoire digne de Mr. Robot avec un hacker très mystérieux. Son récit se termine subitement à la fin du premier chapitre (le jeu en comporte quatre).

Les chapitres 2 et 3 vous font incarner un policier haut placé, alors que le quatrième et dernier chapitre vous place dans une équipe de révolutionnaires anti-système. En gros, le flic veut éliminer les rebelles et les rebelles veulent éliminer les flics et le système. En filigrane, se déroule tout un pamphlet contre la récolte massive de données et il y a même une explication sur le pourquoi de la bombe dans l’école, mais c’est tellement cousu de fil blanc et mal raconté qu’on s’ennuie ferme.

Libéré, c’est décidé, je vais tous vous buter

Vous savez ce qui n’est pas non plus joli-joli ? Les phases de gameplay. Liberated est pensé comme un mélange entre action et visual novel — le jeu propose un mode avec uniquement les moments de l’histoire. Le gameplay est un bête shooter en vue de côté, rien de plus. Même s’il présente un semblant de système d’infiltration, l’action se transforme très vite en un ersatz de Metal Slug en canardant tout se bouge sans la moindre hésitation, car la discrétion est frustrante et n’apporte finalement rien de plus.

On a donc d’un côté des révolutionnaires qui butent à foison et de l’autre un flic qui tue sans scrupule, alors que le germe de l’histoire provient d’un acte terroriste et que l’idée des concepteurs serait d’avoir un monde libre de toute méga-société gavée avec nos données. Cette avalanche de violence pourrait être interprétée comme une conséquence de cet État totalitaire, comme une critique de ce que cela pourrait engendrer avec des gens qui n’ont plus aucune pitié envers son prochain. Toujours est-il que j’ai traversé le jeu en trois heures en assassinant des tonnes de gens sans que le jeu vous procure une quelconque morale. Encore une fois, le studio veut faire bien, mais n’y arrive pas.

Mon histoire s’exprime en dessinant et sculptant dans un livre.

La très bonne note de Liberated est son esthétique basée sur la structure d’un comic book américain. L’écran est alors divisé en plusieurs cases comme dans une bande dessinée et l’histoire avance au gré de celles-ci. C’est vraiment très joli, propre, et donne un vrai cachet au jeu. C’est clairement quelque chose qu’on ne rencontre que trop rarement dans le milieu du jeu vidéo.

Pour tout vous avouer, j’ai vraiment adoré cela, mais c’est au moment d’écrire mon ressenti que je me suis posé une question toute simple : « Pourquoi ? ». Pourquoi avoir utilisé le moteur de la société L.inc pour donner ce visuel comics à Liberated ? Une œuvre est généralement censée se comprendre dans son ensemble, c’est-à-dire que les scénaristes écrivent une histoire, les game designers font les systèmes, les level designers les niveaux et les graphistes créent les illustrations, les modèles 3D, etc. J’ai simplifié les métiers du jeu vidéo, mais vous voyez ce que je veux dire par un ensemble qui doit s’assembler dans un tout cohérent. Par exemple, si on prend Borderlands avec des graphismes photo-réalistes, cela n’aurait pas fonctionné avec son caractère débile et pipi caca. J’ai beau me creuser la tête et je ne comprends toujours pas le parti-pris d’Atomic Wolf. À part s’être dit : « Putain il est classe ce moteur, il faut qu’on l’utilise pour notre jeu », je ne vois aucune autre explication logique.

J’ai l’impression d’enchaîner les jeux décevants en ce moment et Liberated en fait malheureusement partie. Avec son envie de critiquer la société numérique d’aujourd’hui et de demain, Atomic Wolf avait une bonne idée entre les doigts. Dommage qu’il ne s’agisse là que d’une critique sans originalité avec, en plus, un caractère extrêmement violent qui va à l’encontre de ses propres convictions. Seules les dernières secondes du jeu prennent un parti-pris très intéressant, mais cela reste insuffisant pour en faire une recommandation malgré son aspect visuel alléchant, mais sans cohérence avec le reste de l’œuvre.

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Zhykos

Touche à tout, mais toujours avec plusieurs mois de retard ; tellement de retard que mon PC n'a pas évolué depuis 2008 quand j'ai commencé à parler de jeux vidéo sur le net.

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