Critique

Born of Bread

Gattu
Publié le 27 janvier 2024

Développeur

Wildarts Studio Inc.

Éditeur

Dear Villagers

Date de Sortie

5 décembre 2023

Prix de lancement

24,99 €

Testé sur

PC

En cette fin d’année 2023, les orpailleurs de Dear Villagers ne connaissent pas le repos et continuent de charbonner les pieds trempés dans le sinueux cours d’eau de la scène vidéoludique, tentant de dénicher quelques pépites d’or enfouies dans la mélasse. Après avoir ramassé quelques belles caillasses quarante carats telles que Foretales ou The Forgotten City, c’est cette fois-ci le très chatoyant Born of Bread qui atterrit dans la batée de l’éditeur français. Un titre qui donne envie de s’affaler les panards en éventail sur un sofa, avant de s’envoyer dans la bonbonnière une tartine peinturlurée de beurre demi-sel made in Bordier. Houlà malheureux ! Recrachez donc cette mie tout juste sortie du four, c’est l’épaule de ce pauvre Tipain que vous venez de croquer ! Car oui, Born of Bread nous met dans la peau d’un être de farine et de levain, avec bras, jambes et tout le tintouin, dans un RPG à la Paper Mario. Autant le dire tout de suite, si on sent que Wildarts Studio a pétri son pain avec amour, ce dernier manque hélas sérieusement de cuisson.

papatissier !

Au cœur du château de la Reine, le boulanger royal, monsieur Dufourneau concocte depuis des lustres le meilleur pain du Royaume pour sa mégère de régente. Plutôt intérêt, cette dernière ayant le palais délicat et un caractère revêche, elle pourrait bien envoyer le pauvre artisan s’accroupir devant le billot en cas de raté. Alors Dufourneau s’applique, dose les ingrédients avec maestria et surveille attentivement ses fourneaux. Si bien, qu’en lieu et place d’un bon pain de campagne, en sort un golem de farine au sourire éclatant. Comme dans le conte de Pinocchio, le maître boulanger donne à la créature qu’il a engendrée un nom plein d’esprit : Tipain. Les estomacs en resteront donc marris, quitte à risquer le courroux de la Reine.

D’autant plus qu’une catastrophe couve au Royaume. Cherchant à mettre la main sur des artefacts oubliés, des méchants un peu idiots, menés par l’infâme Fripon, sèment le chaos derrière eux et mettent le feu à plusieurs quartiers de la capitale. Puisque les désastres surviennent juste après la naissance peu conventionnelle de Tipain, la Reine va juger Dufourneau responsable de ses tourments et l’emprisonne. Ainsi, il reviendra à notre croustillant héros la rude tâche de prouver l’innocence de son père, en se mettant en chasse de Fripon et sa bande.

Une odeur appétissante...

Aussi aérienne qu’une mie aux reflets nacrés, l’histoire de Born of Bread enchaîne les péripéties loufoques et les rencontres improbables. On pense notamment à cette guerre éternelle entre piafs et blaireaux, qui se bastonnent à coup de poireaux. Ou à cette guilde de héros bouffons, obsédés par la rutilance de leur image publique. Si Tipain reste mutique tout au long de l’aventure, les habitants des différents villages n’hésitent pas à lui donner la réplique. L’occasion d’admirer le soin apporté aux dialogues, remplis de calembours — tout le lexique lié à la boulangerie y passera —, d’une répartie farfelue et de références à la culture populaire. Attendez-vous à vous bidonner à de nombreuses reprises.

Néanmoins, cette légèreté omniprésente se paye avec un scénario qui manque d’enjeux prenants et qui se fige uniquement dans le registre de l’absurde. Résultat : l’histoire, assez prévisible, contée par Wildarts Studio peine parfois à impliquer le joueur. Un constat qui s’applique aussi aux personnages secondaires, qui se joindront à Tipain dans sa quête salvatrice. S’ils permettent de multiplier les ressorts comiques grâce à des traits d’esprit qui font souvent mouche, leur tempérament aurait mérité un travail un peu plus en profondeur, pour que l’on s’attache réellement à eux. Cela dit, rien de grave, car Born of Bread réussit à nous tenir en haleine avec sa mise en scène comique et ses péripéties rocambolesques.

La narration théâtrale que déploie Born of Bread est directement héritée de Paper Mario, principale source d’inspiration de Wildarts Studio, à qui il emprunte en outre certaines mécaniques de jeu, ainsi que le style graphique. À l’écran, cela se traduit par des personnages en deux dimensions, incrustés dans un environnement en trois dimensions. Pour sa direction artistique, les développeurs ont fait dans l’efficace, avec un enrobage coloré et cartoonesque qui séduit au premier regard. Néanmoins, ce parti pris pose des problèmes d’ergonomie lorsqu’on se lance dans l’exploration du monde de Born of Bread. Là où la saga Paper Mario abuse peu de la profondeur de champ pour profiter de son univers, Wildarts Studio en a fait au contraire un pilier central de sa jouabilité, avec une caméra qui se colle bien trop à Tipain. Cela veut dire que si l’on déplace notre héros vers le bas de l’écran, tout un pan du décor reste invisible à nos yeux. On déclenche alors involontairement des combats, on tombe à la flotte, on passe à côté de zones intéressantes et on finit, ipso facto, par cracher notre fiel.

... mais un peu acide

Pour ne rien arranger, les différentes régions du jeu s’étendent sur des kilomètres à la ronde, et ce qui aurait pu ravir les férus d’exploration deviendra vite aussi enquiquinant qu’un caillou dans une mie de pain. Bien sûr, il existe une carte pour se repérer dans les méandres du Royaume, mais celle-ci n’affichant que grossièrement quelques points d’intérêt, elle ne sert au bout du compte pas à grand-chose. Ces choix déroutants, on les retrouve dans un peu tous les pans de Born of Bread. Pour mener à bien sa quête, Tipain pourra compter sur l’aide d’acolytes piochés sur la route. Mais là où notre protagoniste glane de nouveaux pouvoirs en ramassant des armes — arc, louche et autre marteau — cachées en divers endroits, nos copains évoluent eux à l’aide d’un arbre de compétences classique, grâce auquel on débloque progressivement des magies de plus en plus puissantes. Un pot-pourri qui rend confus le fonctionnement de Born of Bread, obligeant le joueur à voguer un certain temps dans pléthore de menus illisibles et peu maniables.

Durant les phases d’exploration, nos camarades disposent de pouvoirs qui nous permettent de progresser. Lindt le renardeau pourra par exemple creuser dans le sable et libérer certains passages, alors que Yagi l’adepte des arts martiaux fera apparaître des plateformes normalement invisibles. Born of Bread prend donc des airs de Metroidvania, nous poussant à revenir sur nos pas pour accéder à de nouvelles zones qui recèlent butin ou quêtes secondaires. Un peu trop parfois, car les allers-retours seront nombreux et éreintants.

Quant aux affrontements, ceux-ci s’effectuent en duo et demandent au joueur une certaine adresse. Des petites QTE se déclenchent chaque fois qu’on lance une attaque, et il faudra aussi faire preuve de timing pour parer les torgnoles adverses. Un exercice qui a le mérite de dynamiser des escarmouches très faciles, face à un bestiaire peu varié. Autrement, l’efficacité de nos coups obéit à un système de force et faiblesse assez banal, qu’il sera nécessaire d’exploiter au maximum pour envoyer rapidement au tapis nos antagonistes. Enfin, Wildarts Studio s’est laissé aller à une originalité rigolote, celle d’avoir tous nos combats diffusés en direct sur une plateforme de streaming à la Twitch. On lit alors avec amusement les commentaires idiots des utilisateurs, qui nous demandent parfois de réaliser des actions spécifiques, pour récupérer via des points des capacités spéciales. C’est certes anecdotique, mais toujours divertissant.

C’est un pain mi-figue mi-raisin qui est sorti du four de Wildarts Studio. Son ergonomie brinquebalante et ses quelques choix de game design douteux laissent à penser que Born of Bread aurait bien mérité quelques heures de cuisson supplémentaires, pour mieux mettre en lumière les péripéties de Tipain et ses amis. Malgré quelques cloques manifestes, le premier jeu d’envergure de Wildarts Studio peut valoir le coup d’œil, au moins pour son écriture truculente et son goût évident pour l’absurde.

THRONEFALL

Bâtir et défendre son royaume

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