Critique

Sea of Stars

Gattu
Publié le 12 septembre 2023

Développeur

Sabotage Studio

Éditeur

Sabotage Studio

Date de Sortie

28 août 2023

Prix de lancement

34 €

Testé sur

PC

Tandis qu’en ce mois de septembre, tous les projecteurs se sont braqués vers Starfield et ses ambitions célestes, un outsider méritant tente lui aussi de se faire une place parmi les étoiles. Ne vous laissez pas influencer par son graphisme old school aux faux airs de Chrono Trigger, car Sea of Stars est loin d’être un projet réalisé par de jeunes premiers. Équipe québécoise ayant acquis une solide réputation dans le monde du jeu indépendant grâce à The Messenger — hommage ô combien réussi à Ninja Gaiden et Shinobi —, Sabotage Studio se frotte cette fois-ci à un tout autre genre de jeu, celui du JRPG à la sauce Final Fantasy. Un financement participatif qui accumule plus d’un million de dollars, puis quatre années de développement durant lesquelles le futur consommateur croule sous des vidéos de gameplay chatoyantes et pêchues, avant la sortie tant attendue. Autant dire que tous les voyants étaient au vert pour faire de Sea of Stars une nouvelle référence vidéoludique. Pourtant, une fois remis de l’émerveillement lié à un superbe graphisme, le titre canadien laisse rapidement un petit goût amer en bouche… un petit goût que l’on appellerait déception.

De Chrono Trigger à Super Mario RPG

Dans un village coupé du reste du monde, deux jeunes élus s’entraînent quotidiennement au sein d’une académie, pour embrasser leur destin de guerriers du Solstice. Zale manie le feu du soleil, là où Valère maîtrise la magie sélénite. Leur rôle ? Protéger le bas peuple des créatures d’un redoutable alchimiste, le Fleshmancer, qu’ils ne peuvent abattre que lorsque la lune s’exhibe pleine au milieu des astres. Vous pouvez tout à fait vous fier aux apparences : oui, l’histoire de Sea of Stars se veut d’un manichéisme désuet, voire peut-être assumé, comme pour faire honneur aux grands frères dont il s’inspire, qui mettaient en scène la sempiternelle lutte entre les forces du bien et du mal. Une armature loin d’être un repoussoir, tant qu’elle reste ouvragée avec soin. Pensons par exemple à Chrono Trigger, qui faisait du cliché un véritable socle créatif, lui ayant permis de déployer une épopée tragi-comique aux ramifications improbables, ainsi que des personnages haut en couleur et savoureux.

Dans Sea of Stars, hélas, rien de tout ça. Pourtant, l’aventure démarre sous des auspices favorables, en tissant patiemment la mythologie de son univers, entre titans endormis, divinités filandreuses et vilains aux aspirations mystérieuses. Dès lors, quelque chose d’enchanteur se dégage de la production québécoise, qui semble avoir pioché le meilleur de ses multiples sources d’inspiration — Chrono Trigger et Super Mario RPG en tête. Sauf que la suite s’avère plus… ronflante. La faute en premier lieu à des protagonistes qui manquent d’épaisseur. Valère et Zale en sont une illustration marquante. Amputés de tout background, nos deux héros paraissent absolument interchangeables et s’abandonnent à une avalanche de platitudes. Bien sûr, l’avocat du diable pourrait arguer que cette absence d’individualité est liée à leur condition d’élu, modelé dans un seul et unique but, celui d’empêcher la fin du monde.

Une plaidoirie irrecevable, puisqu’un phénomène similaire contamine le reste du casting. L’ami d’enfance Garl nous empoisonne d’une positivité qui ne flanche jamais, et l’assassine Serai se mure constamment dans une réserve forcée… Les acteurs de Sea of Stars ne se construisent qu’autour d’un seul et unique trait de personnalité et n’évolueront jamais au gré des péripéties. Garl est gentil, Serai timide, point barre. Quant à Zale et Valère, une huître accrochée à son poteau passe pour plus charismatique que nos deux compères. Une incompréhension lorsqu’on se remémore l’humour impertinent de The Messenger, capable de nous secouer les côtes en quelques saillies bien senties. D’autant que tout le titre se noie dans un océan de mièvrerie, même quand les événements prennent une tournure dramatique. Pour imager cela, rien de plus probant qu’une citation de Garl, tandis qu’il se heurte à notre méchant aux tendances génocidaires, « Le Fleshmancer, c’est vraiment un gros nul ! » Du calme, garçon, des enfants nous lisent.

Des gammes maîtrisées, mais à la sonorité redondante

Au-delà d’une écriture en délicatesse, Sea of Stars présente, dans une moindre mesure, un rythme qui devient à la longue ennuyeux. Rien à redire sur la construction des donjons, qui nous tiennent en haleine grâce à une foultitude de petites énigmes, que l’on résout en nous appuyant sur les pouvoirs de nos deux héros — la possibilité de contrôler le cycle jour/nuit, de déplacer des obstacles en profitant d’une magie du vent, de faire du parkour, etc. Néanmoins, le jeu canadien s’enferme dans un schéma histoire > donjon > boss > histoire redondant. Sans forcément se perdre dans des à-côtés triviaux, Sea of Stars aurait gagné à offrir des pauses respiratoires dans son scénario si linéaire. On se souvient bien évidemment de l’opéra de Final Fantasy 6 ou du festival de Chrono Trigger. Tous ces moments qui, en plus d’étoffer le folklore d’un monde et d’approfondir les liens entre les personnages, permettent au joueur d’oublier un instant la lourdeur de sa quête salvatrice. Au lieu de ça, Sea of Stars fonce à grande vitesse vers son dénouement, sans s’écarter des rails qu’il s’est imposés ni s’accorder la moindre audace dans sa mise en scène.

Quel dommage ! car celui-ci avait tout pour nous en mettre plein la vue. Déjà en engageant un grand nom de la mélodie en la personne de Yasunori Mitsuda, qui a auparavant bossé sur de grosses productions telles que Chrono Trigger ou Xenogears — même si, bien que techniquement irréprochables, la plupart des pistes musicales manquent sincèrement de panache. Mais surtout en faisant montre d’un coup de crayon absolument délicieux. Car Sea of Stars est beau, très beau. Direction artistique impeccable, décors variés fourmillants de détails, bestiaire imaginatif et effets de lumière somptueux. Un écrin finement taillé, néanmoins lésé par un contenu pas à sa hauteur.

Autrement, Sea of Stars s’avance comme un jeu de rôle aux mécaniques, à première vue, assez classiques. Chaque personnage, et c’est justifié par le scénario, appartient à une classe de combattant prédéfinie, avec des pouvoirs aussi bien offensifs que défensifs. Comme nous le disions auparavant, Zale peut pulvériser ses adversaires d’un orbe de lumière, là où Valère envoie des croissants de lune dans leur figure. À nos deux élus s’ajoutent le guerrier cuisinier Garl, qui soigne ses copains en concoctant avec amour bonne soupe et autre poêlée de champignons, et Serai qui maîtrise l’art du poison à la perfection — nous garderons la surprise des derniers protagonistes, qui n’intègrent l’équipe que tardivement dans l’aventure.

viser la lune... ça fait un peu peur

À l’instar de Chrono Trigger, les combats de Sea of Stars demandent une certaine réflexion. Le positionnement des belligérants, dans quel ordre faire agir nos protagonistes, notre dextérité, sont autant de paramètres à prendre en compte pour qu’une escarmouche connaisse une conclusion positive. L’appel à l’agilité du joueur s’érige telle une des originalités de Sea of Stars. En effet, en appuyant sur la barre Espace pile au moment où une estocade est portée, en attaque comme en défense, on en maximise sa puissance ou, au contraire, on encaisse mieux les dégâts. Certains coups spéciaux nous obligent même à marteler notre touche avec frénésie, avec un sens du timing scrupuleux. Si durant le prologue, nos mentors insistent sur le fait que rater ce petit jeu d’adresse n’est en rien punitif, la réalité montre qu’il reste préférable de ne pas trop se mélanger les doigts, sous peine de connaître quelques difficultés lors des (rares) prises de bec retorses. Pas toujours d’une grande précision en particulier en phase défensive, cette mécanique permet de dynamiser les combats et de maintenir bien éveillé le joueur.

Vous allez nous dire, où qu’elle est la réflexion là-dedans ? Nous y venons. L’autre particularité de Sea of Stars, c’est que le joueur détient le pouvoir d’affaiblir, voire d’annuler les attaques spéciales adverses. Pour faire simple, lorsqu’un monstre s’essaye à la magie, une infobulle indique une combinaison de dégâts à effectuer — par exemple, poison, lumière, contondant —, en un nombre de tours limités, pour bloquer l’offensive. C’est ensuite au joueur de se creuser les méninges afin d’atteindre son but avant que l’adversaire ne passe à l’action. Quel personnage doit ouvrir les hostilités ? Faut-il accomplir un combo (une attaque conjointe) pour cumuler plusieurs types de dommages ? Finalement, tous les combats se métamorphosent en sympathiques casse-têtes, et évitent le fameux syndrome de l’« auto-attack » inhérent au genre du jeu de rôle japonais. Une réussite, donc ?

Là encore, quelques ombres viennent assombrir le tableau. Si Sea of Stars ne permet aucune personnalisation de son casting — on le répète, le scénario le justifie bien —, on peut en revanche déplorer le nombre riquiqui de coups spéciaux de nos protagonistes, qui altère en mal les possibilités stratégiques. Dans la même veine, l’équipement permettant d’améliorer nos héros demeure… famélique. Une fois ceci compris, l’exploration des fabuleux environnements de Sea of Stars en devient moins intéressante, moins grisante.

S’il y a bien une chose que l’on peut reconnaître à l’équipe de Sabotage Studio, c’est cette volonté sincère de rendre hommage aux jeux qui prennent la poussière. The Messenger avait brillamment ouvert la voie, Sea of Stars n’était pas loin de connaître un destin similaire. Mais même les plus talentueux développeurs peuvent chuter dans le piège de certains écueils, et percevoir tardivement la particule de sable faisant grincer une mécanique qui paraissait si bien huilée. Sea of Stars dévoile des atours magnifiques, certes, Sea of Stars exhale des effluves merveilleux, sans aucun doute, Sea of Stars fait étalage de quelques bonnes idées de gameplay, oui. Pourtant, il manque au titre québécois un quelque chose… une profondeur qui aurait pu lui faire atteindre le firmament. Sea of Stars c’est une lettre d’amour écrite sur du vélin, mais sans le beau verbe. Une histoire qui déborde de niaiserie, des personnages qui ont du mal à prendre vie, une mise en scène frileuse. Une épopée qui en devient donc répétitive, oubliable, même si l’arpenter n’est pas le pire qui puisse vous arriver.

 

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