Painocchio
Critique
American Arcadia
Développeur
Out of the Blue Games
Éditeur
Raw Fury
Date de Sortie
15 novembre 2023
Prix de lancement
20 €
Testé sur
PC
Dire que les Espagnols d’Out of the Blue Games doivent être fans de The Truman Show ne relève pas du scoop. Tout comme le film de Peter Weir, American Arcadia met en scène un quidam ordinaire, qui découvre sur le tard sa condition d’être servile, piégé qu’il est au sein d’une télé-réalité à succès. Jeu vidéo oblige, l’épopée se montrera bien plus interactive que celle du grand frère cinématographique. Empruntant à la fois au platformer ou à l’infiltration, American Arcadia affirme face caméra sa réussite.
The Trevor Show
Arcadia… Ville utopique effleurée par un printemps éternel, projet de feu Elijah Walton, philanthrope à la fortune colossale qui nourrissait un rêve plein de candeur : celui de faire vivre dans la paix et la prospérité une poignée d’individus. Mais à sa mort, peu de temps avant l’achèvement d’Arcadia, son frère Donald reprend l’affaire, avec une vision bien plus mercantile. Si la cité garde son allure de paradis urbain — sans criminalité, chômage, ni jours de pluie —, on la truffe en revanche de pléthore de caméras, pour devenir le siège de la plus grande télé-réalité mondiale. Avec tout de même une petite particularité… ses habitants n’ont pas conscience de faire partie d’un show retransmis en direct, sous le regard moqueur de millions de personnes.
Trevor, notre protagoniste, est l’un des prisonniers de cette cité idéale. L’homme y suit une routine millimétrée entre métro, boulot et dodo. Mais voilà, à l’inverse de ses camarades, Trevor manque d’outrance et d’audace. Là où certains enchaînent les bouffonneries, le moment où notre héros nourrit sa tortue reste le plus palpitant de sa journée. Logiquement, le public se désintéresse de lui, un crime capital dans une société régie par un grand média du divertissement. Notre trentenaire en devient obsolète, inutile, un déchet qu’il convient d’éliminer… littéralement. Alors qu’il se rend sans le savoir vers l’échafaud, une voix mystérieuse — en réalité, une technicienne de l’émission — l’interpelle par l’un des nombreux micros installés dans la ville, et lui ordonne de s’enfuir. Trevor prend donc ses jambes à son cou et une sempiternelle course-poursuite s’engage.
Cours, Trevor... Cours !
Si American Arcadia se présente initialement comme un platformer dans la même veine qu’un Inside, son gameplay asymétrique lui confère une vraie originalité. En effet, alors que Trevor se retrouve bien vite poursuivi par le service de sécurité de l’émission, son acolyte, Angela (celle qui lui sauve la peau) est capable de contrôler les caméras et autres appareils connectés, afin de l’assister dans sa fuite. En pressant une simple touche, on ferme des portes au nez de nos antagonistes, on active des grues de chantier pour nous aider à traverser un fossé, on éteint des lumières pour créer la confusion. Malgré quelques ralentissements, Trevor se meut avec fluidité et précision. Un vrai plus, lorsqu’on sait que la mort peut se cacher au tournant. Non pas qu’American Arcadia soit difficile, mais comme l’on galope le plus clair de notre temps tel un dératé, tomber dans un trou peu anticipable devient monnaie courante.
Cette diversité dans les situations rencontrées s’érige comme le vrai exploit d’Out of the Blue Games. Jamais l’on ne s’ennuie durant les sept à huit heures passées à sillonner Arcadia. Les énigmes se renouvellent sans cesse, entre puzzles bien pensés et phases d’infiltration rarement redondantes. Puis, lorsqu’on imagine avoir fait le tour des mécaniques de jeu, il arrive qu’on délaisse Trevor pour enfiler le pantalon d’Angela, que l’on dirige en vue FPS au sein des bâtiments de Walton Media. L’occasion de découvrir l’envers du décor, bien différent du cadre idyllique qu’offre Arcadia.
Une narration au premier plan
Là où la ville pensée par Elijah Walton fait étalage de couleurs chaudes et d’un environnement rétrofuturiste coincé dans les années disco, le monde extérieur se révèle morne, froid, avec des contours dystopiques bien prononcés. Véritable coup de force narratif, ce passage entre deux univers distincts permet de poser une question profondément éthique : rend-on vraiment service à Trevor, en voulant le sortir à tout prix de sa prison dorée ? Pourquoi lui faire découvrir les affres de la délinquance et de la misère sociale, alors qu’il disposait auparavant d’une vie tout à fait réglée ? Ces thématiques seront abordées avec une certaine finesse par les scénaristes du studio espagnol, sans jugement ni grosses ficelles.
Toutefois, que l’on ne vous induise pas en erreur : American Arcadia se prend peu au sérieux et regorge d’humour. Cela se ressent en premier lieu dans la relation que noue Trevor avec Angela, remplie de boutades et de bons mots. Mais aussi dans l’attitude de nos poursuivants, qui se laissent aller à bon nombre d’idioties du début à la fin (assez prévisible) du titre. Finalement, en plus de quelques soucis techniques (des sous-titres qui ne s’affichent pas, ainsi que quelques checkpoints mal placés), on reprochera surtout à American Arcadia son manque d’ambition musicale, alors que les 70’s offraient un contexte plein de potentiel.
Partant d’un hommage au grand The Truman Show, American Arcadia réussit à se façonner sa propre identité, plus légère que celle de l’aîné et multipliant les situations cocasses. Une farce orwellienne qui critique à toute berzingue l’éloge de l’outrance et la tyrannie de l’image. Mais surtout, le titre espagnol réussit un tour de force en renouvelant son gameplay du début à la fin de son périple, alternant entre platformer, infiltration et aventure narrative. Pour sa deuxième production, Out of the Blue Games a pondu une œuvre qui, sans être magistrale, restera l’une des belles réussites de cette fin d’année.