Critique

YAKUZA LIKE A DRAGON

Développeur : Ryu Ga Gotoku Studio – Éditeur : Sega – Date de Sortie : 10 ou 13 Novembre 2020 – Prix : 60 €

Bon alors, après avoir combattu l’ours échappé de sa cage, je vais aller me détendre en faisant un petit Virtua Fighter 5, tiens y a un truc qui brille là-bas, c’est quoi ? Ah mais il fallait aussi que je livre des assiettes et que je récolte des canettes pour le recyclage, et puis tiens un petit coup de courses de kart aussi. Oh, il y a une bulle sur la carte, allons voir qui a un problème à résoudre, et puis le bar à fléchettes est sur le chemin. On sauvera la ville plus tard.

Depuis 15 ans, la série des jeux Yakuza nous propose des virées dans les rues bruyantes et colorées du Japon, et nous a fait suivre pendant 7 jeux (en comptant le zéro) la destinée de Kazuma Kiryu, ex-mafieux au grand cœur parcourant les villes et campagnes à la recherche de la paix pour lui et ses proches. Dans cet opus non numéroté chez nous, sobrement intitulé Yakuza Like A Dragon, exit Kazuma Kiryu, qui a pris (encore une fois) sa retraite bien méritée. Un nouveau héros fait son apparition : Kasuga Ichiban. Et le changement de héros va avec un changement de style de jeu, on n’a plus affaire à un beat’em up musclé avec plein de trucs autour, mais à un RPG (musclé, il va sans dire, et avec plein de trucs à faire), avec combats au tour par tour, et ça ne change… pas grand-chose en fait.

Kamurocho Patate

Kasuga Ichiban est un membre de la famille Arakawa, une des petites sociétés du clan Tojo implantée à Kamurocho. C’est un sous-fifre sans envergure mais enthousiaste et qui a une relation particulière avec son patriarche ainsi que son fils. Le 1er janvier 2001, il va devoir endosser un crime qu’il n’a pas commis pour sauver sa famille. En sortant, 18 ans plus tard, de prison, pensant être accueilli en héros, c’est la déception et l’abandon qui l’attendent dehors. Sans trop rentrer dans les détails, il va se retrouver assez vite en fâcheuse condition, chassé de Kamurocho et laissé pour mort dans les poubelles d’un camp de sans abris près du quartier rouge d’Ijinchô à Yokohama, le quartier où va se dérouler une majeure partie du jeu. Accompagné de Nanba, un ancien infirmier, SDF taciturne et d’Adachi un ex-policier bougon mais attachant, et rejoint ensuite par une galerie de personnages hauts en couleurs, Kasuga va commencer une nouvelle vie, et découvrir assez vite qu’il n’a pas été déposé à Yokohama par hasard.

Rôle Punching Game

Globalement, le déroulement du jeu, si on est déjà un habitué de la série, ne va pas énormément changer. Les jeux précédents proposaient déjà plusieurs systèmes d’expérience avec des coups à débloquer, mais évidemment Kiryu était plus « direct », disons dans ses confrontations. Ici on a affaire à un RPG, enfin un JRPG. Comme Kasuga est fan de Dragon Quest (il le répète assez souvent), il vit dans un monde d’illusions. Orphelin, abandonné dans un bordel par sa mère, il y a été élevé et passait ses journées à jouer à des RPG sur console, surtout Dragon Quest. Celui lui permet de voir la vie comme un gigantesque jeu de rôle. Il va donc détourner la réalité pour en faire sa réalité et « gamifier » le quotidien. Ce qui va rendre son aventure non seulement palpitante, mais en constante évolution car chaque aspect de la « vraie vie » sera transformé, tordu, et compressé pour en faire une mécanique de jeu. Un petit exemple tout bête, Kasuga et ses amis sont sans le sou et il va bien falloir farmer du gold comme on dit. Dans la vraie vie, comment gagne-t-on de l’argent ? En bossant, bah oui. Là, il suffit donc de traverser la rue et d’aller à Hello Job, l’agence d’intérim du coin pour changer de job, et donc de classe de personnage, malin ! Chaque job dispose de sa liste de compétences et de forces et faiblesses (et un costume attitré), et il y en a une grosse quinzaine en tout. Et des idées du genre il y en a énormément. Mais après tout ce n’est que justice, dans le monde réel de la réalité véritable, on a déjà une gamification, donc pourquoi ne pas pousser les potards à fond ?

Kasuga et ses potes, dans Ijinchô vont évidemment devoir se bastonner contre un peu tout ce qui se dresse contre eux, de l’ennemi le plus normal (chasseur de clodos, yakuza, mec bourré) ou plus bizarroïde (un Roomba géant, par exemple, et c’est pas le pire). Les combats se déroulent alors au tour par tour, mais ces combats ont énormément de punch ! Chaque personnage en plus des jobs dispose d’une classe de base avec ses « pouvoirs » spéciaux. Nanba le clodo peut utiliser son haleine pestilentielle pour empoisonner les ennemis ou boire un coup et approcher un briquet pour faire un « sort » de feu. Il peut utiliser sa capacité à dormir n’importe où pour se soigner (il sera au début, un peu le « magicien » du groupe). Adachi, en bon ex-flic, peut provoquer les ennemis et contrer leurs attaques et sera alors le « tank ».

Et pour autant ces mécaniques bien que grosses comme une PS5 dans un meuble Ikea pourraient sembler forcées et insérées au forceps avec coups de coude et clin d’œils appuyés il n’en est rien, tant tout s’imbrique parfaitement et coule de source au final. Évidemment c’est un jeu de rôle aussi pour les personnages, donc ils roulent avec, comme disent les anglois. Pour récupérer de la vie ? Dormir au campement des SDF, ça fait office de tente, ou sinon visiter les nombreux restos, bars et autres que propose la ville. Le fast travel ? Des taxis sont présents un peu partout. Le bestiaire ? Y en a un. Dans le smartphone du héros. Des minis quêtes ? Partout ! Ça reprend le principe des mini-histoires des autres jeux (il y en a 50 dans celui-ci), et en plus il y a une agence de héros à louer dont Kasuga fera partie et qui justifiera la présence du journal de complétion. Chaque rubrique remplie augmente le niveau de héros à louer et permet d’obtenir des récompenses.

Et là je ne fais qu’effleurer la proposition du jeu tant il y a de choses à faire. Autant laisser aussi le plaisir de la découverte !

Yakuza Matata

Pour autant il y a tout de même des points négatifs à tout cela. Déjà le fait de faire des combats au tour par tour rallonge sensiblement la sauce, et sans aller jusqu’à décupler la longueur du jeu, certains chapitres semblent un peu tirer en longueur. Les passages dans les jeux précédents où Kazuma et ses potes rentraient dans un building pour foutre le zbeul sont évidemment toujours présents, mais ici sous forme de « donjons ». Ils sont donc plus grands, plus labyrinthiques et recèlent de nombreux trésors, pas toujours très intéressants, mais surtout de combats contre des adversaires qui peuvent assez vite être nombreux et très résistants. Il ne faudra donc pas hésiter à castagner tout ce qui est rouge sur la carte avant d’attaquer la suite de l’histoire pour être à peu près tranquille. De ce fait le rythme du jeu est un chouïa en dents de scie. Des passages de jeu très intensifs succèdent à de longs couloirs de cinématiques d’exposition et d’explications et il n’est pas rare de poser la manette une vingtaine de minutes le temps que tout le monde ait fini de papoter. Enfin, rien de bien nouveau en fait, l’habitué de la saga saura accepter cet état de fait et c’est d’autant plus acceptable dans ce jeu-ci vu que les infodumps sont légion dans les RPG, et là au moins on a l’impression d’être devant un film. Pour résumer, c’est comme avant, mais dans le paradigme d’un jeu de rôle, ça passe carrément, allez.

Au chapitre des reproches, les combats sont aussi, malgré leur pêche, un peu confus, il est impossible de déplacer les personnages sur le champ de bataille et cibler les alliés demande parfois de jongler avec les angles de caméra ce qui casse un peu la rythmique. Les ennemis et alliés bougent partout, se jaugent, ne restent pas trop les bras ballants mais cela gène parfois certains pouvoirs à aire d’effet, et il n’est pas rare d’envoyer une magie sur un personnage isolé alors qu’on voulait en taper plusieurs. L’habitué des Rpg va grogner sur certaines mécaniques un peu absurdes mais finalement ce n’est pas bien grave. On est dans ce qui est de l’ordre du chipotage, après tout il s’agit du premier RPG de l’équipe Ryu Ga Gotoku Studio, et s’ils doivent continuer dans cette optique, nul doute que ces points seront améliorés dans une éventuelle suite.

Ichiban dof brothers

Me voilà à parler de suite, alors que j’ai même pas fini de vous parler du jeu présent et ce qui fait sa force : ses personnages. Ichiban Kasuga en tête, est un Héros. Il est droit dans ses bottes, fidèle en amitié et loyal jusqu’au bout des ongles. Comment ne pas tomber sous le charme de ce loser, complètement dépassé par les évènements mais qui ne se laisse jamais abattre. Drôle attachant, un peu dingo, il tranche avec le relatif monolithisme naïf de Kazuma, ou la folie foutraque de Majima par exemple. C’est un excellent « nouveau » héros que l’on nous propose là. Le reste de son équipe n’est pas non plus composée que de sous fifres sans intérêt. Chaque personnage a une bonne raison de se joindre au groupe, et va avoir son histoire développée, ses espoirs malmenés et en sortir plus grand. Enfin presque tous. Les personnages féminins sont encore un peu en retrait, mais au moins elles ne sont plus juste des trophées ou des nunuches juste bonnes à servir à boire dans les cabarets ou à se faire kidnapper. Le jeu est d’ailleurs très soft sur le sujet et va traiter des problèmes de société comme les travailleurs du sexe, de l’immigration clandestine, des SDF, bref tous les « invisibles » de la société qui ont trouvé à Injinchô une relative stabilité mais que les évènements du jeu vont venir chambouler. Ichiban Kasuga et ses amis vont très vite prendre la défense du quartier et de ses habitants malmenés par une ONG populiste ridicule, des politiciens véreux et une alliance yakuza prête à tout pour contrôler la moindre once de parcelle de terrain servant à des activités litigieuses. Sans aller jusqu’au trope du fils du forgeron trouvant une épée magique et au bout de cinquante heures il tue Dieu en combat singulier, on a un déroulement de jeu ambitieux, ou d’un point de départ effectivement modeste (où on galère pour ramasser trois piécettes en farfouillant autour des distributeurs de boisson) on se retrouve à devoir gérer les tenants et aboutissants d’une guerre de gangs et de politiciens à l’échelle nationale de la main droite tout en dirigeant une société d’investissements brassant des milliards de Yen de la main gauche.

Ah oui, un petit détail, dans les JRPG la moyenne d’âge du groupe de PJ avoisine souvent la petite vingtaine. Là on a des tatoués, des gens qui ont du kilométrage sous le capot. C’est rare d’avoir un héros quarantenaire ! Surtout dans un RPG !

Ah et si vous débarquez, et que c’est votre premier Yakuza, n’ayez crainte, il est tout à fait possible de comprendre le jeu sans avoir fait les précédents. C’est même mieux, car Kasuga ayant passé toute la timeline des six jeux précédents en prison, il n’a pas franchement idée de ce qui s’est passé pendant tout ce temps. Évidemment, les habitués auront droit à moult clins d’oeils et références mais sans qu’elles soient trop appuyées.

Ijinchô les marrons

Et puis voilà, le volet technique. On a encore une fois affaire au Dragon Engine qui commence à se sentir à l’étroit sur les consoles « actuelles ». Le jeu est très beau (malgré quelques textures baveuses), surtout de nuit quand les néons et les reflets parent les villes visitées de mille couleurs, mais c’est au prix d’un framerate souffreteux, même sur PS4 Pro. Nul doute que les versions sur les nouvelles console seront plus fluides. Les temps de chargement sont parfois un peu longuets mais on commence à s’y habituer. Sinon j’espère que les quelques captures parsemant ce test sauront vous convaincre. Les habitués de la franchise constateront aussi les défauts habituels, à savoir des animations un peu rigides hors combat, et les habituels passants peu détaillés aux visages inexpressifs et peu détaillés, mais c’est encore une fois vraiment chercher la petite bête. Évidemment, le studio japonais n’a ni les moyens ni les ressources de Rockstar, et il faut bien faire des sacrifices quelque part.

Le jeu est aussi traduit en Français, comme Judgment, et malgré quelques coquilles et erreurs dues à une traduction hors contexte, on ne peut que saluer le boulot abattu tant la montagne de texte est gigantesque. En tout cas cet effort d’accessibilité est à encourager, alors allez, que faites-vous encore devant ce texte ? Foncez l’acheter!

 

Il y a beaucoup de choses à dire sur Yakuza Like A Dragon, trop peut-être. Ryu Ga Gotoku Studio a réussi à renouveler la franchise sans la trahir et c'était déjà un tour de force, mais là où ils auraient pu se contenter de faire un bête Yakuza RPG pour la forme, ils ont fait un jeu généreux, solide, complet, dont chaque personnage, élément scénaristique ou mécanique a été crafté avec amour et qui mérite toute votre attention et vos deniers. C'est un jeu sur lequel j'ai passé avec plaisir les deux dernières semaines, et j'ai encore tant de choses à y faire que c'en est vertigineux. Il est impossible de s'y ennuyer, entre l'histoire principale, les mini quêtes, les jeux d'arcade (Outrun, Virtua Vighter 2 et 5, et je vous laisse découvrir les autres), le karting, le pachinko, la recherche des chats perdus, la gestion de la société, vous en avez pour des dizaines d'heures sans forcer et sans jamais faire la même chose. Un googleplex de jeu vidéo, c'est ça Yakuza, et c'est génial. Venez, rejoignez le club.

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Shutan

Rétrogamer dans l'âme, mais ouvert aux nouveautés.

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