Critique

CASSETTE BEASTS

Gattu
Publié le 20 mai 2023

Développeur

Bytten Studio

Éditeur

Raw Fury

Date de Sortie

26 avril 2023

Prix de lancement

20 €

Testé sur

PC

Lorsque la scène indépendante ne tente pas d’innover avec des titres qui osent sortir des sentiers battus, elle s’abandonne à la confection de madeleines de Proust à visée nostalgique. C’est un peu le cas de ce Cassette Beasts qui, avec ses plaines verdoyantes, ses gros pixels et sa fournée de monstres à collectionner, rappelle sans équivoque les origines de la saga Pokémon. Non pas que cette dernière ait besoin d’une résurrection : elle reste, après tout, particulièrement vivace, ses bénéfices démesurés en sont la preuve. Le but de Bytten Studio serait plutôt de réunir les insatisfaits, déçus par la direction prise par la franchise appartenant à Nintendo ces dernières années. Toutefois, Cassette Beasts ne se contente pas de copier bêtement son aîné. Il met au contraire en avant un univers original, des mécaniques de jeu qui lui sont propres, et même une histoire pas dénuée d’une légère noirceur. Assez pour en faire une œuvre incontournable ? De toute évidence, oui.

Bienvenue à Bourg-Pa… à la Nouvelle Wirral !

Sur une plage au sable chaud, un individu s’éveille sans se rappeler pourquoi et comment il a atterri là. Le paysage est accueillant, les brins d’herbe s’agitent au vent. Alors notre avatar vagabonde, tente de retrouver son chemin, puis finit par apercevoir au loin des habitations. C’est à ce moment que surgit dans son dos un monstre au look bizarroïde, à mi-chemin entre un bernard-l’hermite et un panneau de signalisation routière. La situation paraît mal engagée. Heureusement, une femme aux cheveux roux court prêter assistance à notre héros. Elle lui tend un radiocassette, lui conjure de mettre le casque audio sur ses oreilles, puis l’impensable se produit : nos deux protagonistes se transforment en bêtes prêtes à s’adonner à l’art de la tatane ! Une fois l’adversaire envoyé au tapis en quelques baffes, Kayleigh — le nom de notre sauveuse — explique à notre avatar les tenants et aboutissants de cet étrange univers.

La Nouvelle Wirral est-elle un purgatoire ou le simple fruit d’une faille spatio-temporelle ? Quelle qu’en soit la réponse, régulièrement des âmes errantes provenant d’époques et univers différents se retrouvent prisonnières de cette petite île. Chaque fois, le même schéma se répète : le nouvel arrivant est frappé d’amnésie quant au contexte de sa venue, et, surtout, se montre incapable de rentrer chez lui. Alors, bon gré mal gré, les égarés se serrent les coudes, une société cosmopolite s’érige, des mythes et légendes se créent. Car la Nouvelle Wirral n’est pas dénuée de mystères. Déjà, l’île regorge de bestioles à l’apparence physique qui interpelle — cela va du toutou cracheur de feu à un mouton spectre flottant dans les airs —, d’autre part, des forces cosmiques semblent avoir en main le destin de ses habitants.

Si le scénario se démarque du voyage initiatique raconté dans Pokémon — ici, notre avatar ne souhaite qu’une chose, c’est se tirer fissa de la Nouvelle Wirral —, c’est aussi par sa tonalité qu’il s’émancipe du grand frère. En dépit d’atours légers, Cassette Beasts parvient à certains moments à instiguer une atmosphère sombre par l’intermédiaire des archanges, ces boss énigmatiques qui par leur simple présence semblent perturber l’espace-temps. Des abominations au design très travaillé, qui réussissent à mettre (un peu) mal à l’aise le joueur. Néanmoins, une fois l’affrontement terminé, Cassette Beasts dégage à nouveau cette fragrance suave et charmante, munie de protagonistes qui se questionnent sur leur rapport à l’amitié, à l’amour ou à la nostalgie. Une naïveté toute enfantine proche de celle de Pokémon, avec tout de même une écriture plus élaborée, rigolote et marquante.

Copiez-les tous !

Mais l’amitié ne se résume pas, dans Cassette Beasts, à quelques lignes de synopsis. Dans ses pérégrinations, notre avatar sera toujours accompagné d’un compagnon croisé sur le bord de la route. Qu’il s’agisse d’Eugène qui défend la Nouvelle Wirral contre des agents immobiliers décérébrés, de la jeune fan de rock Meredith, ou de l’artiste Félix, tous ont de jolies leçons de vie à nous donner. Au fil des discussions, les liens interpersonnels se renforcent et vont jusqu’à avoir une influence sur les combats : plus une amitié est forte, plus nos personnages font étalage de puissance.

Mystère particulièrement touffu qui anime les débats en Nouvelle Wirral, les gens de l’île sont tous capables de se transformer en créatures plus ou moins loufoques. C’est grâce à un radiocassette rétro que l’on peut copier les 120 bébêtes différentes, pour ensuite prendre leur apparence et emprunter leurs facultés. Dans des échauffourées menées exclusivement en duo, le processus requiert que l’un des deux personnages reprenne forme humaine pour réaliser une copie — devenant ainsi très vulnérable, s’il meurt l’opération échoue —, tandis que l’autre envoie l’uppercut le plus fort possible pour que cette dernière soit couronnée de succès. La capture devant s’effectuer en un seul tour, cela demande une stratégie bien aiguisée, avec une utilisation efficace de nos capacités actives et passives pour affaiblir un maximum le monstre qui nous fait face.

Il faut dire qu’avec quatorze éléments distincts — aux classiques eau, foudre, plante, on trouve des catégories plus originales, comme plastique, bête ou verre —, les perspectives tactiques se montrent très nombreuses. Tel un pierre-feuille-ciseaux plus garni, Cassette Beasts joue sur les antagonismes entre les différents types d’attaque pour dénouer chaque affrontement. Ainsi, le plastique aura l’avantage sur l’électricité, le feu sur la plante, ou le métal sur l’astral. Si l’on peut y voir une resucée des mécaniques de Pokemon, se confectionner l’équipe avec la plus belle synergie envisageable demande une réflexion plus qu’appréciable. Et pour les obsessifs qui voudraient encore plus se triturer le cerveau, sachez qu’il est possible de rencontrer, en de rares occasions, chaque créature avec un genre différent auquel il appartient normalement. La profondeur de l’œuvre de Bytten Studio devient alors inouïe.

Fusion !

Toutefois, la cerise sur le gâteau reste à venir. Cassette Beasts réussit à rendre consistant un doux fantasme de certains fans de Pokémon : la fusion de deux créatures. Les développeurs anglais se targuent d’avoir créé plus de 14 000 chimères différentes. Si leur apparence n’est pas toujours des plus inspirées — contrairement à celle des monstres de base —, l’effort sera apprécié des joueurs avides d’expériences grandiloquentes. Comment cela se traduit-il en jeu ? Notre binôme de combattants dispose d’une barre de fusion qu’il remplit au fil des cachous distribués et des coups reçus. Dès lors qu’elle est pleine, la mutation peut s’opérer, et le fruit de notre mélange obtient des caractéristiques boostées, ainsi que de nouveaux pouvoirs surpuissants — tout du moins si la relation entre nos deux personnages est assez forte. Une mécanique de gameplay qui se montre presque indispensable pour terrasser quelques boss corsés, qui en revanche a tendance à transformer le reste de Cassette Beasts en promenade de santé si l’on abuse de cette stratégie (en sachant qu’un item pas si coûteux permet de remplir instantanément la jauge de fusion). Dommage, car jusqu’ici la difficulté du titre faisait preuve d’équilibre, capable de satisfaire à la fois les amateurs de challenge et les rookies plus frileux.

Envoyer des gnons dans la figure de toutes les bêtes que l’on croise n’est heureusement pas le seul intérêt de Cassette Beasts. Dès nos premiers pas, le monde ouvert confectionné avec amour par Bytten Studio nous est entièrement accessible. Bien que la présence de monstres de haut niveau dans certaines zones entrave notre exploration, rien ne nous empêche d’entraîner comme un acharné notre fine équipe pour nous y rendre. On se mue alors en chasseur de trésors, passant chaque environnement au peigne fin pour dénicher coffres et grottes secrètes, dans lesquelles pourrait sommeiller un butin alléchant. Afin de pimenter notre errance, notre protagoniste va acquérir quelques aptitudes utiles à sa progression en copiant certains monstres particuliers. Un papillon lui permettra par exemple de planer sur une courte distance, une otarie de nager en eau profonde, une créature de type foudre de léviter grâce à des pylônes électriques… Cassette Beasts prend alors des allures de Zelda, avec des énigmes à résoudre, des plateformes à arpenter, empêchant une certaine monotonie de s’installer.

La progression est rendue d’autant plus agréable que la Nouvelle Wirral ne manque pas d’activités annexes à notre mission principale. Car si la narration est menée par les atermoiements de nos compagnons et des veilleurs — des rangers faisant office de champions d’arène —, il sera aussi possible de latter des nuées de monstres, désosser des chimères belliqueuses, voire prêter assistance à quelques habitants en détresse. Autant d’à-côtés qui gonfleront la durée de vie déjà bien épaisse du titre anglais. En outre, l’île dispose de ce charme désuet, une familiarité habillée de pixels qui fait que l’on découvre ses paysages avec une certaine tendresse. En cela, la bande-son composée par Joël Baylis, aux beats à la fois modernes et anciens, accompagne à la perfection cette plongée en enfance.

Belle surprise de ce mois de mai, Cassette Beasts réussit là où tant d’autres clones de Pokémon ont échoué. Pourquoi ? Tout simplement car le titre de Bytten Studio ne s’est pas contenté de singer la licence phare de Nintendo. Au contraire, en se délestant d’un héritage qui a affaissé nombre d’épaules de petits studios, Cassette Beasts souffle un vent de fraîcheur sur un style en pleine catatonie créatrice. Un univers enchanteur, des affrontements dynamiques, un enrobage qui sent bon la candeur des premiers jours… il n’en fallait pas plus pour stimuler notre appétit de l’aventure, réveiller notre collectionnite apathique. Le titre anglais louvoie brillamment entre l’antique et le moderne, faisant preuve d’un équilibre digne d’un grand cru bourguignon. Chaque lampée agit comme un remède à la déprime, on en redemande, encore et encore !

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