Critique

Warhammer 40000 : Rogue Trader

Shutan
Publié le 22 février 2024

Développeur

Owlcat Games

Éditeur

Owlcat Games

Date de Sortie

7 Décembre 2023

Prix de lancement

50 €

Testé sur

PC

Dans le futur gnegneugneu de Warhammer 40000 il n’y a que la guerre, qu’ils disaient. Sauf que dans les terres, enfin, l’espace reculé des contrées perdues des mondes oubliés lointains par delà le voile, se situent les étendues de Koronus. Dans cette zone éloignée et encore sauvage de l’univers, la lumière étincelante de l’Empereur de l’humanité n’a pas encore atteint tous les recoins, et bien qu’il y soit souvent question de conflits marinés à la confiture d’hérésie, on peut y vivre relativement tranquillement si tant est qu’on possède une lettre de marque stipulant qu’on peut faire ce qu’on veut, un permis convoité qui est détenu par les libres marchands. Ce statut privilégié va incomber au personnage joueur, et bien qu’il s’agisse d’un titre de noblesse comprenant vaisseau, suivants et systèmes planétaires colonisés, on ne va pas forcément se la couler douce.

Koronus horribilis

Les étendues de Koronus ne sont pas exactement un havre de paix. Déjà, les circonstances nous permettant d’acquérir la lettre de marque et donc de devenir libre marchand sont d’une part placées sous le signe de la trahison violente (une sombre histoire de succession après décès inopiné de la précédente, mais vous verrez, ça va bien se passer). Ensuite parce qu’un évènement particulièrement dévastateur vient de frapper l’espace proche, une tempête de Warp a fait disparaître toutes les cartes planétaires et les voies de navigation. La situation est donc catastrophique mais pas de panique, c’est une parfaite mise en jambe pour permettre de découvrir les différents aspects du travail du libre marchand. Ah et les soleils ont tendance à disparaître aussi, mais on verra ça plus tard. À bord du vaisseau amiral Von Valancius, une aventure longue et assez palpitante attend le joueur, avec des subordonnés à recruter un peu partout, ayant chacun leur petite histoire, leurs intérêt, leur profession et caractéristiques particulières, des mondes à scanner et visiter, et beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup de méchants à discipliner. Mais il faut bien amener la civilisation et le fasci… euh, les bonnes valeurs de l’empire de l’humanité, dans ces lieux désolés, sauvages et abandonnés. Et le capitalisme aussi, plein.

Les dés sont jetés (par la fenêtre)

Owlcat Games, ce sont des habitués du CRPG velu, dans la droite lignée des Baldur’s Gate et Icewind Dale d’antan, ils nous avaient déjà gratifié des jeux Pathfinder dans un univers med-fan plus classique dirons-nous, mais cette fois-ci ils s’attaquent quand même à un gros univers : celui de WH40K qui traine du lore depuis le milieu des années 80, et qui est à la base un jeu de bagarre de p’tites figurines en plastique et métal. Rogue Trader est une gamme de jeu de rôles adaptée à cet univers, et c’est donc tout naturellement que ce jeu vidéo va retranscrire cet univers avec ses lieux connus, ses personnages, ses planètes et ses diverses luttes de pouvoir. Il s’agit donc d’un CRPG relativement classique en vue du dessus, où on promène notre groupe de bonshommes sur des cartes relativement grandes, bourrées de bidules à ramasser, de machins à examiner, de mécanismes à utiliser et de méchants à exterminer pour la gloire de l’Empire et le salut de l’humanité. Certains endroits sont plus pacifiés que d’autres et on va aussi trouver des gens à qui parler pour remplir le sacro-saint livre de quêtes et faire les courses pour des gens ne pouvant pas faire trois pas sans se prendre les pieds dans leurs genoux. Classique donc. Sauf que ça ne devrait pas être si classique. Le statut de libre marchand est normalement un statut exceptionnel et on a quand même un petit décalage entre les troufions qui claquent des genoux et des dents quand on passe devant eux tout en étant obligé d’aller retrouver une caisse de champignons perdue sur Zygoulox III pour que Mme Zblut puisse nourrir des chats robots zombies ou je ne sais quoi. La prestance du libre marchand fait souvent avancer l’intrigue mais on n’échappe pas facilement aux clichés des RPG.

Pour accomplir les quêtes et dérouler l’histoire, on va donc se balader avec notre super vaisseau spatial de 4 km de long, contenant plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes d’équipage, dans les étendues de Koronus. Rapidement (enfin, rapidement, sur un jeu de 100h) on va recruter plusieurs copains pour nous accompagner pour les missions au sol où il va falloir plus souvent qu’à son tour, pacifier la zone à coup de super laser et d’épée tronçonneuse. L’équipe sera composée de 6 personnages, avec leurs atouts et leurs faiblesses. Pas d’immense monde ouvert à explorer, mais de petites zones, parfois reliées entre-elles, où plusieurs objectifs seront à accomplir. Ces objectifs vont de la simple récupération d’objet, à de l’analyse d’artefacts mystérieux et souvent maudits, mais quasiment à coup sûr il faudra se battre contre des ennemis belliqueux et souvent en surnombre (deux à trois fois plus nombreux). Les combats sont très nombreux, durent longtemps et nécessitent une bonne stratégie et compréhension des différentes classes de personnage, de leurs synergies et de leurs atouts. Au début du jeu, on n’a que peu d’options tactiques mais plus on avance plus on développe des stratégies qui vont limiter les actions possibles par l’ennemi et démultiplier nos propres actions (et dégâts). Avec le temps, et un bon guide ou une prise de note sévère, on peut déterminer quelle suite d’actions permettra de finir un combat le plus rapidement possible en infligeant un maximum de dégâts. Quand ça marche c’est vraiment jouissif, on a l’impression de dérouler sa martingale infernale et d’être les plus malins et puis au combat suivant, ça ne fonctionne plus, il faut donc revoir la stratégie et recommencer. Ce qui ne serait pas spécialement gênant si on ne croisait pas un groupe d’ennemis tous les trois mètres. La progression dans certains endroits du jeu devient alors d’une lenteur abyssale, et bonne chance si vous avez oublié de sauvegarder entre deux combats et qu’un boss débarque, ou qu’une manifestation du chaos se déclenche.

Vaisseaux et diplo

Les phases « à pied » constituent la partie charnue de la bête, mais les activités du libre marchand ne s’arrêtent heureusement pas à ça. La navigation stellaire en est une autre. Comme indiqué plus haut, toutes les routes de navigation ont été effacées il va donc falloir les retracer. Dans le premier acte, on va pouvoir recruter un navigateur, qui est en quelque sorte un pilote comme dans Dune mais sans l’aquarium autour. Les navigateurs peuvent tracer des chemins relativement sûrs dans le warp et arriver à destination sans trop de bobos. En terme de gameplay, cela va se traduire par l’arrivée dans un nouveau système, scan des routes disponibles, utilisation de points de clairvoyance pour rendre le chemin plus sûr ou les utiliser pour tracer un chemin inexistant entre deux endroits. Le voyage hors chemin sûr pourra déclencher un évènement aléatoire de plus ou moins grande gravité, les chemins les plus dangereux ouvrant souvent un portail dans le vaisseau faisant vomir des saloperies qu’il faudra aller pacifier ensuite. Le vaisseau n’est pas qu’un moyen de transport rigolo, c’est aussi un cargo, et on pourra profiter des escales dans certains endroits pour échanger la marchandise contre de la réputation (ça nous fera de la pub). Il n’y a pas d’argent à proprement parler, pour les libres marchands, juste un facteur de profit qui fluctuera au fil du jeu et des décisions prises lors des dialogues ou des phases de colonisation des planètes récupérées. Le scan des différentes planètes visitées permet aussi de découvrir des ressources qu’on peut choisir de miner avec des excavateurs, mais leur nombre limité au début ne permet pas de se faire une fortune de cette façon. Le vaisseau est aussi armé, et il ne sera pas rare de devoir en découdre contre des pirates de l’espace, des vaisseaux d’ennemis de l’humanité, ou autres choses. Les phases de combat de vaisseau ne sont pas bien palpitantes, la faute à un manque de possibilités tactiques et l’impossibilité d’avoir plusieurs vaisseaux à contrôler sur le champ de bataille. J’ai récupéré un allié à un moment donné sans savoir comment, mais impossible de lui donner des ordres ou de l’améliorer, ou alors je n’ai pas trouvé comment faire… On peut heureusement améliorer le vaisseau petit à petit, et assigner des membres de l’équipe aux différents postes, et en avançant on obtient plus de pouvoirs rendant ces combats au moins intéressants. Il arrive cependant que certains combats buggent, ou qu’il soit impossible d’équiper de nouveaux canons sans qu’on sache pourquoi. Certains attributs du vaisseau restent un mystère aussi, par exemple il est indiqué plusieurs fois qu’on ne peut pas scanner une planète faute du matériel adéquat, mais aucun indice ne permet de savoir comment améliorer cela, l’information n’est nulle part ou alors bien cachée…

Menus ménages

Oui, parce que le jeu est très très touffu, et noie abondamment le pauvre joueur sous des pages et des pages de lore, de matériel, de quêtes et de tutos. La feuille de personnage est relativement facile à lire, des infobulles apparaissent pour expliquer à quoi correspondent les icônes et chaque bonus ou malus est indiqué. Le seul souci va être la montée en niveau. À chaque fois il va falloir compulser une liste longue comme le bras d’ajouts divers et variés et souvent obscurs, ajoutant des diviseurs de pourcentages sur des bonus de caractéristiques ou d’aptitudes, souvent relatives à des situations précises et parfois semblant ridicules : +1 aux dégâts si le méchant est accroupi derrière un arbre dont l’écorce est fine mais pas si elle est blanche, par exemple (cet exemple est faux et légèrement exagéré). Ce que la feuille ne dit pas c’est que la plupart de ces bonus sont cumulables entre eux et sont souvent démultipliés suivant la situation, donc prenez des notes. Autant dire que chaque passage au niveau supérieur est une épreuve si on ne sait pas exactement ce qu’on veut faire avec les personnages, même si des recommandations sont indiquées elles ne sont pas forcément les plus adaptées au style de personnage qu’on veut construire. Il n’est pas rare de devoir scroller plusieurs fois dans la liste déroulante pour sélectionner le bon pouvoir ou la bonne augmentation. Heureusement on peut respécialiser les personnages autant qu’on veut avec le haut factotum présent sur le pont, mais à chaque fois on repart de zéro. Toujours au chapitre des reproches, il n’est pas possible de faire de recherche sur la carte stellaire, et les lieux où les quêtes sont supposées se dérouler ne sont pas marqués sur la carte générale, il faut passer de longs moments à dérouler la carte et pointer les systèmes connus pour voir s’il n’y a pas quelque chose à y faire. Le livre de quêtes est souvent pris en défaut, indiquant le nom de la planète où aller, mais pas dans quel système elle se trouve, rageant ! Dans un même ordre d’idées, naviguer dans l’inventaire est une gageure. Les options de tri sont minimes et il est impossible de classer efficacement les objets par type, puissance, ou caractéristique. Avec le nombre de bidules qu’on finit par accumuler il devient un véritable capharnaüm.

« I Know Warhammer. - Show me ! »

Une fois le mal de tête passé, que reste-t-il de Rogue Trader ? Une plongée vertigineuse dans l’univers étendu de Warhammer 40k, bien sûr ! La quête du libre marchand Von Valancius permettra de mettre un doigt, voire toute la main dans l’engrenage de cet univers. Sorti des Space Marines, des orcs et de quelques dieux du chaos je n’y connaissais pas grand-chose et après avoir passé plus de 90h dans ce jeu, j’ai un peu l’impression d’être Néo dans Matrix à qui on vient d’injecter l’intégralité du cursus « Warhammer pour les nuls » directement à la seringue dans le cerveau. Et même si ça semble un peu indigeste dit comme ça, le scénario du jeu amène tous ces éléments d’une manière élégante, pas très subtile, mais efficace. On a de l’intrigue de cour, des marchands malhonnêtes, des civilisations perdues ou presque. Une, ou plusieurs, menaces qui pèsent sur les étendues, et on va devoir enquêter pour protéger nos gens, et leur apporter la paix. On peut aussi s’allier avec les forces du chaos pour mettre un boxon pas possible, ou encore être le plus lumineux des impériaux et apporter la force divine de l’Empereur jusque dans ces terres perdues et inexplorées. Le choix est libre, mais les conséquences sont à l’aune du chemin choisi. Pour ma part j’ai choisi le chemin « iconoclaste » qui me semblait le moins extrême des trois, mais ça reste une expérience où les choix cornéliens sont légion. Faut aimer lire, par contre, le jeu n’est pas avare en matière textuelle mais heureusement, la version française est d’excellente qualité.

Si vous avez lu jusqu’ici, j’imagine que vous ne savez pas trop quoi penser de ce jeu, ni s’il est fait pour vous. D’un côté il peut attirer un nouveau public qui aurait apprécié la balade de Baldur’s Gate 3 (qui a fait un travail formidable pour faire découvrir le genre à un nouveau public) mais son côté à la fois plus vaste mais plus cloisonné pourrait finir par rebuter. Dans BG3 on a souvent plusieurs possibilités pour se sortir d’une situation. Chaque combat est non seulement un défi tactique mais aussi un puzzle environnemental. Ici, rien de tout cela, c’est du tour par tour en grille, avec des règles fixes qu’il faudra apprendre à utiliser, en ajustant au maximum les différents personnages entre eux afin d’en ressortir la meilleure synergie. Et il faut apprécier le combat. Vraiment. Et le combat qui dure, pendant des heures parfois sur un ennemi ayant plusieurs centaines (voire milliers) de points de vie. Faites bien attention aux lignes de tir, car les amis et les ennemis sont touchés de la même façon (d’ailleurs les ennemis font souvent des erreurs en tirant sur leurs potes). Et assurez vous d’avoir bien sauvegardé avant de fermer le jeu, j’ai eu droit à quelques blagues très embêtantes me forçant à recommencer plusieurs combats, la faute à une sauvegarde défaillante. Le jeu a passé un bon moment en early access mais pour autant n’est pas exempt de bugs et de trucs bizarres inexpliqués, si vous voulez patienter un peu pour le fameux coup de polish, je comprendrai. Toujours comparativement à BG3, on a une galerie de compagnons tout à fait remarquables bien que moins attachants immédiatement. Il faudra se contenter de portraits (magnifiques) lors des dialogues, et on n’aura pas autant d’interaction avec eux, mais chacun des personnages secondaires importants a son histoire, son caractère et il est parfois très drôle d’avoir deux partenaires ne pouvant pas se supporter devoir faire équipe et s’envoyer des petites piques sans arrêt.

Dans le même genre que Baldur’s Gate 3, Warhammer 40000 Rogue Trader pourrait tenter un public curieux de découvrir plus de jeux du style, mais attention, la réalité est plus âpre. On a là un jeu moins clinquant, à la mise en scène plus classique pour le genre (c’est Unity qui fait tourner le bazar et on sent qu’il est à la peine), et où l’échelle est bien différente, on parle d’explorer des galaxies quand même. Pas exempt de défaut, mais redoutable pour les fanas du genre, si on se penche sur la construction des personnages et leur optimisation. L’histoire du jeu m’a fait tenir jusqu’au bout ce qui en fait aussi une aventure intéressante !

Torn Away 1
Torn Away

Retour à Stalingrad avec Camarade Moufle

Laisser un commentaire