La partie et la partition.
Critique
Slipways
Développeur
Beetlewing
Éditeur
Beetlewing
Date de Sortie
3 juin 2021
Prix de lancement
15 €
Testé sur
PC
Tout va trop vite. À mon époque on mettait des centaines d’heures dans des campagnes d’Endless Space ou de Civilization, des vrais jeux qui prennent du temps. Des jeux qui engloutissent le temps, même. La stratégie, la gestion au tour par tour, ça se mérite vous voyez, on peut pas jouer à ça à la légère, entre la poire et le fromage ou entre deux vidéos Youtube. C’est avant tout un art de vivre, les jeux de gestion, vous comprenez. C’est contempler des empires qui se font et se défont au gré des tours… Attendez une seconde… Quoi ? Vous voulez dire qu’il y a un jeu qui promet toute l’expérience et l’envergure d’un jeu de gestion dans des parties d’une heure maximum ? Mais vous pouviez pas le dire plus tôt ?! Vous croyez que j’ai le temps moi ?!
25 ans pour tout changer
Alors attention, si la promesse de Slipways est de « construire de vastes empires spatiaux et d’être quand même à l’heure pour le déjeuner » – comme le présente son développeur – il serait erroné de lui donner l’envergure stratégique, diplomatique et la profondeur des grands jeux de gestion au tour par tour. D’ailleurs, Slipways est de façon assez maline tourné entièrement vers la gestion de ressources et l’expansion commerciale. Au placard donc, la guerre sordide, les coups tordus de factions adverses ou encore les assauts aléatoires de pirates casse-pieds. Et c’est la première réussite du titre : élaguer, épurer des systèmes de gestion pour les rendre immédiatement accessibles, dans des parties qui durent le temps d’un épisode de votre série à trahisons, à zombies ou à accident nucléaire préférée.
Dans le vide stellaire, le joueur nommé gouverneur d’un secteur d’une galaxie n’a qu’un seul but : développer un empire commercial le plus brillant possible, en 25 ans. Point de menus dans des menus, ou de colons à déplacer : de simples planètes à relier avec des couloirs spatiaux comme autant de routes commerciales. D’un simple clic, on découvre les possibilités de production de ces adorables corps sphériques, mais aussi les éléments nécessaires à leur développement, dans un système d’entrée/sortie des plus enfantins. Une planète océanique pourra ainsi permettre de produire des ouvriers et de les envoyer sur une planète rocheuse pour exploiter du minerai, mais devra également accueillir ledit minerai et de la nourriture pour pouvoir s’épanouir, au risque de demeurer « en difficulté » et d’être un poids pour votre futur empire et son glorieux score final.
simple mais pas bÊTE
L’univers se découvre petit à petit en lançant des sondes – chacune entamant votre trésor et nécessitant un à plusieurs tours, comme toute action dans Slipways – depuis le trou noir d’où vous émergez ou depuis vos premières planètes colonisées. Et ce n’est qu’une fois que l’on dispose de plusieurs planètes visibles que l’on peut commencer à élaborer nos premières routes commerciales, mûrement réfléchies, en optimisant le transfert de robots depuis Onarus 6 vers la planète arctique Lem V, tout en faisant attention à trouver une planète pour exporter de l’eau nécessaire à l’autre planète colonisée, semblable à notre bonne vieille Terre. Attention cependant à bien planifier chaque création de couloir spatial, car ceux-ci ne peuvent se croiser et une planète en difficulté pourrait se retrouver coupée de sa ressource préférée par manque d’anticipation dans l’élaboration de votre réseau galactique. Pas de panique cependant – ou un tout petit peu à la rigueur – car le jeu est doté d’un système d’annulation des dernières actions qui permet d’expérimenter et de se tromper sans trop le regretter.
Alors que le ballet visuel et sonore vous enivre – le jeu est charmant, et chaque zoom sur une planète parfaitement modélisée permet de voir une multitude de vaisseaux entrer et sortir des portes stellaires au son de sympathiques bruitages -, que chaque clic vous promet un empire toujours plus étendu et glorieux, le trésor tombe à sec, et votre première mission s’achève brutalement, alors qu’il vous restait encore 5 ans de mandat. Ne vous inquiétez pas, la deuxième s’arrêtera aussi brusquement, mais à cause d’un mécontentement trop important – oui, même quand on est maître de l’univers, il vaut mieux que les gens soient contents, si vous voyez ce que je veux dire…
Car si son approche est simplissime, Slipways oblige à peser le moindre clic : une ressource doit être exportée pour ne pas générer de mécontentement, les populations doivent être maintenues actives – drôle d’idée – et les coûts d’entretien compensés par des échanges économiques nombreux et florissants. Ne laissant aucune place à la mauvaise surprise, Slipways permet au joueur de pouvoir observer son empire, ses problèmes et ses points forts d’un simple clic, grâce à une interface d’une grande clarté. Et partie après partie, on parvient à régler certains problèmes d’approvisionnement grâce à nos connaissances grandissantes des systèmes du jeu et à la science – engrangée dans des laboratoires nécessitant ressources et personnel – qui nous permet de débloquer dans un arbre de technologies des relais de couloirs, d’obtenir des ressources « joker » ou encore d’augmenter le bonheur d’une planète de chômeurs grâce au tourisme – même si je ne sais pas si cela fonctionne dans la réalité.
Dernières armes au service de votre ambition spatiale démesurée : votre conseil. Constitué de 3 représentants de races diverses – un peuple de mineurs, un peuple de scientifiques, un peuple de banquiers, un peuple d’arbres, etc -, celui-ci vous permet de sélectionner différents bonus avec lesquels démarrer une partie : de nouvelles possibilités d’exploiter certains types de planète, une réduction du coût des infrastructures, etc. Il faudra cependant leur rendre des comptes en cours de partie, en remplissant certaines tâches comme découvrir 15 planètes supplémentaires, augmenter votre niveau de science, ou coloniser encore 3 planètes de lave, afin d’obtenir des points précieux pour le score final, ou de les perdre en cas de contrat non rempli. Ce ne sont pas les occasions de se gratter la tête qui manquent, et on s’en trouve tout le temps stimulé.
mon cousin le jeu de plateau
Si Slipways est doté d’une campagne et d’un mode infini, il reste avant tout un jeu basé sur le score, et les jolies étoiles qui brillent comme autant de récompenses pour votre génie économico-logistique seront votre but ultime, d’autant plus si vous jouez en mode « classé », en affrontant tout ce que notre planète compte de maboules de la planification et de dingos de l’optimisation. Les planètes disposant de plusieurs routes commerciales rapportent plus que les planètes en bout de chaîne, le pourcentage de personnes heureuses est un paramètre impossible à négliger et la taille de l’empire – le nombre de planètes sous votre coupe – compte également. Si Slipways est un jeu très facile à comprendre dans ses mécaniques, il propose aussi ce système de score lisible qui pointe toutes vos lacunes et toutes vos réussites pour vous pousser à faire mieux à la prochaine partie. Des règles très bien choisies et un système de points parfaitement clair donc, et on se sent un peu comme dans un bon jeu de gestion de ressources sur plateau, mais garanti sans votre entourage qui n’a pas lu les règles et conteste néanmoins le résultat final ainsi que votre supériorité évidente.
(Oh, et Slipways a d’abord été développé sur le moteur à gros pixels Pico 8, et existe aussi en version gratuite ici si vous aimez les designs minimalistes ou si vous voulez avoir un aperçu des mécaniques du jeu)
Slipways ne remplacera pas vos bonnes vieilles parties de 50 heures sur votre jeu de colons préféré, mais l’élégance de son game design, la simplicité et la profondeur de sa proposition raviront vos cerveaux de petits maîtres de la galaxie. Ses enjeux immédiatement lisibles, sa réalisation parfaite pour le genre et son concept basé sur la conquête stellaire en une heure en font un jeu extrêmement malin. Le problème avec l’efficacité et l’accessibilité de ce concept, c’est qu’on enchaîne les parties comme on enchaîne les tours chez ses grands frères de la gestion, et que quand on regarde enfin l’horloge, il est trois heures du matin. Possible que ce soit un gage de qualité, non?
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