Berserk and the Band of the Hawk

La série de manga Berserk de Kentaro Miura existe au bas mot depuis la fin des années 80. Plus d’un quart de siècle après, elle n’a toujours pas trouvé sa fin en continuant à alimenter l’esprit affamé de ses fans. Œuvre lorgnant sans vergogne du côté de la Dark Fantasy, elle aura su immortaliser un univers d’ultra-violence sachant offrir à son public entre les scènes d’action d’anthologie, de purs moments de poésie macabre aux émotions à fleur de peau. Berserk, c’est avant tout une histoire d’amitié, d’amour et de trahison, tout cela à la fois, et, qui ne peut laisser indifférent. Alors forcément, quand j’ai appris la venue d’un jeu portant sur les aventures de Guts et de ses comparses, mon excitation fut à son comble.



The Golden Age

Berserk est avant tout un manga qui est toujours en publication à ce jour. Il aura eu droit durant son incroyable longévité à une première série animée vers la fin des années 90, suivie plus récemment par trois films, tous portant sur l’arc narratif de l’âge d’or, le plus connu et le plus apprécié des fans. Cet arc est d’une importance capitale dans les fondations de sa mythologie. Quant à l’année dernière, elle aura vu naître une nouvelle série animée de douze épisodes au bilan mitigé portant sur les débuts de l’arc narratif faisant suite celui-ci.

Le manga de Berserk démarre tout autrement que la première série ou les trois films. Plusieurs histoires nous y montre le Guts (Gattsu) que nous connaissons actuellement, chassant les démons qui pullulent alors dans son monde. Ce n’est que quelques volumes plus tard que Kentaro Miura, son auteur, se penchera sur le passé de notre héros à l’épée géante. Guts n’est alors qu’un nouveau-né baignant dans le sang de sa mère pendue, encore lié à cette dernière par le cordon ombilical. La vie allait nous dire qu’elle ne lui ferait pas de cadeau dès sa naissance, mais également qu’il serait un battant, un survivant. Il sera recueilli à contre-cœur par Gambino, un mercenaire, pour faire plaisir à sa compagne.

L’histoire est ensuite celle d’un gamin malmené sur les champs de bataille, violenté et abusé, qui ne trouvera le sommeil qu’en s’endormant auprès d’une épée deux fois plus grande que l’enfant qu’il fut. C’est aussi par la guerre qu’il fera par la suite connaissance dans des circonstances très spéciales avec la bande du faucon, un groupe de mercenaires rivaux. De sa rencontre avec leur chef se nommant Griffith, c’est toute sa destinée qui se verra transformée, en bien comme en mal. Griffith est un autre enfant victime d’un monde cruel envers sa jeunesse. Il est doté d’une ambition qui aura toujours été le seul moteur de sa survie. Griffith comme Guts ont vécu des choses similaires, un peu comme bon nombre des membres des faucons. Notamment Caska qui devra à terme composer entre ses sentiments naissant pour Guts et son admiration maladive pour Griffith, occultant à ses yeux les facettes sombres de sa personnalité.

Fortement inspiré par l’Europe médiévale, Berserk durant son âge d’or nous conte la montée et la descente aux enfers d’une bande de mercenaires pas comme les autres. Tandis que dans la normalité d’un monde en proie à de multiples conflits armés, le fantastique et l’horreur surnaturelle vont venir s’y superposer peu à peu. Une ancienne amitié va alors se transformer en rivalité teintée de vengeance. Le jeu qui nous intéresse aujourd’hui abordera l’âge d’or comme les prémices de sa suite, l’arc de l’épéiste noir. Celui d’un Guts portant l’armure du Berserker et brandissant une épée deux fois plus grande que lui, la Pourfendeuse de Dragon.



L’épéiste noir

Si vous n’êtes pas familier avec l’univers de Berserk, je n’en dirai pas plus, mais vous demanderai en revanche de faire demi-tour immédiatement pour vous jeter sur les mangas, et dans une moindre mesure sur les animés. Le jeu se contente en effet d’alimenter son stock de séquences cinématiques en piochant dans les films d’animation. Berserk and the Band of the Hawk est avant tout un Musou, qui comme les Dynasty Warriors reposera essentiellement sur des batailles à un contre cent. De ce côté, il ne brille pas spécialement en innovant beaucoup sur une formule usée et abusée. Entre chaque mission, vous pourrez à l’envie customiser les performances votre champion et l’équiper en conséquence. Dans le feu de l’action, vous enchaînerez les coups à base d’une action faible et d’une puissante dans un système de combos particulièrement primaire et simpliste au possible. Le Musou est par définition le beat them all du pauvre où la sensation d’être surpuissant prime sur la subtilité d’un combat plus pointu.

Cela ne veut pour autant pas dire qu’il suffit de taper dans tous les sens, et ce notamment dans les difficultés les plus élevées. Il y a de plus une forme de stratégie à prendre en compte par la gestion de la foule, de vos attaques, la prise de positions ennemies et surtout l’accomplissement d’objectifs annexes, comme de porter secours à vos coéquipiers par exemple. Le but du Musou est d’émuler de grandes batailles et de faire de vous le héros capable de massacrer à tour de bras des centaines d’individus à la minute. Le but n’est clairement pas d’être réaliste, mais de vous divertir en vous faisant sentir puissant. Un fantasme comme un autre qui sur le papier devrait coller comme un gant à l’univers de Berserk, vu les nombreuses batailles qui ont parsemé l’âge d’or de la bande du faucon.

Or c’est quand on s’attaque à la suite de l’événement marquant la fin de cet âge, par conséquent après l’éclipse, que les choses vont se gâter. Déjà auparavant, le jeu avait rallongé de façon superficielle l’histoire originelle en rajoutant des missions qui n’avaient pas réellement leur place. L’arc faisant suite à cet âge d’or met en place Guts dans des situations plus intimistes que celles d’une guerre entre deux armées. Pendant plusieurs volumes du manga, notre héros fut seul ou accompagné d’un groupe réduit. Le style du Musou colle du coup de moins en moins à l’univers, même si Guts affrontera son lot d’ennemis en grand nombre. Mais l’atmosphère et le style est tout autre. Dès lors, ce que le jeu a de plus en plus de mal à cacher, c’est le fait qu’il est en total décalage avec l’œuvre qu’il tente d’adapter.

S’il est vrai que le fan trouvera en lui un bon défouloir à petite dose – le genre étant tout de même fort répétitif, et plus spécialement ici où certains niveaux sont recyclés sur plusieurs missions – ce n’est finalement pas vraiment ce qu’on attend d’un jeu basé sur Berserk. Son monde est celui d’une réalité transformée devenue horreur au quotidien, entre la mort, la guerre, la famine et la peste. Les quatre cavaliers de l’apocalypse y dominent un sujet dont l’univers graphique doit sans doute beaucoup à des artistes et auteurs comme Gustave Doré. Or, ce Musou ne parvient absolument pas à retranscrire cette ambiance propre au manga de Kentaro Miura. Il le vide de sa substance en nous rendant une copie sans saveur.



Un coup manqué

Le seul jeu ayant à ce jour réussi à transposer numériquement l’atmosphère si particulière d’un Berserk est sans aucun doute la série des Dark Souls, cette dernière ne cachant pas trop non plus s’en être d’ailleurs inspirée à la base. Le gameplay des Dark Souls est sans difficulté le seul qui pourrait réellement correspondre à cet univers. Ce que malheureusement n’arrive pas à faire celui qui nous intéresse aujourd’hui. Il lui manque définitivement la subtilité de mécaniques nous faisant sentir tout petit face à des créatures inhumaines et écrasantes de par leur puissance. Guts n’est pas un héros sans peur. C’est un survivant plein de colère, mais il n’est pas invincible. Comme le montrera l’arrivée dans le manga de la petite sorcière Schierke, il souffre autant physiquement que mentalement de son passé et de sa condition actuelle.

Honnêtement, si le fan en vous recherche toute la force de l’histoire de Berserk, ce sentiment de Guts de n’être finalement rien face aux monstres qui l’habitent lui et son monde, celui d’une réalité altérée et écrasante de par sa noirceur, passez votre tour. Berserk and the Band of the Hawk est dans le fond un Musou assez conventionnel qui peine à réellement se renouveler. Narrativement parlant, il n’apporte rien au final au manga ou aux animés. Même du point de vue du jeu, il ne parvient pas à vraiment nous faire rentrer dedans. Ce n’est pas faute aux graphismes plutôt corrects pour le genre, se permettant même d’être plus beaux que ce à quoi on est habitué à voir chez ce type de jeu. Malgré tout, il souffre d’un aliasing encore assez prononcé qui ne l’empêche aucunement de ramer pendant des scènes de batailles fourmillant d’adversaires et d’effets spéciaux dans tous les sens.

Le contenu y est cependant plutôt généreux. En terme de durée de vie, il y aura de quoi faire de nombreuses heures durant si on ne s’ennuie pas avant. Il offre son lot de personnages en sus de Guts avec la possibilité de jouer des célébrités comme Griffith, Caska, Nosferatu Zodd ou encore Schierke. On regrettera cependant que parmi eux, certains personnages importants du manga soient absents de la sélection jouable. Le mode histoire ne vous permettra cependant d’incarner que les personnages correspondant aux événements joués. Il faudra se tourner vers un autre mode pour pour pouvoir contrôler librement n’importe lequel d’entre eux sur chacune des missions que compte le jeu. Ou bien s’essayer au mode éclipse pour y tester ses compétences dans ce qui n’est ni plus, ni moins qu’un survival, où vous devrez résister le plus longtemps possible aux attaques ennemies.

Berserk and the Band of Hawk sans être rédhibitoire n’est qu’un coup d’épée dans l’eau. Pour un Musou, il est dans la moyenne et ne brillera pas forcément plus haut en l’absence d’innovations majeures. Alors qu’en ce qui concerne sa retranscription de l’œuvre dont il a la charge, il tape complètement à côté. Même ses musiques paraissent oubliables en comparaison de celle de la première série animée, marquée par les partitions entêtantes de Susumu Hirasawa. Mais son principal défaut restera son incapacité à avoir su me faire ressentir les mêmes émotions et sensations que le manga, ou éventuellement les animés, auront su m’apporter.


Voilà un Musou de plus qui aurait pu se démarquer en offrant enfin un jeu digne de nom à la saga Berserk. Et bien non. Ce n’est pas cette fois-ci que l’on pourra incarner Guts et sa bande dans une aventure faisant honneur à leur histoire. La narration y est malencontreusement succincte et limitée à quelques séquences cinématiques, la plupart reprenant des scènes des films animés. Et les combats n’y sont pas suffisamment subtils pour représenter la richesse et la variété de ceux du manga. Il en reste un jeu manquant énormément de saveur et de personnalité, qu’il aurait pu avoir si seulement il avait fait l’effort d’adapter le Musou aux exigences d’un univers riche comme celui de Berserk, et non l’inverse.

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