Critique

The Dark Pictures Anthology:

MAN OF MEDAN​

Développeur : Supermassive Games – Éditeur : Bandai Namco Entertainment
Date de Sortie : 30 août 2019 – Prix : 29,99 €

The Dark Pictures Anthology: Man of Medan

Qu’est-ce que la peur ? La peur vous fait-elle avancer ? Si cela mériterait sûrement d’être traité en épreuve de philo (où j’aurais eu un 6 comme tous mes contrôles et même au bac en Terminale), ce sont des questions intéressantes lorsqu’il s’agit de les représenter à l’écran. Le cinéma et le jeu vidéo tentent, depuis de nombreuses années, de nous faire ressentir ce frisson, ce sentiment qu’une aura malfaisante est toute proche et s’apprête à nous du mal. La peur c’est la croyance que quelque chose va arriver. Mais lorsque le moment fatidique arrive, la peur se transforme en cauchemar, en massacre, en souvenir terrifiant ou en simple train fantôme lugubre. Seul le talent permet de rentrer dans la plus belle des cases, chose que les développeurs du jeu que je vais vous présenter n’ont pas compris. Balancer des jump scares (1) toutes les cinq minutes n’était pas du tout la meilleure des idées. Et ce n’est pas tout…

Le train à destination de l’horreur va partir, prenez garde à la découpe de vos entrailles.

Supermassive Games est un studio anglais qui, après s’être cherché un moment, a enfin trouvé son credo, à savoir les jeux d’horreur. En 2015 sortait Until Dawn, un très bel hommage au genre du slasher, un sous-genre du cinéma d’horreur. Ce genre, un peu perdu depuis les années 2000, après un magnifique Scream qui réinventa le style, n’avait pas vraiment connu de réels adaptations réussies en jeu vidéo. C’était donc Until Dawn qui initia ce changement d’état. Doté d’acteurs et actrices en vogue (on les reconnaît grâce à la performance capture (2)) comme Rami Malek (Mr. Robot, Bohemian Rhapsody) ou Hayden Panettiere (Heroes, Nashville), l’aventure nous envoyait sur une île déserte, mais pas si déserte, car un tueur rodait.

Man of Medan, le premier volet de The Dark Pictures Anthology (une série de jeux anthologiques), nous dépose dans un décor avec une ambiance identique : quelque chose rode et tous vos personnages sont susceptibles d’y passer. Axé sur la légende du SS Ourang Medan, un vaisseau fantôme où l’équipage serait mort dans des circonstances étranges après la Seconde guerre, Man of Medan vous place dans la peau de cinq avatars plus clichés les uns que les autres : le beau gosse sûrement quaterback du lycée et sûr de lui, sa copine pleine de fric et un peu connasse, son frère hyper intelligent avec des lunettes et qui a peur de tout, le frère de la copine qui est un sale con coureur de jupon, et la capitaine d’un petit bateau avec un caractère bien trempé et un passé obscur. Ce groupe part alors en pleine mer pour faire de la plongée et tenter de découvrir l’épave d’un avion jusqu’alors vierge de visites humaines.

Cette phase, mais surtout le prologue qui a lieu avant la disparition du navire, font alors office de longs tutoriels afin de vous préparer au cœur de l’aventure qui se situe au sein du bateau maudit. Ici vous apprendrez alors à diriger vos personnages – on les contrôle dans un ordre prévu par le scénario, et avec une inertie et des comportements irritants comme Until Dawn – et à réagir au quart de tour avec des lots de QTE. Le didacticiel vous montre aussi comment répondre à vos interlocuteurs et comment fonctionne le système omniprésent des conséquences. En effet chaque action, chaque décision aura une conséquence et si celle-ci influence un destin quelconque, le jeu vous l’affichera clairement.

Attention au marche-pied entre le train et la réalité.

Après une lourde épreuve à bord du Duke of Milan, le petit bateau du début, vous voici à bord du navire de guerre échoué au beau milieu du Pacifique. C’est aussi ici que commence le vrai cauchemar, aussi bien pour nos héros que pour vous. Oubliez tout de suite les environnements semi-ouverts d’Until Dawn car Man of Medan est littéralement une représentation d’un train fantôme, mais sur un bâtiment de guerre. C’est une ligne droite continue où il faut appuyer sur les bonnes touches aux bons moments et dépasser cette ligne blanche vous fera écoper d’une amende forfaitaire allant jusqu’à la peine de mort. De temps à autre quelques jump scares viennent tester notre résistance cardiaque, mais on s’ennuie ferme pendant une à deux heures. Des salles nous donnent l’impression d’avoir plusieurs chemins, mais globalement si on ne suit pas le script à la lettre, le jeu n’avance pas. Il m’est arrivé vers la fin de revenir sur mes pas, car je n’avais pas trouvé un trou dans le mur qu’il fallait absolument regarder. Et il ne se passe rien pendant ce laps de temps. Un comble quand on sait que tous ses amis se font massacrer à côté !

Le mécanisme de peur est fortement lié à la méconnaissance ou à la crainte d’une éventualité – j’ai, par exemple, peur du vide dans la vie (si c’est vrai !) : impossible de m’approcher d’un gouffre, même avec une barrière. Mais quand il s’agit de faire de l’accrobranche, je m’en fiche, car je suis attaché – et c’est une chose essentielle qui n’a pas entièrement été comprise par l’équipe en charge de l’écriture. Pour bien réussir une œuvre d’horreur, il faut garder des secrets, ne pas tout dire aux spectateurs, le grand Stephen King le disait lui-même : « Les cauchemars ne relèvent pas de la logique et les expliquer n’aurait aucun intérêt, ce serait contraire à la poésie de la peur. » C’est une phrase qui m’a marqué il y a plusieurs années et que je la considère comme commandement dans toute œuvre mystérieuse et Man of Medan ne l’applique pas : le prologue raconte presque tout sur le mystère et le jeu se plait à nous faire croire certaines choses qui sont finalement démenties dès le premier essai pour les contourner.

Dans cette vague de divulgâchage, notons aussi la présence du Conservateur incarné par Pip Torrens (Orgueil et Préjugés, Preacher) qui nous balance allégrement ce qui va se passer ensuite si on est un tant soi peu curieux (s’il vous plaît, choisissez de ne rien savoir). De même du côté des tonnes de notifications impossible à retirer qui nous avertissent qu’une action aura des répercussions ou des sous-titres identifiants des personnages inconnus (comme si les sous-titres de Scream affichaient : « Billy (et non Scream donc) : Il ne faut jamais demander qui est là. Toi qui regardes des films d’horreur, tu devrais savoir que ça porte-malheur. »). Même si cela n’a pas de grandes conséquences dans la suite du jeu, n’empêche que cela gâche une partie du sentiment d’être manipulé par les développeurs qui tentent tant bien que mal à nous garder dans un profond malaise.

C’est donc une petite addition de divers éléments qui viennent nous rappeler dans le monde réel et qui nous font oublier toutes ces craintes, ce qui est totalement contraire à la grammaire de l’horreur.

  1. Un procédé qui change brutalement la vidéo dans le but de nous faire peur.
  2. Si la motion capture permet de reproduire les mouvements à la perfection en 3D, la performance capture permet aussi de capter les mimiques des visages, la voix, etc.
  3. Une théorie selon laquelle plus un humain fictif ressemble à un vrai, plus on verra ses imperfections et plus cela va nous mettre mal à l’aise.
The Dark Pictures Anthology: Man of Medan
Un pentagramme, toujours le signe d'une bonne soirée !
The Dark Pictures Anthology: Man of Medan
Ces maudites notifications :/

En tant que train fantôme assumé, Man of Medan s'en sort très bien, mais moins bien que son aîné. Il est difficile à croire que Supermassive fasse moins bien quatre ans après un très chouette Until Dawn. Mais à force de vouloir forcer le réalisme visuel à tel point que ça en devient perturbant (bienvenue dans l'Uncanny Valley (3)), de vouloir s'expliquer sans cesse au point d'en faire une histoire bancale, le studio anglais a totalement oublié son point de départ, la peur. Comme le disait très bien Alan Wake : « Dans une histoire d'horreur la victime demande sans cesse pourquoi, mais il n'y a aucune explication et il ne doit pas en y en avoir. Ce sont les mystères sans réponses qui nous marquent le plus et c'est de cela qu'on se souvient à la fin. » Moi ce dont je me souviens à la fin, c'est que deux de mes personnages sont morts à cause de QTE à la con et que je n'ai pas eu peur une seule seconde.

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Zhykos

Touche à tout, mais toujours avec plusieurs mois de retard ; tellement de retard que mon PC n'a pas évolué depuis 2008 quand j'ai commencé à parler de jeux vidéo sur le net.

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1 réflexion au sujet de « Man of Medan »

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