La partie et la partition.
Critique
Rugby 22
Développeur
Eko Software
Éditeur
Nacon
Date de Sortie
27 janvier 2022
Prix de lancement
39 €
Testé sur
PC
Il y a quelques mois, les fans de football se sont émus de la modélisation de leurs joueurs favoris lors de la présentation du jeu E-Football. C’est vrai que Lionel Messi avait une drôle de tête. Mais nous qui aimons les jeux de rugby, ça nous fait bien rigoler. Parce qu’ils n’ont jamais été jolis les jeux de rugby. Jouables ? Pas trop non plus, à quelques exceptions près qui avaient opté pour une approche arcade à rendre fou un spécialiste, mais quand même un peu fun – Vous êtes à jamais dans mon cœur, Jonah Lomu Rugby et WCR.
tAMPONS ET CRAMPONS
Avec Rugby 22, disons qu’on se trouve du côté “simulation” de la force. Le jeu a vocation à restituer au plus près les vraies sensations d’un match, ainsi que ses multiples et complexes phases de jeu : touche, mêlée, maul, ruck, différents types de coups de pied, de passes, de combinaisons, de placements en attaque et en défense. Et autant vous dire que si vous ne suivez le rugby que de loin depuis quelques années, ça risque de faire drôle. Rugby 22, c’est pour les gens qui suivent de près le sport, voire qui y ont déjà joué tant les éléments tactiques sont mis en avant et les explications inexistantes. Alors pour attirer de nouveaux joueurs ou joueuses, on repassera, Rugby 22 est aussi obscur que le rugby de la vraie vie, sauf que dans le premier il n’y a même pas les copains, les copines et l’odeur de la pelouse sur laquelle s’écrase notre doux visage.
D’ailleurs, il faut aussi être parfaitement à l’aise avec tous les boutons d’une manette moderne, tant ils sont souvent sollicités – et de manière différente selon les phases de jeu – que vous soyez en défense, en attaque, en train de préparer un coup de pied ou d’essayer de lancer une combinaison. En plus d’être connaisseur, il faut être un joueur de jeux vidéo de sports collectifs plutôt aguerri pour mémoriser tout le bazar – presque conçu comme des mini-jeux liés entre eux par le mouvement du ballon -, et se souvenir qu’une mêlée fermée ça ne se joue pas comme une mêlée ouverte. Oui, je sais, les termes du rugby c’est l’enfer et tout le monde se fâche tout le temps car on fait semblant d’y piger quelque chose depuis plus d’un siècle, mais bon ya de la bagarre, ça suffit à la plupart des gens.
LE PLAN TACTIQUE, LE PLAN TECHNIQUE ET LE PLAN-PLAN
Bon, après s’être mouillé la nuque – très important avant de plonger la tête dans les côtes d’un adversaire – il faut bien choisir son équipe de poètes favorite – les miens ils viennent du centre de la France, ils adorent les pneus, ils jouent en jaune et bleu et ils me font pleurer à chaque finale. Rugby 22 dispose des licences des deux championnats professionnels français, des équipes galloises, irlandaises ainsi que de quelques nations – la France, la Nouvelle-Zélande, mais pas l’Angleterre ni l’Afrique du Sud. Eko Software n’a pas les moyens d’un gros studio en termes d’images de joueurs ou de maillots officiels, et ce n’est pas très grave, même si voir jouer les Argentins en jaune, ou les Sud Africains en rouge, ça peut donner envie de se crever les yeux avec nos crampons quand on aime ce sport, mais passons. Si le jeu est bon, après tout ce n’est pas si grave et je ne crois pas que se crever les yeux soit très utile pour affûter son appréciation d’un jeu vidéo, posez ces chaussures s’il-vous-plaît.
Il ne va pas s’agir de détailler phase par phase les problèmes de Rugby 22, ce serait long, à la rigueur invitez-moi à boire une bière et je vous assomme de discours techniques et de théories de la collision entre corps bodybuildés, mais je doute que vous vouliez que je revienne. En fait, Rugby 22 veut trop en faire. La préparation de chaque attaque demande presque de faire pause, et cela nuit au dynamisme tant les possibilités tactiques sont nombreuses en attaque comme en défense. À tel point que le jeu se révèle mou, malgré un certain soin apporté aux impacts ou aux différentes esquives. Sans patience, sans modifier régulièrement votre approche, sans comprendre son interface à tiroirs, vous êtes sûr de ne pas passer un bon moment, tant le jeu oblige à jouer dans un cadre très précis et presque sans aucune possibilité d’improviser ou de tenter le diable avec un joueur vedette. Vous réussirez des passes, vous marquerez des essais mais vous ne sauterez pas de joie car il n’y a ni percussion destructrice, ni accélération foudroyante. Il y a plutôt des erreurs d’arbitrage étonnantes, des joueurs qui continuent de courir alors qu’ils sont manifestement sortis du terrain, des phases de récupération éreintantes et un système de tir au but nécessitant un doctorat en ballistique… QUI A DIT « C’EST COMME LE VRAI RUGBY, EN FAIT » ? JE VOUS VOIS HEIN !
Rugby 22, c’est le rugby du tableau noir sur lequel on dessine des flèches auxquelles le joueur de rugby moyen et le public ne comprennent pas grand chose. C’est le rugby qui procure du plaisir une fois sur dix attaques, le rugby qui devient mou à force d’essayer de restituer les vraies sensations d’un match. Donnez-nous des tampons qui tamponnent, des os qui craquent, des joueurs qui courent beaucoup trop vite, des passes impossibles, du sang, des larmes, faites-nous sentir vivants.
Le rugby a une dynamique particulière, coincée entre la fluidité du foot et le découpage en phases intenses du football américain. Et les jeux vidéo ont régulièrement eu le short coincé entre deux bancs de vestiaire, entre une approche basée sur la vitesse et le foutoir rigolo et une autre très sérieuse mais au rythme hâché et aux écueils techniques et tactiques trop présents. Rugby 22, s’il ne démérite pas dans le genre, fait partie de la deuxième catégorie et se réserve aux plus patients, indulgents et compréhensifs des gens qui aiment le rugby et les jeux vidéo. J’ai compté et ça doit concerner douze personnes, moi inclus.