Critique

Loop Hero

BassKass
Publié le 3 avril 2021

Développeur

Four Quarters

Éditeur

Devolver Digital

Date de Sortie

4 mars 2021

Prix de lancement

15 €

Testé sur

PC

Nombreuses sont les personnes à railler la répétitivité des quêtes dans les jeux vidéo d’aventure : « Oh la la cette quête de ramassage de palourdes dans la forêt pétrifiée, je l’ai vue cent fois ».  » Oh non, c’est le troisième forgeron qui a perdu son enclume favorite dans la tanière du plus ancestral des dragons dévoreurs de monde ». De nos jours, certain.e.s créateur.ices se défendent de telles affirmations en promettant des quêtes originales, des personnages générés par milliers, des intrigues encore plus riches et écrites par des équipes de spécialistes pour tromper l’ennui du joueur. Mais pas le studio Four Quarters. Eux, ils se sont dit : « Oui c’est répétitif et on va même en faire un jeu très répétitif avec beaucoup de répétitivité autour de la répétition ».

le jeu dont vous n'ÊTES PAS LE HÉROS

Loop Hero s’ouvre sur le néant. Le vide. L’oblitération totale. Et pour cause, Loop hero commence par le triomphe des méchants, qui ont enfin réussi à détruire le monde après environ un siècle de films, séries, livres, bandes dessinées et jeux vidéo, à monter des plans toujours plus nuls et qui se finissent toujours dans l’échec et les « j’aurai ma revanche un jour, vous verrez ». Parmi les décombres et dans les ténèbres, les quelques survivants ont vu leurs souvenirs effacés et l' »élu » – parce qu’il en faut bien un quelque part quand même – va tenter de se souvenir du monde perdu et rétablir un semblant de normalité dans l’univers.

Lâchez cette manette. Et le clavier, aussi, posez le dou-ce-ment. N’espérez même pas diriger le héros de l’aventure et fendre des vilains en deux grâce à votre dextérité légendaire. Là où Loop Hero se démarque de bon nombre des productions vidéoludiques, c’est qu’il vous oblige à lâcher prise. Sur un petit chemin constitué de tuiles tout droit venues des jeux pour ordinateur des années 90, le héros se déplace automatiquement. D’ailleurs, lorsqu’il croise de vulgaires blobs ou gobelins, l’effronté se permet même de les combattre tout seul, lors de séquences de combat automatisées. Ce n’est pas vous le héros, mais vous présidez à sa destinée et à celle de son monde, et ce avec des cartes et la toute puissance des boucles temporelles.

LE FUN EST AFFAIRE DE RÉPÉTITION

Si le petit personnage casqué tourne en rond sur ce chemin, vous décidez néanmoins de ce qu’il va rencontrer, en jouant des cartes comme des tuiles de jeu de société, sur le bord de la route, autour du chemin ou même directement sous les pas du héros. Jouer une carte, c’est planter une prairie, ériger une montagne, faire sortir de terre un bosquet intriguant, et ainsi procurer différents bonus au héros, à intervalles réguliers. Loop hero divise son unité de temps en jours, signalés par un cocorico enroué, et le personnage voit remonter ses points de vie à chaque lever du soleil, mais aussi surgir rats, loups, vampires et squelettes au même rythme journalier. Ajouter un cimetière sur le chemin permet d’obtenir des matières premières – dont l’importance vous est décrite plus bas -, mais c’est aussi l’assurance de devoir y affronter un sac d’os armé d’une épée à chaque fois que l’on passe sur la case. Les cartes sont des bonus et font progresser le héros, mais sont aussi annonciatrices de dangers futurs, qu’il faut recroiser à chaque boucle effectuée, obligeant le joueur à bien penser leur placement et à ne pas tout poser sans réfléchir, au risque de rendre l’aventure trop complexe à chaque nouveau jour pour notre petit protégé. La complexité arrive bien assez tôt d’ailleurs, en même temps que le boss de fin de chapitre – invoqué au bout d’un certain nombre de cartes posées – écrase l’aventurier et renvoie tout ce petit monde de pixels au début d’une nouvelle boucle à reconstruire.

La perte d’équipement et de matières premières laisse un goût amer et caractéristique lorsque l’on cherche à pousser la boucle trop loin, mettant la mécanique du « Stop ou encore » au cœur de l’expérience. Loop Hero oblige à la vigilance, et récompense la prudence en permettant au joueur se repliant de son plein gré d’une série de boucles trop ardues de conserver tout ce qu’il a amassé dans son périple. En revenant au camp, le joueur chargé de bricoles et de bouts de bois va pouvoir construire différents bâtiments qui faciliteront ses prochaines aventures en permettant d’emporter de l’équipement supplémentaire, de remplir des potions, d’augmenter ses statistiques ou bien en ajoutant de nouvelles cartes – forêt, village, tour de guet – à choisir au moment de constituer le paquet de départ. Trois classes de héros peuvent également être obtenues  et apportent suffisamment de variété dans la préparation des parties, le déroulement des combats ou l’obtention de matériel.

La richesse du jeu repose d’ailleurs grandement sur la variété des cartes et les combinaisons qu’elles permettent, et pousse à l’expérimentation dans leur placement : un champ accolé à un village augmente la capacité de récupération de points de vie du héros lorsqu’il le traverse, tandis que l’ajout d’une montagne à un ensemble de tuiles déjà posées transforme le tout en pic montagneux, faisant gagner plus de ressources mais augmentant les chances de voir apparaître une harpie sur le chemin. Il n’est pas rare de voir des tuiles en transformer d’autres et fournir de nouveaux bonus et ennemis, et le jeu se veut très généreux en termes de surprises du genre, qui, une fois comprises par le joueur, faciliteront l’appréhension de ses prochaines tentatives et augmenteront la maîtrise de ces environnements fourbes qui donnent d’une main et reprennent de l’autre.

La liste des petits plaisirs provoqués par Loop hero s’enrichit aussi de celui d’observer son mini théâtre d’aventures prendre vie et de le modeler à sa guise, en plaçant là un bosquet maudit, là un manoir vampire, là un marais puant, ce qui ravira à coup sûr les petits maîtres du jeu de rôle qui sommeillent en vous. Et si vous adhérez à son esthétique tout de marron et de gris pixellisé, vous passerez de très chouettes moments à observer cet aquarium-RPG.

on est dÉjÀ passÉ par lÀ, NON?

Original et doté de mécaniques très malines et complémentaires, Loop Hero paye néanmoins son concept innovant du prix de la lassitude et de la chronophagie. Obtenir le bon nombre de matériaux pour passer un pallier dans la progression lente que propose le jeu est long et pousse à renouveler des parties quasi-identiques. Des bâtiments et des améliorations pourtant basiques comme la salle d’archives, permettant de donner accès à l’encyclopédie et de beaucoup mieux préparer ses futures sorties, ne sont disponibles qu’au prix de plusieurs heures à enchaîner les parties, qui de fait, se ressemblent beaucoup quand elles entraînent le joueur dans une collecte acharnée de matériaux rares.

On se retrouve alors face à un jeu qui lorgne un peu trop du côté de l’idle game, idée basée sur la répétition d’une tâche dans le simple but de débloquer la prochaine amélioration toujours plus coûteuse : pour y voir plus clair et vous familiariser avec l’idée, Cookie Clicker est un des représentants les plus redoutables du genre. Et les parties jouées en soufflant – et en usant des yeux déjà fatigués par l’âge sur des menus peu lisibles – se font nombreuses, rythmées par le clic mou des tuiles que l’on a déjà posées cent fois et de l’équipement que l’on finit par changer sans trop y porter attention, avec pour seul horizon l’obtention des dix minerais manquants pour la construction de la forge.

Ajoutons à cela le pilier central du jeu autour de la boucle temporelle, et celle de l’ennui s’en trouve assez régulièrement… bouclée. Attendez vous donc à passer par des moments pas faciles-faciles et un peu relous-relous entre deux découvertes enrichissant astucieusement les mécaniques.

Radical dans sa proposition de faire du joueur un maître du jeu présidant à la destinée d’un aventurier en quête de ses souvenirs, Loop Hero réussit à surprendre, à accrocher et se montre indéniablement addictif. Son système de tuiles à poser est riche de combinaisons, tout comme il permet de façonner de jolies cartes qui évoquent les prémices du jeu de rôle sur ordinateur. Reste que face à un système de progression trop basé sur la collecte fastidieuse et rattrapé par son concept de boucle temporelle, il pourra laisser le joueur s’embourber dans de longues séances d’ennui, à regarder son petit monde d’heroic fantasy artificiel tourner en rond.

Laisser un commentaire