The Trevor Show
Critique
Lake
Développeur
Gamious
Éditeur
Whitethorn Digital
Date de Sortie
1er septembre 2021
Prix de lancement
19.99 €
Testé sur
PC
Dehors, les rayons du soleil se fraient tant bien que mal un chemin au travers d’un nuage de pollution, avant de venir brûler une route asphaltée sans cesse harassée par les milliers de pneus de milliers de voitures. Alors que la chaleur vous étouffe, vous repensez à la deadline que votre patron vous a imposée, pour un énième projet sans aucun sens. Vous suffoquez d’autant plus. Il est temps ; temps de s’émanciper de cette condition de cravachard laborieux ; temps de tout plaquer pour se la couler douce dans un décor de carte postale ; ouais, il est temps de devenir… postier ! C’est là ce que nous proposent les Néerlandais de Gamious – précédemment auréolés d’un beau succès critique avec le très simple mais efficace Turmoil – à savoir tout abandonner pour enfiler l’uniforme bleu, et distribuer courriers et colis dans un village perdu en Oregon. Vous n’en avez pas rêvé, mais avec Lake ils l’ont quand même fait.
Postal 5
Quadragénaire surdouée dans son boulot d’informaticienne, Meredith sent le compte à rebours d’un inévitable burn-out s’enclencher. Même si son patron, Steve, n’est pas foncièrement désagréable, il lui met sans cesse sous le nez paperasse à remplir et nouvelles lignes de code à taper. Alors quand son père, facteur dans un village de son Oregon natal, lui annonce avoir besoin d’un remplaçant pendant deux semaines, tandis qu’il part se payer du bon temps sous le soleil floridien, Meredith s’empresse d’accepter. Elle laisse derrière elle le stress de la ville, pour embrasser une vie de campagne apaisée, qu’elle a quittée depuis une vingtaine d’années. L’informaticienne redécouvre alors ces petits bonheurs insignifiants : prendre cinq minutes pour échanger des banalités avec la grand-mère du coin ; se laisser à admirer lacs et montagnes ; et humer le parfum si rassérénant dégagé par des forêts de pins.
Avec ses décors champêtres et sa vie de village d’un calme absolu, Lake propose au joueur de mettre sur pause le rythme tumultueux de sa vie, de se recentrer sur lui-même, de prendre le temps… Car si le titre néerlandais nous met bien dans les chausses d’une factrice au volant de sa fourgonnette, jamais une contrainte horaire ou un quelconque challenge ne viendra nous étrangler. On se contente seulement d’aller d’une boite aux lettres à une autre pour y glisser le courrier du jour, et échanger à l’occasion quelques mots avec les habitants du coin. Lake n’est pas une simulation de postier, mais bel et bien une ballade interactive dans un décor idyllique, propice à la contemplation. Tout du moins tel aurait été le cas si le titre néerlandais s’était montré plus abouti.
comme une lettre a la poste
Si durant la première heure de jeu il s’avère agréable d’évoluer dans les paysages verdoyants de cet Oregon sauvage, Lake souffre rapidement d’une mise en scène environnementale inexistante. Les animaux sauvages semblent avoir déserté les alentours ; la cime des arbres frissonne à peine sous l’effet du vent ; et nul promeneur ne sera rencontré durant nos pérégrinations. C’est tout juste si l’on croise quelques voitures suivant un trajet prédéfini, comme prisonnières de rails invisibles. Finalement, à aucun moment l’univers de Lake ne nous donne l’illusion de vivre en notre absence. On ne fait alors plus attention à ce décor éternellement figé – il ne sert à rien de l’explorer puisqu’il ne s’y passe jamais rien – et l’on se résigne à délivrer mécaniquement notre courrier.
Mais là aussi, l’expérience se montre fastidieuse. Si, comme nous le disions auparavant, tout est fait pour que le joueur connaisse une expérience de jeu sans anicroche, Meredith est tellement lente que l’on s’oblige à garer pile poil notre camionnette devant les boites aux lettres, pour que notre héroïne ait à se servir le moins possible de ses gambettes ankylosées. Et même malgré ça, on traîne lourdement notre carcasse sur les quelques mètres qui la séparent de son objectif. Quand on sait qu’il y a chaque jour une dizaine de courriers et colis à délivrer, le travail devient alors usinaire : éreintant et aliénant. Allez, peut-être n’est-ce là qu’une leçon donnée au joueur qui doit apprendre à surpasser ses frustrations, mais la sauce a tout de même du mal à prendre.
Bien sûr, entre deux livraisons de colis, Meredith va apprendre à connaître les habitants du village. Car beaucoup de choses ont changé depuis que l’informaticienne a pris la poudre d’escampette, vingt ans auparavant. Certains amis d’enfance ont pris des trajectoires inattendues, là où d’autres connaissances ont passé l’arme à gauche. Pour se réapproprier les lieux, Meredith va pouvoir rendre service – ou non – aux gens dans le besoin, et tisser des liens (parfois amoureux) avec certains locaux. L’occasion de découvrir des tranches de vie à l’écriture sans relief, desservie il est vrai par des doublages peu convaincants – soit trop appuyés, soit au contraire nonchalants – et des animations faciales inexistantes. L’émotion que souhaite véhiculer le jeu ne nous atteint pas, et la magie s’estompe brutalement.
Lake aurait pu être une ode à la détente, un panégyrique à l’insignifiance, mais il n’en est rien. La faute à une ambition certainement desservie par un budget riquiqui : l’univers est peint, mais à aucun moment il ne prend vie. Mais tout n’est pas affaire d’argent, car le scénario du titre néerlandais peine lui aussi à décoller. On s’intéresse mollement aux tranches de vie qu’il nous compte, pas aidé il est vrai par une technique ancestrale qui nous coupe inévitablement de nos émotions. A cela s’ajoute une jouabilité répétitive au possible, chaque journée de travail devenant un véritable calvaire qu’on essaie d’expédier le plus vite possible. Bref, rapidement un constat implacable s’impose à nous : mais qu’est-ce qu’on s’emmerde au fin fond de l’Oregon !