Critique

Wasteland 3

Développeur : inXile – Éditeur : inXile – Date de Sortie : 28 août 2020 – Prix : 60 – 70 €

Il en aura fallu du temps pour que sorte Wasteland 3. Dernier né d’inXile Entertainment, financé par Fig en 2016, il sort enfin de la glace qui le retenait. Reporté à cause de la crise sanitaire bien sûr, mais aussi grâce à une rallonge budgétaire permettant de polir un poil l’esthétique visuelle et sonore du jeu, suite au rachat du studio par Microsoft, est-il la confirmation du renouveau du CRPG tactique mené par Wasteland 2 ? Financé avec succès par un Kickstarter, il avait redonné espoir en un genre un peu éteint en 2013, le jeu de rôle en vue isométrique avec combats tactiques. Et puis surtout le genre post-apocalyptique, embourbé dans les suites sans âme de Fallout 2, ersatz de Skyrim avec des flingues, qui n’ont pas réussi à approcher le génie de ce qui faisait des deux premiers de la série (et de Wasteland premier du nom) des pierres blanches du jeu vidéo. Et alors Wasteland 3, finalement, il est dans quelle veine ? Bah… c’est compliqué. Alors, chaussez vos snow-boots et vos parkas, on file au Colorado, plongé dans un hiver nucléaire permanent.

Colorado, more like Cold-orado

Mais d’abord quoi qui se passe-t-il donc dans Wasteland 3 ? Après avoir vaillamment combattu une IA folle qui voulait utiliser tous les robots pour tuer le reste de l’humanité, le dernier recours des Rangers d’Arizona était de la détruire complètement en déclenchant une bombe atomique dans leur propre base. La paix avait à peu près été restaurée dans l’Arizona (et la Californie proche) mais sans base opérationnelle les Rangers sont à la merci des éléments et rebâtir une civilisation dans le désert, c’est pas facile. C’est alors qu’une faction du Colorado menée par le Patriarche Saul Buchanan prend contact avec eux. Les Rangers doivent dépêcher une grosse escouade pour l’aider à réunir ses enfants, en échange de quoi il enverra des convois de vivres et de matériel vers l’Arizona. Malheureusement, à peine arrivée à proximité, et sous une neige battante, la caravane des Rangers est prise dans une embuscade dont seuls survivent deux personnes, le duo de personnages que le joueur va incarner. Ou les joueurs. Oui, parce qu’il y a de la coop. Mais revenons à nos moutons.

Les deux seuls survivants vont tout de même rencontrer le Patriarche et mener à bien la mission tout en découvrant que l’utopie hivernale de Colorado Springs cache des secrets bien sombres qui mettront à mal la moralité inébranlable des Rangers d’Arizona : aider n’importe qui dans le besoin. Pour ce faire, il faudra créer avec d’autres recrues et quelques alliés une escouade de six bonhommes qui vont devoir mettre le Colorado à feu et à sang afin de ramener la progéniture du Patriarche à la maison, de préférence vivante, et encore mieux, entière. Il faudra faire avec de multiples factions hostiles ou non, se faire des alliés ou des ennemis, en utilisant les différentes options possibles grâce aux différentes compétences disponibles pour les personnages. Idéalement il faudra créer un groupe complémentaire, avec des Rangers spécialisés car quelqu’un qui fait tout, ne peut le faire que mal dans ce jeu.

La tacata-tactique des gens en armes

Évidemment, il faudra faire parler la poudre très souvent, et la majorité des situations devra se résoudre par de la grosse bagarre bien dégueulasse, et déjà on va commencer à parler des trucs qui fâchent. Les combats sont très nombreux (un peu trop nombreux même) et ont un gros souci d’équilibrage, une lecture d’action confuse et des mécaniques incompréhensibles (l’intérêt des armures est pour moi un mystère à l’heure actuelle). Sans compter qu’il n’est pas rare que l’action se bloque littéralement en attendant que les personnages décident ce qu’ils doivent faire ensuite. Les compagnons dirigés par l’IA sont aussi spécialement idiots en se jetant dans la mêlée bille en tête, en dépit des armes utilisées et sans vraiment attaquer la cible la plus dangereuse ou évidente. Mention spéciale à Mirliton, le discobot soigneur qui va passer son temps à ne pas soigner l’escouade mais tirer des lasers dans les murs. Il est aussi impossible d’annuler une action, ce qui est très handicapant en cas de clic malencontreux.

Par bonheur, les possibilités tactiques sont nombreuses et toutes les compétences d’arme ont une utilité, même s’il faudra parfois un peu insister pour qu’elles soient réellement efficaces (la mêlée ou la bagarre sont inutiles à bas niveau et très puissantes vers la fin du jeu par exemple). Si au début il faudra utiliser ses armes avec une relative parcimonie, on tombera assez vite sur des tombereaux de munitions et être à court sera plutôt rare, surtout avec une chance élevée et du marchandage de haut niveau. Si au début on se retrouve avec des flingues déglingués et à moitié pourris, l’arsenal en fin de jeu s’avérera complètement surpuissant, du Magnum 357 au lance roquette Nucléaire, tout est à peu près envisageable et la fine équipe se retrouvera assez vite avec la puissance de feu d’un croiseur léger. Sans compter qu’on peut encore améliorer armes et armures avec le bon matériel et les bonnes compétences. Il va sans dire que le volet bagarre n’a pas été laissé de côté lors de la conception du jeu.

Pour autant, pas mal de combats peuvent être évités avec de bonnes compétences sociales avec des conséquences différentes (Gros Bras fera peur, Lèche-Cul flattera l’ennemi) et qui pourraient avoir des conséquences plus tard. Quand le combat est inévitable, il ne faudra surtout pas hésiter à faire une sauvegarde avant de lancer les hostilités, car comme il est impossible d’annuler une action, il est aussi impossible de sauvegarder pendant les combats ! De même placer idéalement votre équipe de guerriers de la route aura un impact significatif sur les affrontements. Il est possible avec les caractéristiques et compétences furtives de faire traverser à un ou plusieurs rangers le champ de bataille au nez et à la barbe des margoulins pour les attaquer sur plusieurs fronts. Faire prendre de la hauteur au Sniper est évidemment conseillé. Rester à couvert au maximum aussi. On peut vérifier les chances de toucher l’ennemi suivant l’endroit où on va se déplacer (c’est un peu tricher, mais les combats ne pardonnent pas donc autant utiliser un maximum d’avantages. Dans certains cas précis, le camion (le Kodiak) avec lequel on se déplace sur la carte du monde aura aussi le droit d’agir, de manière souvent dévastatrice si on se donne la peine de trouver de quoi l’améliorer. On peut conserver une partie de ses points d’action au combat pour tendre des embuscades, aussi (ce que l’ennemi ne se privera pas de faire). Le B.A BA de Sung Tzu, quoi.

It's a small world after fall

Le combat c’est bien mais on a surtout face à nous un petit monde avec lequel interagir. Le Colorado est à peu près civilisé mais aller chercher les trois enfants du patriarche va permettre de visiter les lieux en profondeur et rencontrer pas mal de gens. On va retrouver des factions avec lesquelles ont peut plus ou moins s’entendre (la résolution des quêtes de différentes façons fait monter ou descendre l’appréciation), des gangs à démouler (sans véritable possibilité d’alliance) et des personnages non affiliés qu’on pourra aider ou pas, avec plus ou moins de conséquences.

Il n’y a pas à proprement parler d’alignement, mais plus les Rangers accomplissent d’exploits, plus ils sont célèbres et certaines interactions deviennent possibles (s’ils sont reconnus, des ennemis fuiront le combat par exemple). Tous les dialogues sont doublés, ce qui rend tout ce petit monde vivant, et certains dialogues permettent de voir notre interlocuteur en gros plan, mais cela reste très rare et réservé à des moments précis (sans que ça soit parfois très logique d’ailleurs). Le monde est aussi une vaste carte au trésor avec un maximum de bidules à déverrouiller, d’ordinateurs à pirater, de pièges à désarmer. Faire parler un ordinateur ou chercher un contournement est très souvent possible avant de démarrer un combat, et cela facilitera très souvent les choses. Avec une équipe spécialisée, la difficulté du jeu tombe assez vite, car rien ne peut leur résister, tant au combat que dans l’environnement. Contrairement à Wasteland 2, s’il y a un ordinateur à pirater ou un cadenas à crocheter c’est le personnage avec la meilleure compétence qui ira le faire automatiquement.

De même les compétences sociales sont communes au groupe entier, donc pas besoin de sélectionner le gros dur de la bande avant de parler pour intimider la cible. Les quêtes et missions sont variées, parfois drôles et grinçantes (comme la mission du Père Noël), parfois amusantes tout court, souvent touchantes mais très rarement originales ou inattendues. Il y a toutefois quelques mystères à résoudre, comme les pièces de grille-pain dorées et d’autres choses très bizarres. Malheureusement, les zones à visiter son finalement assez peu nombreuses et il est très rare qu’on ait à y revenir une fois la grosse quête liée à cet endroit effectuée (quand il y en a une), et c’est dommage.

C’est dommage parce qu’au lieu de nous présenter un monde vivant, on visite juste une poignée de décors qui s’enchaînent un peu vite et qui manquent un peu de cachet, ou qui sont sous exploités. Colorado Springs c’est juste le centre-ville, et un quartier résidentiel bourgeois dont on peut visiter deux ou trois maisons par exemple, Denver n’est composé que de son capitole et de l’aérogare. C’est vraiment petit et ramassé, surtout par rapport à Wasteland 2 où les zones visitées étaient bien plus grandes et avaient bien plus de points d’intérêt et de choses à y faire.

Les petits ruisseaux radiocatifs

Si le monde est petit il est pourtant assez détaillé et varié. Des zones glacées aux confins d’un abri anti-atomique, chaque lieu visité bénéficie d’un certain cachet et on va trouver finalement beaucoup de détails amusants un peu partout. Les effets de lumière sont plutôt réussis aussi, et les ombres projetées par les phares du Kodiak rendent les environnements plus menaçants qu’ils ne le sont en réalité. Pour autant la technique est souvent en berne. Les chargements déjà sont très très lents, quand ils ne plantent tout simplement pas. On va constater des ralentissements un peu partout, du pathfinding un peu erratique, avec des personnages qui se jettent sur les pièges alors qu’ils sont repérés, ou qui restent dans le champ de détection des ennemis alors qu’on leur demande de bouger. Des tirs passeront inexplicablement à travers murs et plafonds, des personnages resteront coincés pendant leur déplacement, etc. Rien de vraiment bloquant mais au bout d’un moment ces petits désagréments gâchent un peu la promenade.

Ce qui fait qu’il ressort surtout un grand sentiment d’inachevé dans ce Wasteland 3. L’aventure est relativement longue (comptez une petite cinquantaine d’heures, dont deux de chargements) mais paradoxalement, on la ressent assez courte car on n’y accomplit finalement pas grand chose. Pas de grand méchant dans l’ombre, pas de véritable menace ineffable, juste un problème familial à régler. On a l’impression de vivre un épisode de transition, qui aurait pu être un gros chapitre de Wasteland 2 qui aurait été coupé au montage. Le fait d’être dans une région froide n’a pas d’impact sur l’équipe de personnages. Il s’agit juste d’un décor dont les PNJ se plaignent et qui sert certains éléments scénaristiques mais à part ça c’est juste du sable, mais blanc. Les radiations sont juste des murs scénaristiques invisibles infranchissables sans le bon équipement pour le camion. Pas besoin de faire du feu, pas besoin de se couvrir, il n’y a aucun élément de survie à prendre en compte, le kodiak n’a de plus pas de jauge d’essence et on ne tombera jamais en panne avec. On ne va visiter à proprement parler que deux « villes » et le reste des destinations est à usage unique. On n’a pas vraiment l’impression que ce qu’on fait a de véritables conséquences. Annihiler les Gippers par exemple, qui sont la seule faction à pouvoir raffiner du pétrole aurait pu amener à devoir limiter les déplacements ou à trouver une source de carburant, mais non.

De fait on se retrouve devant un jeu qui vend un monde froid et dur mais où on peut finalement se promener sans risque si on exclut les combats. Pour autant la balade n’est pas désagréable et on peut admettre qu’il s’agit probablement d’une technique pour permettre à tout un chacun de mettre un doigt dans la piscine du CRPG avant de s’y plonger corps et âme. Parce que oui, pour les baroudeurs, ça va sembler un poil facile et vide, mais pour le grand public, c’est intéressant d’avoir un jeu de ce genre qui ne soit pas trop compliqué à appréhender. Il y a aussi suffisamment de choix cruciaux dans l’aventure pour avoir l’envie de refaire certains passages juste pour voir ce qui se passe si on envoie chier machin ou si on s’allie à truc, ou si on améliore telle ou telle compétence plus vite afin d’ouvrir un passage, etc. L’intérêt de proposer une histoire avec des objectifs clairs dès le début permet de ne pas perdre le public en circonvolutions souvent inutiles et la moralité grise des protagonistes mêlée à des péripéties souvent légères rend finalement ce microcosme post apocalyptique intéressant à parcourir malgré tout.

Plus flatteur à l’œil que son prédécesseur mais globalement moins complet, Wasteland 3 est une aventure sympathique mais qui aurait pu être bien plus. Un jeu qui remplit à peu près le cahier des charges demandé mais qui s'en tient là, sans prise de risque majeure dans le game design. On aurait aimé que le budget complémentaire apporté par Microsoft ait aussi servi à peaufiner le jeu, au lieu de payer des ayants droits musicaux et des voix, car même après quelques patches, il y a encore beaucoup de bugs, pas forcément gênants mais qui agacent. C'est dommage car si inXile avait voulu aller au bout de ses idées, on aurait là un très grand RPG, alors qu'au final on n'a qu'une jolie coquille un peu vide mais aux combats très intéressants.

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Shutan

Rétrogamer dans l'âme, mais ouvert aux nouveautés.

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